— Attendez.
Il ramena un autre objet. Une boîte en fer, une enveloppe de ration, pleine de billets de mille pesetas. Kovask les feuilleta.
— Au moins cinquante.
Le capitaine Harry réagissait rapidement.
— Les salauds ! Kovask souriait un peu.
— Doucement. C’est un commencement de preuves, sans plus. Le compteur ne prouve rien. L’argent peut avoir été gagné dans un tripot.
— Je connais bien Spencer. C’est un type toujours fauché et qui empruntait facilement de l’argent. J’ai dû y mettre le holà car il rançonnait les hommes de troupe. Il n’aurait jamais gardé de l’argent gagné au jeu. Il l’aurait perdu encore une fois.
Ce n’était pas si bête.
— Ça, c’était de l’argent en cas de coup dur. Il s’en serait servi pour déserter.
— Vous avez peut-être raison, dit Kovask. Nous allons revenir à l’infirmerie. Il faut que Langham les mette sur la sellette et les rende fous de terreur. Ensuite, ils accepteront de tout avouer.
Comme ils traversaient la cour, un sous-lieutenant accourut vers eux.
— Mon capitaine, je crois que j’ai fait mouche.
Harry expliqua :
— Je lui avais demandé d’essayer de connaître les hommes qui acceptaient volontiers de remplacer leurs camarades de garde avec certains sous-officiers.
— J’ai deux noms. Seulement il y a un accroc. Ces deux hommes acceptaient indifféremment d’aller avec le sergent Spencer ou le sergent Rohmer.
Kovask eut un rire joyeux et donna une claque dans le dos du sous-lieutenant.
— Où sont ces deux hommes?
— Je me suis assuré d’eux. Ils sont au poste de police. Ils ignorent comment j’ai pu les repérer et me paraissent très inquiets.
— Allons-y. Lieutenant, vous avez fait du bon travail.
Les deux marines, dans le local disciplinaire, n’en menaient pas large. Quand ils virent entrer le capitaine Harry suivi du civil, ils se figèrent au garde-à-vous. L’officier attaqua tout de suite.
— Vous avez aidé Spencer et Rohmer à voler du matériel. Surtout des « D. C. » et des rockets à tête nucléaire. Les deux sous-officiers sont gravement irradiés. Ils ont été évacués le plus vite possible.
Féroce, il ajouta :
— Je me demande si je vais en faire autant pour vous. J’ai envie de vous laisser crever comme des chiens.
L’un des deux types sursauta.
— Alors, on va essayer de sauver les sous-offs et nous on trinquera?
— Il paraît que c’est vous qui avez proposé l’affaire à Spencer et à Rohmer.
— Quoi ! Rugit le marine. Nous? On a touché cinq mille pesetas pour transporter cette pourriture. C’est tout. C’est eux qui encaissaient la grosse somme. C’est Rohmer qui emmenait les trucs en ville, avec sa bagnole.
— Comment avez-vous effectué les vols, en une fois ou en plusieurs fois?
Brusquement méfiant, le marine se tut. Le capitaine Harry sourit avec un certain sadisme.
— Très bien. On va vous laisser réfléchir jusqu’à demain.
Affolé, celui qui était resté muet jusqu’alors se mit à parler.
— Captain … Ne faites pas ça. On va tout vous dire. Chaque fois, on n’en piquait qu’un peu. C’était assez difficile, comprenez? Fallait remplacer, vérifier tout l’habillage des tubes, recoller les alvéoles des rockets. On ne pouvait faire ça que la nuit. Toutes les deux heures, on est remplacés. Il nous a fallu une dizaine de jours depuis le mois de février. C’est il y a un mois que Rohmer a déclaré que c’était suffisant.
— Savez-vous à qui Rohmer livrait la marchandise?
— Non. On l’ignore complètement. Mais ce doit être à Cadix même.
Kovask cachait sa satisfaction. Malgré la mort de Julio Lagrano, il remonterait la filière du réseau allemand. Il suffisait d’agir avec précaution. Il entraîna le capitaine Harry.
— Le camp va être consigné jusqu’à nouvel avis. Même pour les officiers supérieurs. Le colonel Jackson va vous confirmer cet ordre. Il ne faut pas que ce qui se passe ici transpire au-dehors.
— Je vais m’en occuper, dit le capitaine Harry. Il n’y aura pas de fuite.
CHAPITRE XIII
Le colonel Jackson contemplait les découvertes de Serge Kovask. Il fit la moue devant le compteur Geiger, passa son doigt sur l’épaisseur des billets.
— Pourquoi ce compteur? Demanda-t-il.
— Parce que Spencer avait une peur bleue des rockets à tête atomique. Ce n’est pas un type très intelligent, et il avait pour ces trucs la méfiance de monsieur tout-le-monde. Il devait scrupuleusement balader le Geiger sur son corps après chaque transfert.
Brandt, la pipe au coin des lèvres, demanda ce qu’il allait faire maintenant.
— Cuisiner Spencer pour posséder Rohmer. J’ai l’impression que ce dernier ne sera pas facile à avoir. Je me demande même si Rohmer n’a pas agi par conviction personnelle, ce qui serait catastrophique.
Les autres hochèrent la tête, partageant ses craintes.
— C’est pourquoi il ne faut pas partir au hasard.
— Vous croyez qu’il connaît une adresse? Un nom?
— À peu près certain. On peut se mouiller avec un gars comme lui. Je l’ai parfaitement jugé.
Brandt se dirigea vers la porte.
— Je vais tâcher d’obtenir d’autres renseignements à son sujet. Même si je dois envoyer un message à Washington. Il y a peut-être un moyen de pression sur lui.
Kovask sourit.
— Bravo ! Avec ce genre d’oiseau, il ne faut reculer devant rien. Pas de ménagements.
Puis il s’adressa à Langham, lui demanda si le camp disposait de combinaisons antiradiations et de masques. Le médecin-lieutenant répondit que oui, et alla les chercher avec son assistant.
Kovask expliqua ce qu’il allait faire.
— Langham et moi nous allons nous présenter à Spencer dans cette tenue. Il sera sérieusement ébranlé en nous voyant déguisés. Nous le cuisinerons le plus possible. Un truc qui ne prendrait certainement pas avec Rohmer.
Quand le lieutenant fut de retour, ils s’habillèrent en silence. Les casques comprenaient des amplificateurs acoustiques, un système simple, mais de portée réduite. Il fallait parler plus fort que d’habitude.
Les cabines antiradiations étaient installées dans une salle désaffectée. Elles comprenaient un sas ne pouvant contenir qu’un homme à la fois, puis une sorte de cellule de pénitencier avec couchette, lavabo et water. La lumière était artificielle, et un aérateur-climatiseur pourvoyait l’endroit en air frais. La proportion d’oxygène y était plus élevée cependant.
— Vous me présenterez comme un spécialiste.
Langham approuva avant de s’enfermer dans le sas. Une minute plus tard ce fut le tour de Kovask. Quand il pénétra dans la cellule, Spencer effondré dans un coin de la couchette n’était plus qu’une loque. Il regarda cette nouvelle apparition avec épouvante.
— Voici le docteur Kovask. C’est un spécialiste pour le mal dont vous souffrez.
Dans le regard de Spencer apparut une lueur criminelle. Il les haïssait. Bien à l’abri dans leur combinaison, ils réexaminaient comme un cobaye, un déchet d’humanité. C’était ça. Il avait l’impression de vivre un mauvais rêve, de suivre un film d’anticipation il était aux mains d’extra-planétaires insensibles oui se f … bien de son mal.
Kovask devina ses sentiments troubles :
— Du calme, Spencer ! Je suis certain que nous allons pouvoir vous tirer de là. À la condition de connaître l’amplitude de votre mal.