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— Appelez Porphyre. Arrangez l’examen médical. (Un coup-poudre. Qui ça ? Hilton ? Peut-être toi ?)

Il en avait les ressources, se dit-elle, une demi-heure plus tard, alors qu’elle arpentait la terrasse noyée de brume. Sa dépendance vis-à-vis de la drogue n’avait pourtant pas menacé le Réseau, n’avait pas affecté ses sorties d’enregistrement, ni provoqué d’effets physiques secondaires. Sinon, Senso/Rézo ne l’aurait même pas laissée commencer. Le fabricant de drogue, songea-t-elle. Lui devait être au courant. Même si elle parvenait à le toucher, ce dont elle doutait, il ne lui dirait jamais rien. Suppose, se dit-elle, les mains posées sur le parapet rouillé, suppose que ce n’ait pas été son fournisseur ? Que la molécule ait été conçue par un autre, pour ses propres fins ?

— Votre coiffeur, annonça la maison.

Elle rentra.

Porphyre attendait, emmailloté d’un jersey aux couleurs éteintes, la dernière tendance de Paris. Son visage, aussi lisse au repos que de l’ébène polie, se fendit en un sourire ravi dès qu’il l’aperçut.

— Mam’zelle, la réprimanda-t-il, vous avez l’air d’une vraie souillon.

Elle rit. Bavardant sans fin, Porphyre passa ses longs doigts fins dans les boucles d’Angie et prit un air de répulsion.

— Mam’zelle n’a pas été sage. Porphyre vous avait bien dit que ces drogues étaient de la saleté !

Elle leva les yeux sur lui. Il était très grand et, elle le savait, d’une force colossale. « Comme un lévrier nourri aux stéroïdes », avait dit un jour quelqu’un. Son crâne épilé révélait une symétrie hors nature.

— Vous vous sentez bien ? demanda-t-il sur un autre ton (disparu, le brio nerveux, comme si quelqu’un avait basculé un interrupteur).

— Très bien.

— Ça a été dur ?

— Ouais. Très.

— Vous savez, dit-il en lui effleurant le menton du bout du doigt, personne n’a vraiment réussi à comprendre ce que vous apportait cette saloperie. Ça n’avait pas l’air de vous défoncer…

— Ce n’était pas censé me défoncer. C’était juste comme de pouvoir être ici, ou ailleurs, sauf qu’il n’y avait pas besoin d’y aller…

— À ce point ?

— Tout à fait.

Il hocha la tête, lentement.

— Alors, c’était vraiment une fichue saloperie.

— Oh, et puis merde ! Me revoici.

Retour du sourire narquois.

— On va vous laver les cheveux.

— Je les ai lavés hier !

— Dans quoi ? Non, surtout ne me dites pas !

D’un geste de la main, il lui montra l’escalier.

Une fois dans la salle de bains carrelée de blanc, il la shampouina, puis lui massa le cuir chevelu.

— As-tu vu Robin récemment ?

Il lui rinça les cheveux à l’eau froide.

— Missié Lanier est à London, mam’zelle. Missié Lanier et moi, nous ne nous adressons plus la parole. Vous pouvez vous rasseoir maintenant.

Il releva le dos du fauteuil et lui drapa une serviette sur la tête.

— Pourquoi ça ?

Elle sentait croître son intérêt pour les commérages du Réseau qui étaient l’autre spécialité de Porphyre.

— Parce que, répondit le coiffeur, sur un ton soigneusement mesuré, tout en lui démêlant les cheveux, il racontait un certain nombre de trucs pas gentils sur Angela Mitchell, pendant qu’elle était partie à la Jamaïque faire le ménage dans sa jolie petite tête.

Elle ne s’attendait pas à ça.

— Non ?

— Oh que si, mam’zelle.

Il se mit à couper les cheveux, utilisant des ciseaux comme toujours. Il était le seul à faire ça. Il refusait d’employer le crayon laser et prétendait n’y avoir jamais touché une seule fois.

— Tu plaisantes, Porphyre ?

— Non. Il ne m’aurait jamais raconté ce genre de choses, à moi, mais Porphyre sait entendre. Porphyre entend toujours tout. Il est parti pour Londres le lendemain de votre arrivée ici.

— Et que l’as-tu entendu raconter ?

— Que vous êtes cinglée. Défoncée ou pas. Que vous entendez des voix. Que les psys du Réseau sont au courant.

Des voix…

— Qui t’a dit ça ?

Elle essaya de se retourner dans le fauteuil.

— Ne bougez pas la tête. Là… (Il se remit au travail.) Je ne peux rien dire. Faites-moi confiance.

Il y eut un certain nombre d’appels après le départ de Porphyre, entre autres celui de son équipe de production, pressée de lui dire bonjour.

— Plus aucun appel cet après-midi, intima-t-elle à la maison. Je vais monter visionner les séquences de Tally.

Elle trouva une bouteille de Corona dans le fond du frigo et l’emporta dans sa chambre. L’unité de stim encastrée dans le teck de la tête de lit avait été récemment équipée de trodes de qualité studio. Ils ne s’y trouvaient pas lorsqu’elle était partie à la Jamaïque. Périodiquement, les techniciens du Réseau perfectionnaient l’équipement de la maison. Elle but une lampée de bière, posa la canette sur la table de chevet et s’allongea, les trodes au front.

— Très bien, fit-elle, c’est parti.

Dans la chair de Tally, dans le souffle de Tally.

Comment ai-je pu te remplacer ? se demanda-t-elle, submergée par la personnalité physique de la star passée. Est-ce que je procure aux gens le même plaisir ?

Tally-Angie regarde de l’autre côté d’une faille bordée de plantes grimpantes qui est également un boulevard, les yeux levés vers l’horizon renversé, les carrés de courts de tennis au loin, le « soleil » de Zonelibre dessinant un trait axial de brillance au-dessus d’elle.

— Avance rapide, ordonna-t-elle à la maison.

Plongée dans le souple jeu des muscles sur fond de béton, Tally lance son vélo sur la piste d’un vélodrome en gravité réduite…

— Avance rapide.

Une scène de dîner, la tension des bretelles en velours sur ses épaules, le jeune homme assis en face d’elle se penche pour verser encore du vin…

— Avance rapide.

Des draps de lin, une main entre ses jambes, un crépuscule pourpre derrière une baie vitrée, un bruit d’eau vive…

— Marche arrière. Le restaurant.

Bruit du vin rouge versé dans son verre…

— Encore un peu. Attends… Là.

Les yeux de Tally s’étaient fixés sur le poignet bronzé du garçon, pas sur la bouteille.

— Je veux une sortie graphique du visuel, dit-elle en retirant les trodes.

Elle se rassit et but une gorgée de bière qui se mélangea curieusement avec le goût fantôme du vin enregistré de Tally.

Au rez-de-chaussée, l’imprimante tinta doucement, indiquant qu’elle avait achevé sa tâche. Angie se força à descendre l’escalier sans se presser mais quand elle arriva dans la cuisine, devant la machine, l’image imprimée la déçut.

— Peux-tu améliorer la définition ? demanda-t-elle. Je veux pouvoir lire l’étiquette sur la bouteille.

— Recadrage de l’image, indiqua la maison, et rotation de huit degrés de l’objet cible.

L’imprimante bourdonna doucement en sortant la nouvelle version de l’image. Angie trouva son trésor avant que la machine ait sonné, le sceau de son rêve frappé à l’encre brune : T.A.

Ils avaient leur propre vignoble.

Tessier-Ashpool S.A., en caractères aux royales arabesques.

— Coincés ! murmura-t-elle.

8. RADIO TEXANE

Mona pouvait entrevoir le soleil à travers deux déchirures dans la feuille de plastique noire qu’ils maintenaient scotchée sur la fenêtre. Elle détestait trop le squat pour y rester quand elle était réveillée ou dégrisée – ce qui était doublement le cas.