La fifille au vieux journaliste-tueur sait ce qu’elle veut, le réclame et l’obtient. Moi, tu me connais sur le bout du nœud ? Eh bien, jamais encore je n’ai été le partenaire d’un tel numéro de haute voltige. Tu me crois ? Jure-moi que tu me crois, sinon je ne te dirai plus rien ; ne voulant pas partir en cinocherie pour des sceptiques irrécupérables, toujours à ricaner sur tout et le reste, qui te brandissent leur incrédulité comme si c’était une glorieuse bannière flottant au-dessus de leur connerie pour la transmuter en intelligence de bistrot.
Bon, puisque tu me donnes ta parole (je n’exige pas ta parole d’honneur, tu ne saurais pas de quoi je parle) de considérer comme authentiques les faits ci-dessous, je te les fais part, en espérant que vous ferez bon ménage, eux et toi et que vous aurez de nombreux z’enfants.
Lorsque je suis dûment installé dans l’entresol de mam’zelle Bout-de-Chou, tu veux que je te dise tout ? Elle me noue ses gambettes à la taille, puis, follement téméraire, largue la chaise.
T’as bien lu, Bazu ? Elle n’a plus d’autre point d’appui que moi. Atlas ! Atlas devant l’Atlas ! Fresques !
— Tournez ! Tournez ! elle écrie.
Du cirque, je te dis ! Barnum !
Docilement, j’amorce un arc de cercle.
— Plus vite, plus vite !
J’accélère. La force centrichose se met de la partie. Il s’ensuit un phénomène pousso-contracto-coïto-pétardant qui fait brailler la gosse comme le son du boa au fond du corps d’Alfred (pas le Capricieux, l’autre, le grand veneur).
Soucieux de parfaire et d’assister, je lui prends les mains. Arc-bouté je monte la giration. Le grand frisson ! Foire du Trône. Vzoooouuuu Vzoooouuu ! Mon manège à émoi, sétois, que dit mon cher Constantin. Valsez, saucisse ! Une, deux trois ; une, deux trois ! Encore ! A l’envers, maintenant !
— Yes ! Oh ! Yes, again ! elle clame, la nière.
Bon, si ça l’amuse, moi je veux bien.
Elle enchaîne :
— Attention, je vais lâcher les jambes.
Et c’est vrai. La voilà qui dénoue ses flûtes mutines de mon autour. Les recroqueville en position de fœtus (c’est une femme fœtale). Elle est de plus en plus mignarde, la gosse.
— Attention, je vais tourner sur moi-même, qu’elle n’annonce.
Ses doigts se décroisent des miens. Non, je rêve ! On va vers l’impossible, les gars ! Reusement que ma présence d’esprit est accompagnante. J’imprime la rotation de mes mains libres en exerçant sur ses jolies fesses une poussée de gauche à droite égale au poids du liquide déplacé. Et on entre alors de plein cul dans le système solaire, mon bon ami. Véra, tu sais quoi ? L’exclamation de Galilée emprisonné pour avoir su avant tout le monde (y a rien de plus condamnable ici-bas) me monte au cerveau : « Et pourtant, elle tourne ! »
Oui, ce délicat petit être, cette fille si menue qu’en étant un peu moins grande elle aurait pu être naine, cet objet d’art vivant, salope de haut niveau, me tourne autour du zigomar à empennage scabreux (non, vraiment, c’était pas l’empenne, non vraiment c’était pas l’empenne, c’était pas l’empenne assurément, de changer de gouvernement).
Fou, non ? Oui, bon !
Je t’avais dit qu’il fallait beaucoup de conviction profonde et de confiance en ton Sana pour croire une connerie pareille.
Mais alors, mais alors là, mon Gaston de bois, de fer ou de carton, mais alors alors, on touche au sursublime, à l’hypersuper, au Mitterrandisme absolu, au Giscardisme total, au Chiraquisme de pointe. Bon, dans l’Histoire de l’humanité, y a eu quoi ? La roue, le feu, le fer, la pénicilline, le Coca-Cola et, tu veux que je lâche le tout grand mot ? Et ça. Oui, ça, je l’écris en toutes lettres, déplorant que le mot n’en comporte pas davantage pour l’affirmer plus copieusement. Ça ; ce vertige, cet exploit, cet effarement sexuel, ce débordement intensiel. Ça : elle, moi, son cul, mon paf, nous quatre, eux deux, et des lois physiques qu’Archimède, je lui pisserai au cul, tout de suite après que j’aurai récupéré mon matériel de miction dangereuse, provisoirement adapté à du plus noble, à de l’in-fer-nal, voilà les trois mots que je cherchais. Satan conduit le bal, le trou de bal, je sens bien. Je l’entends ricaner !
Non, c’est la sonnerie du téléphone.
Nain porte. Qu’il gredouille, tintoche, vrillonne. Je refuse, le téléphone, je sodomise Graham Bell.
Ça berlute un bon moment. Puis plus rien. La môme fait encore l’hélice un instant. Mais l’immense cri qu’elle libère me donne à penser que le vertige qui suivra ne sera plus que du tournis. Alors je dégage les aérofreins.
Holà ! Mollo ! Doucement ! Tout beau ! Là, là… Gentil. Hop ! Terminé !
Galant de bout en train, je vais déposer miss sur un canapé pour lui rendre congé. Pas brutal, tout dans le suave. Je pense à la reine d’Angleterre, moi. Je me dis, comment comporterais-je, s’il s’agissait d’elle si glorieuse ? Alors, hein : piano. Merci ! Ça va. Pas trop meurtrie ? Un peu de scotch pour retrouver des pulsations normales ? Deux doigts ? Dans quel sens ? Comme d’habitude ? Et ce fut convenable, ma chérie ? Juste comme vous aimez ? A la limite de la prouesse, avec un zeste de soudardise ? Bravo !
Et, peu tout de suite après cette mémorable séance patronnée par Moulinex, le bigophone remet la gomme.
— Répondez, please, demande la chevrette brisée.
Je décroche.
— Allô ! me dit une voix, ici le concierge, pourrait-on informer miss Tedseuquitu que deux policiers sont dans le hall, qui désirent lui parler ?
— Miss Tedseuquitu est en train de se rafraîchir la babasse, concierge, réponds-je. Elle en a pour quelques minutes, veuillez prier ces messieurs de l’attendre au bar, elle s’y pointera dès le dernier coup de serviette nid-d’abeille donné.
Je raccroche, soucieux, à présent, d’accoucher la mutine de ce qu’elle pourrait m’apprendre.
Elle est lovée sur le canapé, le joufflu toujours à l’air, délicat, préhensile comme une main d’homme ou une queue de singe, à moins que ce ne soit le contraire.
— Qu’est-ce que c’est ? soupire la vaporeuse.
— Des gens qui vous demandent.
— Ce doit être de la part de papa ?
— C’est très possible. Mais dites-moi, ma raffinée, vous ne rencontrez jamais personnellement les gens que votre cher vieux papa a charge d’interviewer ?
— Oh ! non ; j’ignore qui ils sont la plupart du temps. Vous, par exemple, daddy m’a dit que vous apparteniez à la littérature française et que vous étiez l’un des cinq grands écrivains de ce siècle.
— Les quatre autres étant ? ne puis-je me retenir de bougonner, déjà sur le qui-vive.
Tu nous connais, nous autres, littérateurs : toujours jalminces des lauriers d’autrui, soucieux de ne pas se laisser enfermer dans n’importe quel tabernacle. La gloire, d’accord, mais sans partage, ou alors demander les fafs des autres, savoir s’ils sont qualifiés.