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— Daddy ne l’a pas précisé.

— Il aura voulu parler de Proust, Céline, Dutourd et Cohen, conclus-je, encore que Proust, hein ? La place de la Madeleine, ça commence à bien faire. Donc, en réalité vous ignorez le comportement professionnel de votre papa ?

— Je ne le connais qu’au niveau des préparatifs.

— Vous voyagez beaucoup ?

— Dans le monde entier.

— Vous lisez ses articles du Corner ?

— Le Corner est une revue littéraire vendue uniquement par abonnement, mon père qui est la modestie même refuse de le recevoir.

Pas curieuse, fifille. Nympho, mais laissant licebroquer le mérinos. Femme-jouet, femme-d’amour. La toupie ronfleuse, O.K., m’sieur Jules. La vie d’hôtel : banco ! Pour ce qui est du reste, elle s’en remet à son vieux. Dis, elle va y trouver une paille, à présent que la voilà orpheline.

Gentil couple : le dabe et sa jeune fille. Bon chic, bon genre britannoche. Flanelle de qualité, maintien, carabine truquée. Thé à five o’clock. Mam’selle se fait bourrer pendant que le father remplit ses petits contrats jolis. La vie est chouette.

Et puis crac ! le grain de sable. Un branque de pseudo-détective privé qui ne sait pas utiliser sa pétoire, et tout est foutu ! La môme Véra plonge la tête la première dans le malheur. Elle va retrouver dans un instant les pénibles réalités.

— Bon, vous devriez descendre au salon rejoindre ces policiers.

Elle écarquille.

— Des policiers ?

— Il paraît !

— Mon Dieu, serait-il arrivé quelque chose à mon père ?

Je regarde ailleurs, qu’à quoi bon la réconforter puisque le chagrin est déjà à l’affût à quelques mètres de là. Elle va mettre un peu d’ordre dans sa mise (et c’est pile le mot que j’aurais choisi s’il ne s’était imposé à moi) tandis que je m’hâte de dépunaiser mes portraits pieds et face. Je les roule pour les emporter sans attirer l’attention.

Véra s’élance hors de la salle de bains. J’attends qu’elle ait pris quelque avance et je me carachose à mon tour.

Mais comme je m’apprête à passer le seuil, le téléphone retentit pour la troisième fois. Mon hésitance est de choucroute durée. En trois enjambées, je vais au combiné et le défourche.

— J’écoute ?

— Flavius ? demande une voix basse et anglaise.

— Yes, mens-je brièvement.

— Où en sommes-nous ?

Je ne perds pas de temps à composer un beau texte claudélien.

— It’s right ! je soupire.

— No problem ?

— Never (Nièvre).

Et je risque, baissant le ton :

— Il serait indispensable que je vous voie.

— Il vaut mieux pas.

— C’est capital, je ne peux pas parler de ça au téléphone.

— Bon, en ce cas vous savez où me trouver !

Et le gus raccroche.

In the babe, comme disent les pâtissiers londoniens.

Je dépote mon jacteur et forme le numéro du standard. Une voix de très jolie jeune fille brune avec un grain de beauté sur la joue gauche et un autre en haut de la cuisse droite, me demande ce que je désire.

— Ici l’appartement 41, je viens de recevoir un appel téléphonique dont j’aimerais connaître la provenance.

La jeune fille du standard à la robe verte pépie :

— Les chambres sont équipées de lignes directes, monsieur, il n’est pas possible de déterminer l’origine des appels.

— Merci, ma jolie.

Pour dire de, je vais explorer l’armoire du vieux, ainsi que sa valtoche. Dans la poche à soufflet d’icelle je découvre un gros rasoir électrique pouvant se transformer en pistolet, le cas échéant. Sinon, rien de particulier à signaler.

Je me masse la nuque, perplexe.

Ce coup de grelot ? Probablement un complice du vieux ? Son commanditaire, peut-être même ? Il croit que le contrat a été rempli. Il pense que je suis clamsé et que pépère projette encore de devenir centenaire. Putain d’Adèle ! Si je pouvais au moins savoir où il crèche, ce gonzier. Je ferme les châsses et rembobine la bande son pour me faire repasser sa voix, de mémoire.

Faisons l’autopsie de cette voix, si tu le veux bien, et si tu ne le veux pas, va t’acheter des fraises, il doit rester du sucre en poudre dans le placard.

Primo : voix britannique. Indiscutable.

Deuxio : voix placide de quelqu’un qui ne s’émeut en aucune circonstance.

Troisio : voix un tantisoit grasseyante. Son propriétaire est soit un homme enrhumé, soit un homme fort.

Bon, ça nous mène à qui, ça ? T’as pas une petite idée ? Avec ma pomme, t’as pourtant toujours été à bonne école, non ?

Eh oui, mon chérubin, eh oui : je ne puis m’empêcher de songer à Adam Delameer, ce gros faux mort presque veuf, devenu homme zéro sous l’identité provisoire du docteur Jess O’Meil.

Alors, tout naturellement, au lieu de m’en vatre (ou de m’en aller, au cas où tu pigerais pas mes lubies), je m’installe dans le fauteuil, le biniou sur mes genoux, l’annuaire de Marrakech ouvert sur la table basse en verre fumé.

Rubrique des hôtels. Partout j’attaque de la même manière incisive, canine et presque molaire :

— Docteur Jess O’Meil, s’il vous plaît !

D’un ton tellement péremptoire que même s’il n’est pas laguche, le bon doc, faut me le passer, sinon je casse.

Et pourtant, partout c’est la ritournelle :

— Comment dites-vous ? Jess O’Meil. Attendez, je vérifie…

Le petit moment mesquin, pour moi plein de suspense, puis la voix de mon correspondant :

— Nous n’avons pas de client à ce nom, je regrette.

Et moi donc ! Qu’est-ce qu’ils m’en ont foutu du faux docteur Jess O’Meil, les gars de Marrakech, tu peux me l’apprendre ?

Je fais tous les hôtels, par ordre alphabétique, et puis les établissements inscrits à « Résidence », les autres marqués à « Club-houses », et encore des machinchouettes pouvant prêter à confuse : nibe ! j’ai pas beau chpile, ce soir, mes braves. Savoir que cette grosse lope d’Adam attend le défunt tonton flingueur à quelques encablures et que je m’enrage à deviner où se peut-il bien être, merde !

Ayant tout passé en revue, je m’affale, bras en croix, gosier sec comme les semelles du mec venant de traverser le Sahara à griffes. J’ai le tournis. Un écœurement physique et moral. Tout ce bigntz, tous ces gens cramponnés à un mystère, et qui butent et qui trichent, s’engueulent, se réconcilient pour mieux s’arnaquer tout de suite après. Des tueurs, des viceloques, un monde noir et gonflé comme un énorme nuage d’orage bourré de merde et d’électricité bien féroce, prêt à déclencher des cataclysmes, à semer foudre et terreur. C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit…

D’abord, tu te berlures pas, mon Tonio, en estimant qu’Adam Delameer est descendu dans un hôtel ? Et s’il l’a fait, tu t’imagines qu’il aura conservé le blaze sous lequel il s’est annoncé à l’hosto pour visionner sa rombière ? Docteur Jess O’Meil, sujet irlandoche, ça allait chez les blouses vertes, ça tombait dans le canevas. Mais after, redevenu simple citoyen anonyme, il va se la trimbaler, cette identité bidon ? A d’autres ! Ton gonzier, bout d’homme, il est dans une crèche privée, avec un nom inconnu. Peut-être est-il logé par le consul de Grande-Bretagne ?

Je pense au vieux tueur. Probable que pépère avait ses cas. C’était pas n’importe quel tueur à gages, le Roumain. Mais un spécialiste, un technicien, kif les accordeurs d’orgues (merci, facteur, à demain !). Il devait réserver son savoir à la Maison I.S., London (Nièvre). Ne faire que des extra délicats. Un maniaque du boulot. Son coup des photos en pied, longuement étudiées avant l’entrée en campagne, prouve une nature méticuleuse, un maître ès gâchette.