Выбрать главу

À travers du hublot, le sergent vit des yeux calmes au regard impérieux. Malgré lui, il se leva.

— Comprenez bien, Spencer. Nous voulons connaître l’origine de votre mal. Vous avez été en contact direct avec les rockets à tête nucléaire?

Spencer tressaillit comme si une dernière prudence, un dernier sursaut de bête rusée luttait en lui.

— Non, dit-il finalement.

— Écoutez-moi, Spencer. À la suite de votre état, une enquête rapide a été déclenchée. Nous avons découvert deux soldats assez gravement atteints, eux aussi.

Il cita leurs noms et l’homme prit sa tête entre ses mains.

— Ils nous ont tout raconté. Ce que vous avez fait regarde vos supérieurs, mais nous, nous cherchons à vous guérir. Comprenez-vous?

Pendant quelques secondes, Spencer resta inerte, la tête enfouie entre ses mains. Kovask avait une envie folle de le frapper. Il allait perdre patience quand Spencer se décida enfin.

— Ouais, dit-il d’une voix rauque. J’ai manipulé les trucs. Et même à pleines mains, comme un crétin que je suis. Cent vingt têtes nucléaires que je me suis farci. Il y avait des caissettes toutes prêtes. Et moi seul j’ai fait le boulot pendant que Rohmer soi-disant montait la garde. Ce salaud, je parie qu’il est moins atteint que moi. Hein, qu’il est moins atteint?

Kovask inclina la tête sans rien dire.

— J’en étais sûr !

Sa voix s’affermissait, et toute la haine qu’il venait d’éprouver contre l’humanité entière, il la vouait à son ancien complice.

— Il fallait ensuite se coltiner les engins jusqu’à la Chevrolet de Monsieur. Pourquoi aussi ne pas conduire cette cargaison de mort, hein? S’il l’avait osé, il me l’aurait demandé, seulement Monsieur gardait son petit secret pour lui. Il me refilait du pognon, mais devait en garder dix fois plus pour lui. Quoique …

Il s’interrompit.

— Après tout, ça ne vous regarde pas, la suite.

Kovask se planta devant lui.

— Si, Spencer, ça nous regarde. Il y a des gens qui sont en danger de mort maintenant, ceux qui détiennent ces cent vingt rockets.

— Ce que je m’en fous ! Ils peuvent crever, ceux-là. C’est des salauds !

Kovask attendait, se maîtrisant à grand-peine.

— Des nazis !

Kovask et Langham se regardèrent. Spencer se déboutonnait sérieusement.

— Rohmer est fou. Il y croit encore au Grand Reich. Si vous l’entendiez dégoiser ! Pas possible qu’un type soit tordu comme ça. Mais paraît qu’il a de qui tenir et que son père a été compromis pendant la guerre. Il livrait la camelote à des copains réfugiés dans le coin.

— Vous êtes certain que les rockets sont restés en Espagne et ne sont pas passés en Afrique du Nord?

— Ouais. Je suis cloche, mais quand même. Je notais chaque fois les kilomètres à la Chevrolet de Rohmer.

Kovask garda son calme. C’était la première indication de poids.

— Jamais plus de vingt-deux miles. Donc, c’est bien à Cadix qu’il allait livrer sa cochonnerie.

— Savez-vous où exactement?

— Aucune idée. Sauf que les billets empestaient le poisson. Mais il y a tellement de pêcheurs dans le coin, sans parler des restaurants, colmados et freidurias.

En effet, ce n’était pas un indice important. Kovask fit un signe à Langham.

— Bien, dit ce dernier. Nous allons maintenant étudier l’analyse faite de votre sang. Nous reviendrons.

Une expression méfiante se développa sur le visage de Spencer. Brusquement, il fut pris d’un accès de rage et se jeta sur eux. Kovask lui envoya son poing au menton et l’assit sur la couchette :

— Du calme ! Vous allez être soigné au mieux. Restez tranquille, maintenant.

Une fois le sas passé il ôta son masque et essuya son visage.

— Quelle chaleur là-dessous.

Toujours dans la combinaison ils allèrent retrouver le colonel. Brandt était de retour. Il avait déjà obtenu des renseignements importants et en attendait d’autres.

— Le père de Rohmer a été interné pendant la guerre. Il avait été accusé de propagande nazie. De plus, pendant le règne de Mc Carthy, il s’était à nouveau compromis. Je crois que le F.B.I. le tient à l’œil, et qu’avec le nouveau président et surtout la nouvelle administration il aura intérêt à se faire oublier.

— Allez chercher Rohmer, dit Kovask. Il faut en finir cette nuit avec ces vols.

Il consulta sa montre. Une heure trente. Il se sentait plein d’entrain, mais aurait volontiers mangé un morceau. Le capitaine Harry alla chercher des sandwiches pour tout le monde.

Le sergent Rohmer entra, encadré par deux M. P. Il souriait légèrement, mais en apercevant le colonel, Brandt et Kovask qu’il ne connaissait pas, il se rembrunit.

Jackson attaqua. En quelques phrases bien étudiées il démontra au sergent qu’il ne lui restait aucune chance de nier. Il cita le nombre des tubes et des rockets volés, le nom des deux marines complices, celui de Spencer.

— Voilà. Vous savez que vous risquez plus que le pénitencier. Les crimes de cette sorte sont jugés par une commission spéciale, en général dépourvue d’indulgence. Avocat d’office et sentence immédiatement applicable.

Il se tourna vers Kovask.

— Je vous le laisse.

Kovask l’examina quelques secondes. Rohmer supporta en silence son regard.

— Vous savez ce que j’attends de vous?

— Oui.

Puis Rohmer ajouta :

— Mais vous ne me ferez pas parler. Je n’ai pas agi par amour de l’argent, mais par idéal.

— Bon, dit Kovask. Comme votre père.

Le sous-officier battit des paupières et son teint se colora légèrement.

— Votre père, en 1942, puis, plus tard, sous Mc Carthy, a aussi agi par idéal. Maintenant il se tient tranquille. Il a bien raison. Il serait ennuyeux de le sortir de sa quiétude. Il doit être âgé, maintenant? Soixante ans au moins? L’âge de la retraite. Il serait dommage que la commission dont parlait votre colonel tout à l’heure l’inculpe pour complicité Rohmer réagit violemment.

— Ce serait une ignominie !

— Peut-être. Aussi grande que la vôtre ne croyez-vous pas?

Le sous-officier ouvrit la bouche, puis, soudain, baissa la tête sans répondre.

— Dix ans de prison à cet âge, ça ne pardonne que très peu souvent. Ce serait tout de même dommage.

— Vous n’avez pas le droit de vous servir de mon père. J’ai agi de mon propre chef.

— Oui, mais dans la voie souhaitée il n’y a pas si longtemps par votre père.

Kovask alluma une cigarette, se renversa en arrière.

— Nous avons télégraphié à Washington. Le F.B.I. est prêt à entendre votre père si nous le lui confirmons.

Rohmer serra les poings. La voix de Kovask, volontairement neutre et dépouillée de tout effet, poursuivait :

— Comprenez-nous, Rohmer. Il nous faut progresser. Si ce n’est pas vous, lui pourra peut-être nous renseigner.

— Il ignore tout de mes activités. Ce sera inutile et ridicule.

— Nous essayons, vous comprenez? Le moindre détail qu’il nous fournira nous aidera.

C’était inutile de lui démontrer son aberration, d’essayer de le raisonner. Il fallait briser sa défense par son côté affectif.

— Il existe un réseau de néonazis dans ce pays. Son activité consiste à encadrer des jeunes gens venant d’Allemagne, à leur enseigner les bases de la guerre subversive. Dernièrement, ils ont décidé de posséder un armement ultramoderne. Vous leur avez livré des « D. C. » avec les munitions. À qui les avez-vous remis?

Rohmer releva la tête.

— Tout de suite vous me demandez le maximum. Vous croyez-vous très habile?