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Mais comme je ne suis pas vache, je vais t’affranchir.

Suis-moi !

LA PAIX DES MÉNAGES

L’HAPPE DÉMÉNAGE

Et or donc car mais, à la réception, qui trouvé-je ? Je ne te le donne pas en mille, mais en un.

La femme de service noire de l’hôpital, tu sais, la petite grosse. Elle a troqué sa blouse professionnelle contre une robe imprimée dans les tons vigoureux. Ça représente des fleurs exotiques entremêlées de lianes aquatiques, avec, pour achever de faire joli, des petits poissons parsemés et un gros perroquet jaune et vert à l’avant-scène.

La chère fille boulotte (parce qu’elle boulotte) me semble être dans un certain état de surexcitation. Je lui dépêche par courrier spécial mon meilleur sourire.

— Eh bien, ma très charmante, lui dis-je avec enjouage, vous paraissez tout émue ?

Ce disant, l’alarme me vient à l’œil. « Seigneur, me dis-je, Sirella serait-elle décédée, et serait-ce cela que viendrait m’annoncer cette noire jouvencelle de chez Olida-Dakar.

— C’est mademoiselle Aïcha, dit-elle.

— Quoi, mademoiselle Aïcha ! m’écrié-je comme dans une pièce d’amateurs, afin de donner plus de prix à la réplique qui va suivre.

— Elle m’a appelée par la fenêtre, parce qu’on habite la même maison.

— Et alors ? poursuis-je, avec force, tel M. Salvador quand il interprète Zorro.

— Elle m’a crié que j’alle la voir. J’y suis été.

— Et aloooors ?

— Sa maman était très très malade et elle aussi, mais un peu moins.

— Et alooooooors ?

— J’ai demandé de l’aide. On a transporté la maman à l’hôpital et Aïcha est restée dans sa chambre. Elle m’a demandé de vous prévenir, et de vous dire comme ça qu’elle voudrait vous voir.

— Retournez auprès d’elle, mon petit bout de zan, et assurez-la que j’arrive. Quelle est son adresse ?

— C’est le grand immeuble neuf, derrière la palmeraie, au bout de l’avenue El Chan Zélizé, au quatrième, mamoiselle Aïcha Choukroût.

Son message étant délivré, la môme se retire presto.

Je regagne l’illustre table pour déposer mon modeste cul sur le siège qui lui fut proposé. Sa Branligotante Majesté continue de tortorer du bout des doigts, des lèvres, des gencives.

Je me confonds en excuses racées.

— Un message important, Votre Odorante Majesté. Et qui va me devoir faire quitter votre chiément fabuleuse table, avec votre augustissime permission dorée sur tranche, à bien entendu, saleur !

Le monarque déboulonné m’adresse un geste que, s’il était archevêque au lieu d’émir au chômedu, tu pourrais le prendre pour une bénédiction toutes catégories. Je baise sa main en peau de lézard, me prosterne seize fois en direction de La Mecque, douze en direction du mec, et mets les adjas.

Dans une grande salle à manger voisine, le gai trio, déchaîné, en est aux Matelassiers. Bérurier vocifère les couplets, tandis qu’Achille et leur égérie reprennent au refrain. Belle ambiance, que je ne saurais troubler. Aussi m’esbigné-je délicatement.

La femme de service noire est déjà sur place. C’est elle qui m’ouvre la porte. De grosses belles larmes brillantes coulent sur son visage sombre.

— Ça ne va pas ? m’inquiété-je.

— Elle a perdu connaissance. Je vais aller téléphoner à l’hôpital pour qu’on vienne la chercher aussi.

La fille pose sa chère dextre sur mon admirable avant-bras, dit bras d’honneur.

— Et moi ça me prend aussi depuis que je suis arrivée.

— Qu’est-ce qui vous prend, ma gazelle bleue ?

— Dans la tête, c’est « ouïe, ouïe », comme si on m’enfoncerait une grande fourchette dans le cerveau.

Je songe, in petto (car elle ne comprend pas l’italien, Dieu merci bien) qu’il faudrait que les dents de ladite fourchette fussent rudement fines et acérées pour arriver à se planter dans une chose aussi menue.

Mais le temps des gouailleries n’est point encore revenu. Nous vivons un drame, il convient de lui faire front.

— Où est Aïcha ?

— Dans la chambre.

— Et où est la chambre ?

— Dans le living.

— Allez respirer à l’air libre, mon enfant. Pourquoi ai-je décidé de la sorte ?

Parce que mon instinct ne se trompe jamais. Ou rarement, et en cas d’erreur j’ai le droit de faire appel à tous. San-Antonio, tel un cheval sauvage, se précipite dans le logis. Exigu, mais coquet. Il comporte une assez vaste pièce pourvue de deux renfoncements servant de chambre. Une salle d’eau, une entrée-kitchenette. L’essentiel.

La môme Aïcha gît sur une couche basse. Son souffle est encombré de râles. Elle a les yeux révulsés.

« Seigneur, me dis-je, car je m’interpelle volontiers dans les cas d’urgence, il y a quelque chose dans cet appartement qui y fout la mort. Dix secondes pour le découvrir ! »

Je pirouette sur un seul talon, admirable pivot autour duquel ma personne accomplit trois cent soixante degrés sans escale ni coup férir.

Vu ! C’est là, c’est beau, c’est énorme.

Je me précipite alors sur la gosse, la prends dans mes bras pieuvresques, me sauve sur le palier. Au bout du couloir : l’ascenseur. Je descends ma jolie Aïcha dans le hall où de magnifiques plantes grasses font semblant d’être fausses. Une banquette de rotin. Je l’y dépose. Son pouls est chamadeur à outrance. Des gens se la radinent, la petite femme de service en tête, qui dit qu’elle se sent mieux, preuve que son nez fonctionne. Elle a déjà rameuté l’hosto et une ambulance va se pointer.

Le gars mézigue, fils unique, aîné et préféré de Félicie, s’émoustille. Je remonte à l’appartement, en prenant grand soin, lorsque je m’y trouve, d’établir un courant d’air et de garder mon mouchoir devant mes voies respirantielles. J’explore, d’une main, le secteur de mort. En deux attentats trois mouvements de foule, j’ai trouvé. Bravo, San-Antonio !

Je sors dans la merveilleuse nuit marocaine, si richement cloutée d’étoiles, comme ça s’écrivait dans les books du dix-neuvième. L’air tiède sent le jasmin et les pieds, la fleur d’oranger aussi, un tantisoit.

Par quoi continué-je ?

Mentalement, je récapitule les multiples périphéries de la journée. T’as que l’embarras de voitures du choix, mecton. Tiens, si je m’offrais une mignonne virouze à l’hôtel El Chibr, pour dire ?

L’hôtel El Chibr, tu te rappelles ? Il figure sur les fafs de location de la voiture de mon vénérable tueur. Son nom, à cézigue ? Du moins son nom opérationnel, tu te le souviens ? Roumain. Flavius Tedseuquitu. Né en 1908 à Bucarest (Puy-de-Dôme). Domicilié à London, 120 Grattefor Street. Tout dans le citron, l’Antoine. Pine et mémoire d’éléphant, tels sont ses atouts majeurs pour affronter l’Asie Mineure.

Je débotte devant un établissement ultra-moderne qui s’inspire vaguement du style marocain, mais interprété dans le verre et le béton. Le concierge, derrière son bioutifoule comptoir en forme de rose des sables stylisée, paraît interpréter, lui, une féerie pour matinée de Noël, avec son uniforme bleu clouté d’or, son jabot jaune pâle, ses cheveux gris mousseux et sa tronche d’ancien boxeur arabe reconverti dans l’hostellerie.

Je lui réclame M. Tedseuquitu.

Il virgule un œil à son tableau de marche.

— Chambre 41, mais il n’est pas rentré, m’avertit-il (ou Néfertit-il, s’il est égyptien).

Là-dessus il laisse tomber son nez en forme de tubercule malmené sur de la paperasse.

Je fais mine d’attendre un peu, puis m’abstrais pour gagner le couloir des chambres, car cet hôtel est de plain-pied et décrit un double vé dans une palmeraie enrichie de rosiers et de jasmins.