Выбрать главу

C’était parfaitement exact que je me donnais au boulot !… J’avais pas de quoi me les rouler… du matin au soir… En plus des « cargos » d’imprimeries, j’avais le Zélé à la cave, les infinis rafistolages et puis encore nos pigeons dont il fallait que je m’occupe deux, trois fois par jour… Ils restaient ces petits animaux, à longueur de semaine, dans la chambre de bonne, au sixième, sous les lambris… Ils roucoulaient éperdument… Ils s’en faisaient pas une seconde. C’était le dimanche leur travail, pour les ascensions, on les emmenait dans un panier… Courtial soulevait leur couvercle à deux ou trois cents mètres… C’était le « lâcher » fameux… avec des « messages » !… Ils rentraient tous à tire-d’aile… Direction : le Palais-Royal !… On leur laissait la fenêtre ouverte… Ils flânaient jamais en route, ils aimaient pas la campagne, ni les grandes vadrouilles… Ils revenaient automatique… Ils aimaient beaucoup leur grenier et « Rrou !… et Rrou !… Rrouu !… Rrouu !… » Ils en demandaient pas davantage. Ça ne cessait jamais… Toujours ils étaient rentrés bien avant nous autres. Jamais j’ai connu pigeons aussi peu fervents des voyages, si amoureux d’être tranquilles… Je leur laissais pourtant tout ouvert… Jamais l’idée leur serait venue d’aller faire un tour au jardin… d’aller voir un peu les autres piafs… Les autres gros gris roucoulards qui batifolent sur les pelouses… autour des bassins… un peu les statues ! sur Desmoulins !… sur le Totor !… qui lui faisaient des beaux maquillages !… Rien du tout ! Ils frayaient tout juste entre eux… Ils se trouvaient bien dans leur soupente, ils bougeaient que contraints, forcés, tassés en vrac dans leur cageot… Ils coûtaient quand même assez cher, à cause de la graine… Il en faut des quantités, ça brûle beaucoup les pigeons… C’est vorace ! on dirait pas ! À cause de leur température tout à fait élevée normalement, quarante-deux degrés plus quelques dixièmes… Je ramassais soigneusement la crotte… J’en faisais plusieurs petits tas tout le long du mur et puis je laissais tout sécher… Ça nous dédommageait quand même sur leur nourriture… C’était un engrais excellent… Quand j’en avais plein un sac, à peu près deux fois par mois, alors Courtial l’emportait, ça lui servait pour ses cultures… À Montretout sur la colline. Il avait là sa belle maison et puis son grand jardin d’essais… y avait pas un meilleur ferment…

Je m’entendais tout à fait bien avec les pigeons, ils me rappelaient un peu Jonkind… Je leur ai appris à faire des tours… Comme ça à force de me connaître… Bien sûr, ils me mangeaient dans la main… mais j’obtenais beaucoup plus fort, qu’ils tiennent tous les douze ensemble perchés sur le manche du balai… J’arrivais ainsi, sans qu’ils bougent, sans qu’un seul veuille s’envoler, à les descendre… et les remonter du magasin… C’était vraiment des sédentaires. Au moment de les foutre dans le panier quand il fallait bien qu’on démarre ils devenaient horriblement tristes. Ils roucoulaient plus du tout. Ils rentraient la tête dans les plumes. Ils trouvaient ça abominable.

Deux mois ont passé encore… Peu à peu comme ça Courtial il s’est mis bien en confiance. Il était maintenant persuadé qu’on était faits pour s’entendre… Je présentais bien des avantages, j’étais pas très difficile sur la nourriture ni sur la rétribution ni sur les heures de boulot… Je récriminais pas chouia !… Pourvu que je soye libre le soir, qu’après sept heures on me foute la paix, je me considérais bien servi…

À partir de la minute où il barrait prendre son train je devenais moi le seul patron du bastringue et du journal… J’éliminais les inventeurs… Je leur donnais la bonne parole et puis je m’élançais en croisière, souvent vers la rue Rambuteau, avec la carriole au cul, pour le départ des « Messageries », une pleine brouette de « cancans ». Au début de la semaine, j’avais toute la morasse à reprendre, les typos, le clichage, les gravures. Ça faisait en plus des pigeons, du Zélé, des maintes autres bricoles, un manège qui n’arrêtait pas… Lui, il remontait vers son bled. Il avait là-bas, qu’il me disait, du travail urgent. Hum ! La néo-agriculture !… qu’il me racontait comme ça sans rire… mais je croyais bien que c’était du bourre… Quelquefois il oubliait de revenir, il restait deux, trois jours dehors… J’étais pas inquiet pour ça… Je me détendais un peu, j’en avais besoin… Je donnais à bouffer aux oiseaux là-haut dans les combles, et puis j’accrochais ma pancarte : « C’est fermé pour aujourd’hui » en plein milieu de la vitrine… J’allais m’installer peinard sur un banc dessous les arbres, à proximité… De là je surveillais la cambuse, les allées et venues… Je regardais venir le monde, toujours la même bande de cloches, les mêmes maniaques, les mêmes tronches d’hagards, la horde des râleux, des abonnés récalcitrants… Ils se cognaient dans l’inscription. Ils saccageaient le bec-de-cane, ils se barraient, j’étais bien content.

Quand il revenait de sa bordée, l’autre polichinelle, il avait une drôle de mine… Il me regardait curieusement pour voir si je me gourais pas…

« J’ai été retenu, tu sais, l’expérience était pas au point… Je croyais jamais en sortir !…

— Ah ! Ça c’est dommage, que je faisais… J’espère que vous êtes content ?… »

Peu à peu, de fil en aiguille, il m’en a dit davantage, encore un peu plus tous les jours, il m’a donné tous les détails sur tous les débuts de son business. Y en avait des pas ordinaires ! Des trucs à se faire bien étendre. Comment ça s’était goupillé, et puis tous les aléas, les condés les plus périlleux, les petites ristournes en profondeur… Enfin, il m’a bien affranchi, ce qui devient tout à fait rare, si on songe un petit instant à son caractère saligaud, à ses méfiances innombrables, à ses déboires calamiteux… C’était pas un homme qu’aimait se plaindre… Il en avait eu des échecs et des contredanses ! À pas croire vraiment !… C’était pas toujours la pause, le trafic, la copinerie des inventeurs !… Il faut pas confondre Chacals ! Chacos !… et petites saucisses !… Ah ! non ! Y en avait parmi, de temps en temps, qu’étaient des véritables sauvages, absolument diaboliques, qui ressautaient comme des mélinites dès qu’ils se sentaient enveloppés… Évidemment pourtant bien sûr on peut pas contenter tout le monde ! Le diable et son train ! Ça serait trop commode ! J’en savais moi-même quelque chose !… Il me donnait à ce propos-là un exemple de malignité qu’était vraiment terrifique. Jusqu’où ça pouvait conduire…

En 1884, il avait reçu commande par les éditeurs de L’Époque Beaupoil et Brandon, Quai des Ursulines, d’un manuel d’instruction publique destiné au second programme des Écoles Préliminaires… Un travail forcément succinct, mais fignolé cependant, élémentaire certes, mais compact ! Spécifiquement condensé… L’Astronomie domestique s’intitulait cet opuscule et puis par la même occasion : Gravitation. Pesanteur. Explications pour les Familles. Il se précipite donc au boulot… Il s’y colle séance tenante… Il aurait pu se contenter de livrer à la date convenue un petit ouvrage en bref, expédié à la va-je-te-pousse ! à coups d’emprunts malencontreux dans les « Revues » étrangères… Des citations momentanées… mal tronquées ! Perverties ! Hâtives ! et bâtir six, quatre ! deux ! une nouvelle cosmogonie encore mille fois plus miteuse que toutes les autres miniatures, entièrement fausse et sans raison… Complètement inutilisable ! Courtial, on le savait d’avance, ne mangeait pas de ce pain-là. C’était une conscience ! Son souci majeur, avant tout, avant de se mettre à l’ouvrage, c’était des résultats tangibles… Il voulait que son lecteur en personne lui-même se forme sa propre conviction, par ses propres expériences… quant aux choses les plus relatives, des astres et de la pesanteur… Qu’il découvre lui-même les lois… Il voulait ainsi l’obliger ce lecteur, toujours fainéasson, à des entreprises très pratiques et point seulement le contenter par une ritournelle de flatteries… Il avait ajouté au livre un petit guide de construction pour le « Télescope Familial »… Quelques carrés de cartonnage fournissaient la chambre noire… Un jeu de miroirs pacotille… un objectif ordinaire… Quelques fils plombés… un tube d’emballage… On s’en tirait en suivant strictement les clauses pour dix-sept francs soixante-douze (devis au carat)… Pour ce prix (en plus de ce passionnant et si instructif montage) on devait obtenir chez soi, non seulement une vue directe des principales constellations, mais encore des photographies de la plupart des grands astres de notre zénith… « Toutes les observations sidérales à la portée des familles »… C’était la formule… Plus de vingt-cinq mille lecteurs, dès la parution du manuel, se mirent sans désemparer à la construction de l’objet, le merveilleux appareil photosidéral miniature…