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— Nous venions du nord après avoir traversé les terres entre cet océan et le nôtre.

Barlennan n’avait pas le temps de trouver un mensonge convaincant, bien qu’il réalisât que la vérité avait des chances d’être incroyable. L’expression de Reejaaren montra qu’il avait raison.

— Votre navire a été visiblement construit avec de gros outils, que vous n’avez pas avec vous. Cela exige un chantier naval et il n’en existe pas au nord, sur cet océan. Voudriez-vous me faire croire que vous l’avez démonté et traîné à travers autant de terres ?

— Oui.

Barlennan pensait voir un moyen de s’en sortir.

— Comment ?

— Comment volez-vous ? Certains jugeraient que c’est encore plus difficile à croire.

La question n’était pas tout à fait aussi bonne que Barlennan l’espérait, à en juger par la réaction de l’interprète.

— Je suis sûr que vous n’attendez pas de moi la divulgation de ce secret. Des maraudeurs, nous pouvons les tolérer, mais les espions relèvent d’un traitement beaucoup plus sévère.

Le capitaine se rattrapa du mieux qu’il put.

— Aussi ne m’attendais-je pas à ce que vous me le disiez ! Je faisais simplement remarquer, avec autant de tact que possible, que peut-être vous n’auriez pas dû me demander comment nous avions franchi l’obstacle des terres.

— Oh ! mais je le devais … et c’est nécessaire ! Il ne semble pas que vous ayez encore pris conscience de votre situation, étranger. Ce que vous pensez de moi n’a pas d’importance, mais ce que je pense de vous compte énormément. Pour dire les choses simplement, il faudra que vous me convainquiez de votre innocence si vous désirez repartir d’ici.

— Mais quel mal pourrions-nous vous faire ? L’équipage d’un seul vaisseau … Pourquoi nous craindriez-vous autant ?

— Nous ne vous craignons pas !

La réponse était nette et énergique.

— Le tort que vous pourriez nous causer est évident : une personne, pour ne rien dire d’un équipage, pourrait emporter des informations que nous ne voulons pas divulguer. Nous savons, évidemment, que des barbares ne pourraient pas apprendre le secret de voler, à moins qu’il ne leur soit expliqué avec un grand soin, c’est pourquoi votre question m’a fait rire. Pourtant, vous devriez faire plus attention.

Barlennan n’avait entendu personne rire, et il commençait à se faire une bonne idée de l’interprète et de sa race. Une demi-vérité qui ressemblerait à de la soumission de sa part serait sans doute la meilleure chose à faire.

— Nous avons bénéficié de beaucoup d’aide pour tirer le vaisseau à travers les terres, dit-il d’un ton maussade.

— Des Jeteurs de Rocs et des Riverains ? Vous devez disposer d’une langue remarquablement persuasive. Nous n’avons jamais reçu d’eux que des projectiles.

Au grand soulagement de Barlennan, Reejaaren ne poursuivit pas plus loin sur le sujet. Il revint à des questions plus immédiates.

— Ainsi, vous désirez faire du commerce avec nous, maintenant que vous êtes ici. Qu’avez-vous à échanger ? Et je suppose que vous voudriez vous rendre à l’une de nos villes ?

Barlennan sentit le piège et répondit en conséquence.

— Nous pouvons faire du commerce ici ou n’importe où, à votre choix, mais nous préférerions ne pas nous éloigner plus de la mer. Tout ce que nous avons à rendre pour le moment est une cargaison de vivres en provenance de l’isthme, dont vous avez sans doute déjà de grandes quantités grâce à vos machines volantes.

— On peut toujours vendre des vivres, répliqua l’interprète sans se compromettre. Seriez-vous disposé à des échanges avant de vous rapprocher de la mer ?

— Si nécessaire, comme je l’ai dit, bien que je ne voie pas pourquoi ce serait nécessaire. Vos machines volantes pourraient nous rattraper avant que nous soyons bien loin, si nous tentions de quitter la côte sans votre permission, n’est-ce pas ?

Peut-être Reejaaren avait-il abandonné ses soupçons à ce moment-là, mais la dernière question les raviva très fortement.

— Peut-être, peut-être, mais ce n’est pas à moi de le dire. Marreni décidera, bien entendu, quoique j’aie l’impression que vous feriez aussi bien d’alléger votre navire ici même. Il y aura de toute façon les redevances portuaires, évidemment.

— Redevances portuaires ? Mais ceci n’est pas un port, et je n’ai pas abordé de mon plein gré : j’y ai été projeté par la mer.

— Quoi qu’il en soit, les bateaux étrangers doivent payer ces redevances. Je pourrais ajouter que leur montant est déterminé par l’Officier des Ports Extérieurs, et que l’impression qu’il aura de vous proviendra de moi-même. Un peu plus de courtoisie serait de mise.

Barlennan refréna sa colère avec peine, mais admit à haute voix que l’interprète disait la vérité la plus vraie. Il le dit avec des circonlocutions qui, en apparence, adoucirent l’individu jusqu’à un certain point. En tout cas, celui-ci partit sans plus de menaces, visibles ou implicites.

Deux de ses compagnons le suivirent, l’autre demeura. L’équipe d’un autre planeur saisit rapidement les deux cordages attachés à la structure amovible et tirèrent. Les cordes s’étendirent d’une façon incroyable, jusqu’à ce que leurs crochets soient assujettis à un arrêt planté dans le nez du planeur. L’avion fut alors lâché et les cordages se contractèrent jusqu’à leur longueur normale, propulsant le planeur dans les airs. Instantanément, Barlennan ressentit un invincible désir d’obtenir de cette corde plastique. Il alla jusqu’à l’exprimer, et Dondragmer sympathisa. Il avait entendu toute la conversation et sympathisait aussi avec les sentiments de son capitaine envers le linguiste de l’Officier des Ports Extérieurs.

— Vous savez, Barl, je crois que nous pourrions remettre ce gars à sa place. Si on essayait ? …

— J’adorerais le faire, mais je ne pense pas que nous puissions nous offrir le luxe de le rendre fou furieux avant d’être très très loin d’ici. Je ne tiens pas à ce que lui ou ses amis lâchent leurs épieux sur le Bree, maintenant ou jamais.

— Je ne voulais pas dire « le rendre furieux », mais qu’il nous craigne. « Des barbares » … il avalera ce mot même si je dois personnellement le faire cuire pour lui. Tout dépend de certaines choses : est-ce que les volants savent comment fonctionnent les planeurs, et nous le diront-il ?

— Ils le savent sans doute, à moins qu’ils n’aient mieux à leur disposition depuis si longtemps qu’ils ont oublié …

— Ce n’en serait que mieux, pour ce que j’ai en tête.

—  … mais je ne suis pas assuré qu’ils nous le diront. Je pense que vous savez à présent ce que j’espère obtenir réellement de ce voyage. Je veux apprendre tout ce qu’il me sera possible d’apprendre de la science des Volants. C’est pourquoi je tiens à parvenir jusqu’à leur fusée, près du Centre. Charles lui-même a dit qu’elle contenait beaucoup de leur équipement scientifique le plus avancé. Quand nous disposerons de cela, il n’y aura pas un pirate sur mer ou sur terre qui osera toucher au Bree, et nous aurons nos dernières redevances portuaires … nous pourrons, à partir de cet instant, écrire nos propres menus.