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CHAPITRE IX

Son inconscience ne parut durer que quelques secondes, mais quand il eut repris ses esprits, il découvrit qu’on l’avait transporté dans une sorte de grange. Elle ne devait pas être très éloignée du chemin.

L’homme qui le surveillait, une mitraillette à la main, n’était pas Cambo. Ce dernier était collé contre le mur de terre de la grange, l’air inquiet. Il n’était pas attaché cependant.

Leur gardien avait une matraque attachée à la ceinture. Ainsi le fondé de pouvoir n’était pour rien dans cette agression. Il pensa ensuite aux quatre pneus crevés. Ils étaient tombés dans un guet-apens.

Un homme grand et gros entra. Son visage était lourd, dédaigneux, une réplique de celui du général Franco. Ses yeux étaient cernés. À la boutonnière de son veston il portait l’insigne de la Phalange. Le joug et les flèches. Il bombait le torse. Il était fier de son appartenance au Parti.

Il regarda Kovask qui avait réussi à s’asseoir malgré ses mains liées dans le dos. Puis il se tourna vers Cambo.

— S’il m’avait fallu jurer d’une fidélité, c’est de la tienne que je l’aurais fait.

Cambo le regardait fixement.

— Je n’ai pas trahi, don Julio. Cet homme m’a menacé.

— Tu as commis plusieurs bêtises cette nuit. D’abord, la femme de Rivera n’est pas morte et, de plus, elle a disparu.

— Oui, don Julio. C’est pourquoi j’ai été obligé d’accepter les propositions de l’Américain. Dona Isabel doit téléphoner à la police si nous ne sommes pas de retour à sept heures.

Julio regardait Cambo d’un air songeur.

— Lui seul sait où elle se trouve.

— Tu n’étais pas obligé de l’emmener jusqu’au camp. Tu aurais pu te débrouiller différemment.

— Il est très rusé, señor Lagrano. Il fallait que nous soyons de retour avant sept heures.

Kovask notait le nom. Julio Lagrano. Il était intrigué par l’attitude du fondé de pouvoir. Ce dernier ne l’accablait pas tellement. Le menace suspendue sur sa tête le faisait certainement réfléchir.

— Que sait-il exactement?

— Peu de chose. La plus grave concerne le professeur Enrique Hernandez.

Malgré son flegme, le gros homme tressaillit.

— Où en est-il?

— Il a appris que le professeur avait séjourné quarante-huit heures et incognito à Séville. C’est tout.

Julio Lagrano jeta un coup d’œil à Kovask. Ce dernier resta impassible.

— C’est quand même beaucoup. Toi, que lui as-tu révélé?

— Simplement l’emplacement du camp.

— Bon. Tu voulais revenir à Séville sans que cette femme ait téléphoné pour porter plainte. Que comptais-tu faire ensuite?

Cambo répondit du tac au tac :

— Rechercher cette femme et la tuer. Lui aussi, je l’aurais tué. J’ai eu peur, je l’avoue, mais j’ai quand même limité les risques.

Julio Lagrano l’écoutait avec attention et Cambo parut reprendre du courage.

— C’est pourquoi je n’ai pas hésité à donner mon nom et celui de l’Américain au sous-officier qui commande la passe dans la montagne. Si j’avais voulu vraiment trahir, je n’aurait pas montré ma carte du parti.

— Tu sais que j’ai été tout de suite prévenu.

— Je n’en espérais pas tant.

— Le sous-officier a fait un rapport immédiat. Par chance, le colonel est phalangiste. Il savait comment me toucher rapidement. Je suis parti tout de suite. Je savais que vous perdriez du temps dans la montagne. Nous sommes arrivés ici quelques minutes avant vous. Nous entendions votre moteur dans la Sierra. Le temps de jeter des poignées de clous et de nous cacher, vous étiez là.

Il sortit un cigare de sa poche et l’alluma.

— Maintenant, quand tu dis que tu n’en espérais pas tant, tu te vantes un peu, non? Dona Isabel ne verra pas revenir l’Américain et avertira la police. Tu sais que nous ne collaborons plus aussi étroitement, elle et nous. Ils seront obligés de t’arrêter, de te questionner sur cette tentative de meurtre, sur la mort de Rivera.

Le visage de José Cambo se décomposait.

— J’ai essayé l’impossible.

— À moins que nous ne lui fassions dire où se trouve cette femme.

Cambo ne regarda pas Kovask.

— Je crois que ce sera difficile.

— On peut essayer.

José cassa son bras pour regarder l’heure.

— Cinq heures trente. S’il tient seulement une demi-heure, il aura gagné. Il nous faudra bien une heure pour joindre Séville.

Le chef phalangiste laissa peser sur lui son regard inquiétant.

— Désires-tu le prévenir? Tu fais comme si tu avais intérêt à ce qu’il ne parle pas.

— Vous savez bien qu’il n’en est rien. L’homme à la mitraillette était indifférent à cette conversation. Immobile devant la porte, il surveillait Kovask et couvrait son chef par rapport à Cambo. Le reste paraissait peu lui importer. Il portait la chemise bleue des phalangistes.

— Quelle preuve possède cette femme contre toi?

— Son témoignage et la lettre où son écriture a été imitée.

Julio Lagrano fronça le sourcil.

— Évidemment. On ne peut descendre tout le monde pour te sauver la mise. S’ils retrouvent le faussaire, tu es perdu?

— Oui, puisque c’est à moi qu’il a remis cette lettre.

C’était à se demander si José Cambo était complètement idiot. Ne comprenait-il pas que ses amis s’étaient arrangés pour qu’en cas de pépin tout retombe sur lui? Il ne paraissait pas en être persuadé.

— Cet homme assistait à la scène, dit le fondé de pouvoir en désignant Kovask.

— Tu en es sûr? C’est un témoin à charge, alors.

L’Américain, avec un frisson intérieur, soupçonnait le gros homme de vouloir amener Cambo à une évidence. Sans se hâter, il s’efforçait de lui faire oublier la menace suspendue sur sa tête, jusqu’à ce que l’autre accepte de recommencer sa tentative de meurtre, mais sur lui, Kovask. Cambo était un instrument dans les mains du parti. Il finirait par se soumettre une fois de plus.

— Pour plusieurs raisons nous ne pouvons laisser cet homme en vie, continuait le gros homme. D’abord il connaît beaucoup trop de choses nous concernant. Il y va de l’avenir de notre pays. L’emplacement du camp doit être ignoré de tous. Ce qui s’est passé là-bas ne regarde que nous.

Kovask dressa l’oreille à ces dernières paroles. Que signifiaient-elles? Il avait supposé quelque chose d’énorme et ne paraissait pas s’être trompé.

— S’il disparaît, dona Isabel ne pourra prouver ta culpabilité. Nous tâcherons de fermer la bouche du faussaire.

Cambo l’écoutait avec intérêt. Il paraissait même reprendre du poil de la bête.

— On peut même te trouver un alibi, prouvant qu’à l’heure de cette agression tu te trouvais ailleurs en compagnie de plusieurs personnes dignes de foi? On la prendra pour une mythomane dont l’esprit a été détraqué par la mort brutale de son mari.

Le visage de Cambo s’éclairait progressivement. Kovask se tenait à quatre pour ne pas le traiter d’idiot.

Vraiment, ce serait possible? Balbutia le fondé de pouvoir. Croyez-vous que ce serait possible?

Julio Lagrano ne s’engagea pas beaucoup :

— Pourquoi pas?

— Il faut le tuer. Faire disparaître son corps.

— C’est très facile ici. Derrière la grange il y a un puits à sec. Il n’y aurait qu’à jeter quelques cailloux dessus pour qu’on ne le retrouve jamais.

Cambo eut un regard fuyant pour Kovask … Ce dernier n’eut aucune réaction. Il contrôlait sa respiration pour garder tout son calme. Dans quelques minutes, tout serait fini. Cambo allait comprendre ce qu’on attendait de lui. C’était tout ce qu’il était capable de comprendre, d’ailleurs. Il était aveuglé au point de ne pas se rendre compte qu’il n’était qu’un jouet entre les mains du gros Julio Lagrano.