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Il plaqua l’appareil sur la fourche. Le capitaine s’essuyait avec un grand mouchoir et levait les yeux au ciel.

— Vous ne le connaissez pas. Ça va faire un beau raffut d’ici un quart d’heure.

Sortant en vitesse il commença de hurler des ordres. Kovask regarda le commander Brandt.

— Dites donc, on dirait que le colonel n’a pas l’habitude de venir au camp durant la nuit.

— C’est aussi mon impression, dit Brandt. Le capitaine entra.

— Vous avez un détachement de spécialistes nucléaires ici?

— Bien sûr. Un lieutenant, deux sous-officiers et quatre brevetés.

— Ce sont eux qui s’occupent des stocks de rockets à charge spéciale?

L’officier se mordit les lèvres, hésita :

— Je préférerais que le colonel soit là.

— Ce ne sont que des questions ordinaires qui nous permettront de déblayer plus rapidement le terrain. Alors?

— Oui, ils s’en occupent. Quatre vérifications par jour à l’aide de compteurs.

— Et la garde?

— Un service spécial. Mais théorique. En fait tout le monde y participe.

Kovask fit la grimace. Comment retrouver les coupables parmi plusieurs milliers d’hommes et de gradés. Le seul espoir restait du côté des brevetés nucléaires.

— Les Espagnols ont-ils accès au camp?

— Quelques-uns, mais très peu.

Une voiture s’immobilisa devant les bureaux et le capitaine pâlit.

— Voilà le colonel.

C’était un grand type maigre, au visage de loup, aux yeux d’un gris acier très durs. Son regard effleura Brandt, ignora le capitaine, chercha le regard de Serge Kovask. Tout de suite il avait flairé l’homme qui lui cherchait des histoires, et sa façon de l’examiner disait assez qu’il acceptait le combat, mais que ce serait coriace.

— Serge Kovask. Lieutenant de vaisseau, en mission spéciale par ordre du Département d’État.

Jackson se tourna vers son capitaine et ce dernier sortit rapidement.

— Le but de cette mission?

— Ce serait trop long. Ma visite de ce soir n’est qu’un épisode inattendu.

En quelques mots il expliqua au colonel pourquoi il supposait que des torpilles à charge nucléaire avaient été volées dans le camp, et avaient explosé dans un camp clandestin de la Sierra Morena.

— Pourquoi auraient-elles été volées ici?

— Où auraient-elles pu l’être?

— Au Portugal. Il y a des camps d’infanterie, là-bas aussi.

Kovask encaissa avec le sourire.

— Peut-être. Mais avant de me rendre dans ce pays, j’ai voulu commencer par ce camp.

Jackson resta immobile, les yeux fixes.

— Une vérification sera facile.

— Oui. S’il est découvert que des « Davy Crockett » ont été volées ici, moi, je saute.

— Pas nécessairement, dit Kovask. Jackson ricana :

— Vous ne pensez pas sérieusement que j’accepterais d’être soutenu par un flic?

Le lieutenant de vaisseau resta impassible, mais chaque syllabe se détacha nettement de ses lèvres :

— Tout homme qui en met un autre devant ses responsabilités est un flic.

Sans lui laisser le temps de s’indigner :

— Il m’a suffi d’une demi-heure pour me rendre compte, par exemple, que vous ne mettez jamais les pieds ici, la nuit.

Cette fois, il fit mouche. Jackson tressaillit. Par le fait, il atténua lui-même ses paroles.

— Mais trêve de chamailleries. Je veux les feuilles comptables des « D. C. » et des rockets, la liste du personnel de la section nucléaire.

— Capitaine Harry?

L’autre surgit comme par miracle. Le colonel lui demanda de fournir ces différents documents.

— Réveillez les responsables. Il faut faire vite. Autant en finir rapidement.

Il eut un sourire désabusé.

— Quand je rencontre un type comme vous, Kovask — et c’est rare — je ne me trompe guère. Je suis à peu près certain que vous avez vu juste. Puis il parla du matériel spécial.

— Ne vous étonnez pas de la quantité, nous sommes à la fois camp d’entraînement et camp de transit. Certaines unités se ravitaillent directement ici. Je crois que nous devons avoir en stock pas loin d’une centaine de « D. C. » et de deux mille rockets.

Quand les documents arrivèrent, il ne s’était trompé que de peu. Cent cinq tubes et deux mille cent fusées. Pour plus de sûreté, ils vérifièrent les comptes des entrées et sorties, ce qui leur prit une bonne demi-heure. Le compte était exact.

— Avant de poursuivre votre enquête, dit le colonel, il faut que je vous mette au courant des particularités de ces fusées. Vous savez qu’elles se composent de trois parties, comme celles des bazookas ordinaires.

Il expliqua d’un ton quelque peu ironique :

— Il y a la tête, ou coiffe balistique, avec ses deux masses critiques d’uranium séparées par une courte barre de cadmium. C’est dans la deuxième partie que se trouve le percuteur agissant sur le cadmium. Enfin, une troisième partie avec l’étoupille balistique, les tuyères divergentes-convergentes …

Il marqua un temps d’arrêt.

— Par mesure de sécurité, ces trois parties ne sont jamais stockées ensemble. La fusée est démontée, et chacune des trois pièces se trouve à cent mètres des autres. Nous avons trois casemates. La plus robuste est évidemment celle qui contient la tête nucléaire. Et là, des précautions extraordinaires sont encore exigées.

— Les tubes?

— Ils sont stockés avec la deuxième partie, pour éviter qu’un loustic ne s’amuse à faire des feux d’artifice avec la charge propulsive. D’ailleurs, ce sont des tubes qui ne se distinguent des autres à charge creuse que par une double position de sûreté. C’est compréhensible.

— Il peut y avoir des incidents de tir?

— Tout comme pour l’autre. Il suffit que le champ magnétique que provoque le contact soit interrompu, ou encore que le filament de mise à feu soit détérioré. C’est assez fragile comme système.

Le capitaine se présenta :

— Le lieutenant de la section nucléaire est à vos ordres, mon colonel.

— Nous y allons.

Le lieutenant se nommait Gilman. Il ne paraissait pas autrement ému par cette visite nocturne du matériel dont il avait la charge.

— Nous allons commencer par les tubes. La casemate était sous terre, accessible par un tunnel d’une dizaine de mètres. Sur des étagères, ils étaient soigneusement rangés, côte à côte. Le lieutenant compta. Il y en avait cent cinq.

— On a certainement remplacé les tubes de « P. O. » par ceux de vieux bazookas.

— Faut-il tout ouvrir?

Les tubes étaient démontés en deux parties. Chacune enveloppée d’un papier paraffiné, d’une toile imperméable, et le tout avait été plongé dans un bain d’une cire spéciale.

— Ce sera long.

— Commençons par examiner chacun. Lieutenant, pouvez-vous appeler vos hommes?

Vinrent un sous-officier et deux brevetés.

— Il faudra nous signer une décharge, dit le lieutenant.

— Ce sera fait, dit Kovask. Allons-y.

Une heure plus tard, le résultat était catastrophique. Il manquait douze bazookas « D. C. ». On les avait remplacés par des lance-rocket ordinaires. Toutes les enveloppes avaient été ouvertes. Le colonel gardait son flegme. Le lieutenant Gilman était très pâle.

— Il suffira de vérifier la partie nucléaire des fusées pour savoir le nombre des disparues.

Si la casemate des tubes n’était gardée que par un homme, deux veillaient devant celle des têtes nucléaires. Un sous-officier se trouvait à l’intérieur devant un compteur Geiger. Kovask se demanda si c’était la consigne ordinaire ou si tout avait été mis en place pour lui. Ils durent signer sur le registre des visites aux pages numérotées.