Выбрать главу

Ce qui m’incite à croire à la sincérité de Sirella, c’est la complaisance avec laquelle la police a gobé le meurtre de son gros lard. Dis, tu en as entendu causer de la Rousse anglaise ? L’une des meilleures of the world, comme on dit en France.

Alors, admettons que ma jolie maîtresse ait été franche avec moi. Admettons aussi qu’elle eût redouté un gros danger pour moi, pourquoi faire appel à ce petit détective privé à la manque qui doit gagner son couscous en filant quelques Européennes à la cuisse légère, au lieu de m’en informer, moi, l’intéressé ?

Que redoutait-elle pour ma santé ? Et comment ce Syrien traîne-lattes saurait-il intervenir en cas de coup dur ? Je le vois mal défourailler avec sa belle panoplie dont il se montre si fier.

Je retourne à la clinique d’un pas traîneur, m’efforçant de découvrir si quelqu’un d’autre que Kirâz Gratys me suit. Mais dans une foule aussi dense, faut avoir un périscope électronique pour retapisser un ange gardien, sauf si, comme le Syrien, il fait son boulot en amateur.

Une ravissante infirmière marocaine, blonde, mais tu peux aller voir dans son slip si c’est sérieux, règle le goutte-à-goutte de la blessée lorsque je déboule.

L’ayant interrogée d’un hochement de tête, elle me répond, d’un autre à peu près identique, que c’est pas brillant.

La pauvre Sirella est en piteux état. Souffle court, visage de plus en plus creusé. Un élan d’infinie pitié me fait lui saisir la main. Je capte donc sa menotte et la réchauffe de mes deux grosses miennes, comme si c’était un oisillon tombé du nid. L’image n’est pas de moi, mais de François Mauriac, et je ne veux pas empiéter. Je donnerais vingt ans de la vie de la reine Victoria (puisqu’elle n’en a plus besoin) pour qu’elle se remette. Ah ! que ne puis-je lui insuffler ma propre énergie ! Lui communiquer mes ondes actives, mon tonus, ma substance profonde.

— Quelqu’un s’est-il présenté pour la voir ? demandé-je à la jolie infirmière, laquelle contemple la scène, émue par ces trois mains entremêlées.

— Non, personne.

— Ecoutez, petite, je pense qu’un visiteur se présentera dans l’après-midi. Si c’est le cas, soyez gentille, ne laissez pas la malade seule avec la personne en question et arrangez-vous pour me faire prévenir par l’une de vos collègues ; je me tiendrai dans le salon d’attente.

— Vous pensez qu’on veut encore lui faire du mal ? demande la jolie fausse blonde.

Au lieu de répondre, j’élude d’une question.

— Quel est votre prénom ?

— Aicha.

— C’est ravissant.

Ces niaiseries débitées en tranches extra-minces, pour être dégustées sur le pouce, je me rends dans le salon, face à l’entrée ; vaste pièce vitrée, décorée d’excellentes photos de Marrakech, et meublée de fauteuils tubulaires aussi confortables qu’une selle de vélo dont le cuir est parti.

Je saisis une revue vieille de dix-huit mois sur la table basse, comme quoi la reine de j’ignore où a des turbins avec son consort (qu’on ne sort plus, vu qu’il dodeline du cervelet) et entreprends courageusement cette lecture abrupte, qu’en comparaison, les polars de M. Attali (dont la vie est un songe) sont aussi faciles à lire qu’une affiche de mobilisation générale.

Du temps s’écoule. Je suis en compagnie d’un très vieillard jaunasse, engoncé dans des fringues plus surannées encore que lui. Il somnole, pressant entre ses jambes une canne à embout de caoutchouc sur le pommeau de laquelle il a accroché son chapeau à bord roulé, ruban noir et taupage inopportun en ces contrées chaleureuses. La peau de son cou fait des plis par-dessus le col dur d’un blanc évasif. Sa cravate se fixe par un système d’élastique à crochet, sans qu’on ait à se préoccuper de faire et défaire le nœud. Le vieux bonze a la paupière lourde d’un crapaud buffle et tellement de points noirs sur son blair que celui-ci ressemble à une figue de Barbarie.

Je profite de ce qu’il soulève sa paupière droite pour lui sourire, mais il demeure indifférent au point que je me demande si son lampion droit n’est pas en verre.

Je retourne à mon aride lecture. J’en suis déjà là que le consort fait sa promenade au bord du lac Machin, au bras de sa reine des neiges compatissante, la dame, reine mais épouse, je te prie de remarquer, et qu’assume son gâtochard la couronne haute, mon vieux. Ça, les rois, reines, princes, tu peux pas leur ôter : ils font front devant l’adversité. Quoi qu’il advienne, avec eux, c’est « Présent ! » Qu’ils attrapent la chaude-pisse ou un gouvernement socialiste, ils départent jamais, les monarques. Altiers, toujours ! Un dingue entre dans leur piaule, leur fiston joue l’Arnaque, leur conjoint déjante du bulbe, aucune importance : le sang est bleu, la tiare est verte, laisse un peu la fenêtre ouverte.

Je glandoche le long de cet admirable reportage, essuyant mes larmes d’un revers, m’arrêtant pour laisser à ma gorge l’opportunité de se dénouer. Comme c’est long ! Et de quelle patience fais-je preuve ! Moi, l’éternel pressé lorsqu’il est question de boulot, je suis capable de poireauter pendant des lustres sous des heures, ou pendant des heures sous des lustres. Rien ne me rebute.

Dans son fauteuil, le dabuche en écrase pour de bon. Son ronflement est pareil à un essaim de bourdons lâchés dans une pétaudière. Je me mets à siffler entre mes dents pour tenter de couper l’admission des gaz, mais il est parti en prise directe et rien n’y fait.

Qu’attends-je ? Une manifestation des Britannouilles ? Bon, et ensuite ? Elle serait logique. Une ressortisserante s’est fait plomber dans un attentat, les autorités de son pays accourent, quoi de plus normal ? Et qu’un employé du consulat (quel con, çu-là !) se pointe pour prendre des nouvelles, assumer les frais de rechapage, ça coule de source, non ? Rencontrer un tel monsieur, lui parler, ne me mènerait nulle part, ne déboucherait sur rien, pas même un évier, ajouterait le Gros pour qui la technique d’un bon mot se décompose de la manière suivante : « Une supposition que tu sois garce et que tu t’appelles Ainlazare, on dirait de toi la garce Ainlazare ».

Et pourtant, l’espoir veille en moi, dans mon tréfonds, comme une bougie sous le goulot d’une bouteille qu’on décante. Ne conclus pas de cette puissante métaphore que je fais œuvre littéraire. D’ailleurs, soit dix ans passants, ils commencent à me bassiner, tous, à chercher si j’appartiens ou non à la littérature. Que je les supplille à deux genoux et couilles rabattues de me laisser tranquille. Un Sana, c’est un Sana, rien de plus, mais rien de moins. On l’achète, on le lit, on le prête, ou bien on le revend ou on le met dans ses chiottes, j’en ai strictement rien, mais alors super-rien à branler ; et faudrait stopper de me pomper l’air « à laquelle » j’ai droit, me laisser sous emballage spaghettis, peinard ô combien ! Je refuse qu’on m’incluse ! Non, c’est pas de la littérature, ça n’en sera jamais, heureusement ! Faites-moi plus chier sinon je me mets à mal écrire pour vous prouver, s’il faut tous en passer par là, tas de nœuds ! Para-sous-infra-littérature ! Non, mais ça se déglingue dans les tiroirs de votre matière grisâtre, les mecs ! Arrêtez de vous branler, venez plutôt me faire une petite pipe, qu’on en profite tous. Le premier qui me retraite de para, je lui fais fumer le pot d’échappement de ma Maserati ! Que je me retrouve classé infra et tes miches vont ressembler à un panneau de sens interdit, sauf que la raie sera verticale et noire au lieu d’être horizontale et blanche.

Et puis, bon, au bout d’un temps immémorial (de Sainte-Hélène), voilà une femme de salle qui s’encadre : une Noire et boulotte, comme dans toutes les cliniques du monde occidental où le médecin-chef ressemble plus souvent à du yaourt qu’à du chocolat.