Les sinistres têtes nucléaires se trouvaient dans des alvéoles, comme des œufs. Chaque Alvéole était scellé.
Kovask, qui avait une certaine pratique de ce genre de falsifications, essaya de déceler les imitations, n’en trouva pas. Les voleurs étaient plus habiles qu’il ne l’avait supposé. Ils devaient recevoir des consignes sévères.
Tous les alvéoles furent ouverts. Cent cinquante contenaient une masselotte en plomb du poids de la tête nucléaire. Le colonel et le lieutenant étaient catastrophés. Le commander Brandt hochait la tête, en signe d’admiration, qui pouvait s’adresser aux voleurs ou à Kovask. Ce dernier réfléchissait.
— Vous êtes certainement un camp très important?
— Le plus important du Sud-Europe.
— Autorisé à stocker du matériel atomique?
— Accord secret de juin 1958, juste pour les engins de petite puissance, dit le colonel.
— Il faut croire que le secret a transpiré. On a incité certains de vos hommes à voler. Je dis certains, car un seul n’aurait pu y arriver.
— Le stock a commencé en janvier 1961. Depuis, des centaines d’hommes ont monté la garde aux casemates. Des dizaines de sous-officiers.
— La complicité d’un gradé est à peu près obligatoire. Cela limite les recherches?
— Trente-quatre sous-officiers. Je ne parle pas des sergents, puisque ce sont eux qui participent au service de garde.
— Sous la direction d’un officier, certainement, ajouta Kovask.
Le colonel lui demanda de revenir au bureau. Ils signèrent le registre de sortie, marquèrent l’heure exacte sous la surveillance du sergent.
— Peut-être aurons-nous besoin de ce livre, dit Kovask.
— Depuis janvier, nous en sommes au cinquième, je crois, fit le colonel.
Les trois hommes s’enfermèrent dans la pièce tandis que la capitaine restait à côté pour effectuer les liaisons.
— Je vais faire un premier pointage parmi les sous-officiers, dit le colonel. Je connais parfaitement leur curriculum vitæ. Certains sont assez bambocheurs, mais notre homme peut très bien cacher son jeu.
— L’enquête l’affolera peut-être, dit Brandt, qui se passionnait pour cette affaire.
— Attendez, dit Kovask, je crois que j’ai une idée.
Les autres attendaient.
— Voici. Pour la garde des casemates vous « usez » deux sous-officiers par jour?
— Trois. Pour la casemate où sont les têtes nucléaires il y en a un de jour et un de nuit.
— Donc vos trente-quatre sous-officiers défilent en un peu plus de onze jours? Y a-t-il, dans le service de santé, un organisme de décontamination?
Le colonel fit signe que oui.
— Et bien avant que nous ayons reçu cette saloperie. Les hommes affectés à la garde y passent assez souvent. Au moins une fois par mois.
— Très bien, dit Kovask. Il faut que dans les heures à venir vous organisiez une visite de ce genre.
Jackson sursauta, puis soupira.
— Il faudrait laisser courir le bruit que la radioactivité s’est brusquement développée sans que les appareils l’aient indiqué. Mieux, que les sous-officiers croient que les appareils étaient déréglés. Demander au médecin de poser une question à chacun. Qu’il s’inquiète si l’un d’eux a manipulé les rockets dernièrement.
Le colonel ne paraissait pas très emballé, mais après la découverte qu’il venait de faire, il ne pouvait qu’obéir à cet envoyé de Washington.
— Il faudra isoler les hommes qui nous ont aidés ce soir. Qu’il n’y ait pas de contact entre eux et les sous-officiers passant la visite médicale.
— Mais si, justement, le coupable se trouve parmi eux?
— Il voudra certainement savoir ce qui se passe au service de santé. Nous les surveillerons.
— Alors, mon pointage?
— Il nous permettra de mieux localiser notre homme. Il faudrait même le réduire encore un peu, souligner ceux qui paraissent dépenser largement.
Brandt intervint :
— Nous pouvons demander à la Navy Police et à la Military Police. Elles patrouillent dans les quartiers réservés et doivent se souvenir de certaines têtes.
— Pouvez-vous vous en occuper? Brandt décrocha l’appareil et commença son travail. Le colonel appela le capitaine et lui demanda de convoquer le personnel médical le plus rapidement possible.
— Et surtout, pas trop de mystère. Nous ne pouvons cacher à nos hommes que certains d’entre eux ont été exposés à des Radiations dangereuses. Au besoin, expliquez-leur qu’à l’heure actuelle nous sommes suffisamment équipés pour éviter toute suite fâcheuse.
Le capitaine ouvrait de grands yeux.
— Bien, mon colonel.
— De toute façon, les faux bruits vont faire le tour du camp. Autant que les sous-officiers que nous allons examiner ne soient pas impressionnés par eux. Me comprenez-vous parfaitement, capitaine?
— Oui, mon colonel, parfaitement.
Il se hâta de disparaître. Le colonel refusa la cigarette que lui offrait Kovask. Brandt plaisantait avec l’un des officiers de la M. P.
— J’ai hâte de connaître ce salopard ! Dit tranquillement Jackson.
CHAPITRE XII
Le colonel avait isolé cinq noms de sous-officiers, et pendant ce temps Brandt recevait de la M.P. et de la N.P. des renseignements importants. Quand les deux hommes comparèrent leurs notes, trois sergents avaient leur nom mentionné de part et d’autre.
Dans le camp régnait une activité fébrile. Les sous-officiers sortis de leur sommeil ou raflés en ville étaient dirigés vers le bâtiment sanitaire. Plusieurs officiers, sous la direction du capitaine Harry, dirigeaient l’opération. Jusqu’à présent il en manquait une dizaine à l’appel. Après différents contrôles, on se rendit compte que deux étaient en permission à Madrid. Un autre se trouvait à l’hôpital de la Navy.
Au sujet de ces trois hommes, Kovask exigea une enquête serrée. Ils étaient tous bien notés, et l’un d’eux, pour plusieurs raisons, n’avait pris la garde à la casemate nucléaire que deux fois depuis que les rockets y étaient stockés.
En même temps, il étudiait les états des gradés de garde depuis six mois. Il espérait pouvoir accoler certains noms qui reviendraient trop souvent. Un sous-officier seul n’avait pu dérober les tubes et les fusées. Il lui avait fallu la complicité de ses hommes, et obligatoirement toujours les mêmes.
En ville, les patrouilles continuaient de faire la chasse aux sept manquants. Jusqu’à présent, trois encore étaient à retrouver.
Les hommes avaient été consignés dans leur chambrée, mais les discussions allaient bon train au point qu’un murmure bourdonnait dans tout le camp. Le personnel de santé était enfin en place, et le colonel alla lui donner ses consignes. Dans quelques minutes l’examen pourrait commencer.
On avait montré à Kovask la photographie des trois principaux suspects. Un seul avait une tête caractéristique de truand, mais ça ne voulait rien dire.
Brusquement, il donna un coup de poing sur les états du personnel de garde et haussa les épaules. Brandt le regarda avec étonnement.
Mon travail est idiot. Les simples soldats peuvent se faire remplacer à l’insu de l’officier de semaine. Ce qu’il faudrait, c’est une enquête dans les chambrées. Essayer de savoir le nom de ceux qui aiment particulièrement monter la garde avec tel sous-officier, noter ceux qui sont toujours prêts à rendre service aux copains et à les remplacer.