— Si, mais il ne pouvait en être différemment. Maintenant, écoutez-moi bien. Il faut qu’un avion de la base de Cadix survole le camp.
— Les autorités espagnoles vont protester. Ça va faire un sacré scandale !
Kovask poursuivait, inébranlable :
— Que le pilote prenne des photographies et emporte un scintillomètre avec lui. Pour ce dernier point, je ne suis pas certain, mais que ce soit fait. Il me faudrait les résultats avant la nuit. J’irai les chercher moi-même à Cadix.
— Écoutez, Kovask, êtes-vous sûr de vous?
— Absolument ! C’est très grave et nous allons, j’en mettrais ma main au feu, faire une découverte spectaculaire. Laquelle? Je n’en sais rien moi-même.
Ensuite il parla de Cambo, expliqua sa situation. Martel lui demanda quelques secondes, puis lui communiqua une adresse à Madrid.
— Qu’il s’y rende sans tarder et attende la suite des événements. Je vais toucher la société Erwhein pour qu’elle ferme les yeux pendant quelque temps. Croyez-vous qu’il soit récupérable pour nous?
— C’est possible. Mais « donnez du temps au temps ». C’est un proverbe du cru, je crois.
Il raccrocha, descendit dans le hall en pensant à son suiveur. Il retrouva sa Mercedes au garage, sortit sans essayer de se cacher. Il vit le garçon à la marinière sursauter et se mettre à courir. Il appuya sur l’accélérateur et se noya dans la circulation.
Quand il aperçut la voiture de José Cambo, il chercha un endroit pour stationner et revint à pied. L’Espagnol était au volant avec sa femme à ses côtés. C’était une jolie fille, mais, pour l’heure, son visage était triste. Ce départ précipité devait la décontenancer.
Cambo écouta les instructions que lui donnait Serge Kovask. Ce dernier conclut en lui demandant s’il avait de l’argent. L’autre rougit à ce rappel involontaire de son fric-frac de la nuit dernière.
L’Américain le prit à part.
— Y avait-il des papiers importants dans ce coffre?
— Non, absolument pas. Il ne contient que des documents concernant la compagnie Erwhein.
La Volkswagen se perdit rapidement parmi les autres voitures et l’Américain regagna la sienne. Au moment de démarrer, dans le rétroviseur il aperçut, juché sur une petite moto rapide, le garçon au blue-jean et à la marinière.
Néanmoins, il décida de se rendre chez Isabel Rivera. Son suiveur resta fidèlement derrière lui. Mais quand il s’arrêta ostensiblement devant la villa de l’avenue de Rome, il avait disparu. Kovask en resta songeur.
CHAPITRE X
Après une sieste de cinq heures qui le remit complètement en forme, Serge Kovask prit la route de Cadix à la fin de l’après-midi. La chaleur était encore lourde, mais la lumière, elle, se tamisait et il fit un voyage agréable. Il s’arrêta devant l’immeuble de l’Amirauté, d’une blancheur éclatante comme toute la ville à la tombée de la nuit.
En croisant les uniformes dans le hall il se sentit ragaillardi. Un regret fugace l’effleura. Depuis deux ans, il n’appartenait plus au personnel navigant. D’abord le service de renseignements de la Navy, L’O.N.I, maintenant la C.I.A. Un planton lui désigna l’étage et le bureau du commander Brandt, chef de la section espagnole de L’O.N.I.
L’homme l’attendait dans son bureau climatisé, une courte pipe vissée à des dents presque toutes recouvertes d’or, le cheveu ras et gris, la gueule énergique.
— Salut, transfuge ! Heureux de vous connaître.
Il lui désigna un fauteuil.
— On boit le verre de l’amitié naissante avant de commencer le boulot?
— Si vous voulez, dit Kovask en souriant.
— Saurez jamais ce que vous me devez. Envoyer un « Skywarrior » survoler la Sierra Morena pendant une demi-heure ! Ça hurlait dans tous les coins.
Depuis le bureau, on apercevait, ancrées au large, quelques unités de la Navy, dont un porte-avions, un croiseur et deux destroyers.
— Le contre-amiral est venu dans ce bureau. Oui, mon vieux. Sans prendre l’ascenseur, tellement il était hargneux. Heureusement, d’ailleurs, car, arrivé ici, il n’a pu piper un seul mot. Finalement, au bout d’une demi-heure, ils étaient cinq ou six gros bras qui s’agitaient devant moi. Deux commodores, plus quelques captains qui hurlaient avec les loups. Derrière moi, le pilote qui avait été choisi se fendait drôlement la poire.
Il leva son verre et le but d’un trait.
— Choisi pour la diversité des sanctions prises contre lui depuis son affectation au porte-avions « McDonald ». Le genre de type capable de survoler la cathédrale de Séville et d’y lâcher quelques drapeaux rouges au passage. Un fondu, quoi, mais un as ! Il sait ce qui l’attend, maintenant. Il faudra marquer le coup.
Le commander Brandt haussa les épaules.
— Remarquez que personne ne sera dupe, d’un côté comme de l’autre. Maintenant …
Il regarda Kovask en se frottant le menton.
— Il faudra bien, si on me le demande, que je donne l’origine de cette affaire?
— C’est-à-dire moi?
— Oui. Et je crains que ça ne barde pour vous. Kovask fronça les sourcils.
— Que voulez-vous dire?
— Les photographies ne révèlent pas grand-chose. Des terres dénudées, quelques camions dissimulés sous du feuillage. Rien de passionnant.
Il prit une chemise sur son bureau, la lança sur les genoux du lieutenant de vaisseau. Ce dernier l’ouvrit. Elle contenait une vingtaine de clichés format 24 X 18. Le commander, qui le surveillait du coin de l’œil, fut surpris par l’expression satisfaite de son visage.
— Hey? On dirait que ça vous convient. M … alors, moi qui croyais …
Kovask étudiait une sorte de plateau dont quatre photographies reconstituaient la totalité. Il devait faire une dizaine de kilomètres carrés. Ce que découvrait Kovask, c’étaient de profondes excavations dont l’une creusait la rocaille, semblable à un gouffre. À côté, on apercevait un point sombre, comme de la ferraille entremêlée.
— Pouvez-vous faire agrandir ce point-là?
— Facile. Dans un quart d’heure ce sera fait.
Un planton vint chercher photographie et instructions.
— Ce pilote avait bien embarqué un scintillomètre?
— Oui, dit Brandt. Mais la mission a eu lieu dans l’après-midi, et les gars de la section nucléaire sont en train de mettre en clair les résultats du baldwinographe. Le pilote ne pouvait se servir d’un appareil ordinaire.
Il regarda Kovask.
— N’allez pas me dire que les Espagnols ont inventé la bombe atomique et l’essaient dans la Sierra?
— Non. Je n’ai encore aucune idée précise. Seulement, si ce que j’attends se confirme, vous allez avoir un sacré travail, commander. Voulez-vous téléphoner à la section nucléaire?
— Elle travaille à bord du « McDonald ». Je vais essayer de les faire activer.
Il décrocha son téléphone, attendit une minute avant d’entrer en communication avec le porte-avions. Son visage mobile prit une expression de contentement.
— Très bien. Nous les attendons.
Il raccrocha, s’adressa à Kovask :
— Les résultats sont en route. Le gars ne m’a pas précisé leur nature.
La photographie revint. Lie point précis avait été suffisamment agrandi pour que les deux hommes distinguent l’objet.
— Un véhicule incendié. Un camion, on dirait.
— Oui. C’est bien ce que je pensais. Le commander Brandt hocha la tête.
— On m’avait bien dit que vous étiez un petit futé. Dommage pour L’O.N.I., tant mieux pour la C.I.A. ! Au fait, ils sont bien, ces terriens?