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Mais en plus y avait les démarches, les préliminaires… Ce condé des ascensions c’était pas un nibé tout cuit !… Il faudrait pas croire… Ça se préparait, ça se boutiquait, ça se discutait des mois et des mois d’avance… Il fallait qu’on corresponde par tracts, par photographies. Semions la France de prospectus !… Repiquer tous les notables !… se faire salement agonir par les Comités festoyeurs, toujours énormément radins… En plus donc des inventeurs nous recevions pour le Zélé un courrier du tonnerre de Dieu !…

J’avais appris avec Courtial à rédiger genre officiel. Je me débrouillais pas trop mal… Je ne faisais plus beaucoup de fautes… Nous avions un papier « ad hoc » pour la conduite des pourparlers avec un en-tête de bon goût « Section Parisienne des Amis du Ballon Libre »…

On baratinait les mairies dès la fin de l’hiver ! Les programmes pour la saison s’élaboraient au printemps !… Nous devions, nous autres, en principe, avoir déjà tous nos dimanches entièrement retenus un peu avant la Toussaint… On harcelait par téléphone tous les présidents de Comités. C’était encore moi dans ce coup-là, qui me tapais la poste. J’y allais aux heures d’affluence… J’essayais de trisser sans douiller ! Je me faisais recueillir à la porte…

On avait lancé nos appels pour toutes les foires, les réunions, les kermesses, dans la France entière ! Y avait pas de petits endroits ! Tout était mangeable et possible ! Mais de préférence, bien sûr, on essayait malgré tout de pas s’éloigner de Seine-et-Oise… Seine-et-Marne au plus ! C’était les transports du bastringue qui nous foutaient tout de suite à cul, des sacs, des bonbonnes, de la came, de tout notre fourniment bizarre. Pour que le jeu vaille la chandelle, il fallait qu’on soye rentrés le soir au Palais-Royal. Sinon c’était du débours ! Courtial, il présentait un devis vraiment étudié au plus juste ! Tout à fait modeste et correct : deux cent vingt francs… Gaz pour le gonflage en plus, pigeons au « Lâcher » deux francs pièce !… On stipulait pas la hauteur… Notre rival le plus connu et peut-être encore le plus direct, c’était le capitaine Guy des Roziers, il demandait lui, bien davantage ! Sur son ballon LIntrépide il faisait des tours périlleux !… Il montait avec son cheval, il restait en selle tout là-haut ! à quatre cents mètres garantis !… Il coûtait cinq cent vingt-cinq francs, retour payé par la Commune. Mais ceux qui nous damaient le pion encore plus souvent que l’écuyer, c’était l’italien et sa fille « Calogoni et Petita »… Ceux-là, on les retrouvait partout ! Ils plaisaient énormément, surtout dans les garnisons ! Ils étaient extrêmement coûteux, ils faisaient au ciel mille cabrioles… Ils lançaient en plus des bouquets, des petits parachutes, des cocardes, à partir de six cent vingt mètres ! Ils demandaient huit cent trente-cinq francs et un contrat pour deux saisons !… Ils accaparaient réellement…

Lui Courtial, son genre, son renom c’était pas du tout à l’esbroufe ! Pas la performance dramatique ! Non ! C’était tout à fait le contraire ! La manière nettement scientifique, la fructueuse démonstration, l’envol expliqué, la jolie causerie préalable, et pour terminer la séance le gracieux « lâcher » des pigeons… Il les prévenait lui-même toujours, en petit laïus préliminaire : « Messieurs, Mesdames, Mesdemoiselles… Si je monte encore à mon âge, c’est pas par vaine forfanterie ! Ça vous pouvez croire ! Par désir d’épater les foules !… Regardez un peu ma poitrine ! Vous y verrez épanouies toutes les médailles les plus connues, les plus cotées, les plus enviées de la valeur et du courage ! Si je monte, Mesdames, Messieurs, Mesdemoiselles, c’est pour l’instruction des Familles ! Voilà le but de toute ma vie ! Tout pour l’éducation des masses ! Nous ne nous adressons ici à aucune passion malsaine ! non plus qu’aux instincts sadiques ! aux perversités émotives !… Je m’adresse à l’intelligence ! À l’intelligence seulement ! »

Il me répétait pour que je sache : « Ferdinand, souviens-toi toujours que nos ascensions doivent conserver à tout prix leur cachet ! L’estampille même du Génitron… Elles ne doivent jamais dégénérer en pitreries ! en mascarades ! en fariboles aériennes ! en impulsions d’hurluberlus ! Non ! Non ! et non ! Il nous faut rester dans la note, dans l’esprit même de la Physique ! Certes, nous devons divertir ! ne pas l’oublier ! Nous sommes payés pour cela ! C’est justice ! Mais mieux encore, si possible, susciter chez tous ces rustres l’envie d’autres notions précises, de connaissances véritables ! Nous élever certes. Il le faut. Mais élever aussi ces brutes, celles que tu vois, qui nous entourent, la gueule ouverte ! Ah ! c’est compliqué, Ferdinand !… »

Jamais, c’est un fait, il n’aurait quitté le sol, sans avoir avant toute chose dans une causerie familière expliqué tous les détails, les principes aérostatiques. Pour mieux dominer l’assistance, il se juchait en équilibre sur le bord de la nacelle, extraordinairement décoré, redingote, panama, manchettes, un bras passé dans les cordages… Il démontrait, à la ronde, le jeu des soupapes et des valves, du guiderope, des baromètres, les lois du lest, des pesanteurs. Puis entraîné par son sujet, il abordait d’autres domaines, traitant, devisant, à bâtons rompus toujours, de la météorologie, du mirage, des vents, du cyclone… Il abordait les planètes, le jeu des étoiles… Tout arrivait à lui sourire : l’anneau… les Gémeaux… Saturne… Jupiter… Arcturus et ses contours… La Lune… Belgerophore et ses reliefs… Il mesurait tout au jugé… Sur Mars, il pouvait s’étendre… Il la connaissait très bien… C’était sa planète favorite ! Il racontait tous les canaux, leurs profils et leurs trajets ! leur flore ! comme s’il y avait pris des bains ! Il tutoyait bien les astres ! Il remportait le gros succès !

Pendant qu’il bavait, ainsi juché, à la cantonade, captivant la foule, moi je faisais un peu la quête… C’était mon petit supplément. Je profitais de la circonstance, des palpitations, des émois… Je piquais à travers les rangées. Je proposais du Génitron à douze pour deux sous ! des invendus, des petits manuels dédicacés… des médailles commémoratives avec le ballon minuscule, et puis pour ceux que je biglais, qui me paraissaient les plus vicelards… dans le tassement qui menaient un pelotage… j’avais un petit choix d’images drôles, amusantes, gratines… et des transparentes qui remuaient… Ces rare que je liquide pas tout… L’un dans l’autre, avec un peu de veine, j’arrivais à me faire vingt-cinq points ! C’était une somme pour l’époque ! Dès que j’avais tout rétamé, que j’avais fait ma récolte, je filais un petit signe au maître… Il renversait sa vapeur… Il bloquait sa parlerie… Il redescendait dans son panier… Il rajustait son panama… Il amarrait toutes ses tringles, il dénouait la dernière écoute, et il décalait tout doucement. J’avais plus que le suprême filin… C’est moi qui donnais : « Lâchez tout »… Il me renvoyait un coup de son bugle… Guiderope à la traîne… Le Zélé prenait l’espace !… Jamais je l’ai vu s’envoler droit… Il était flasque dès le début. On le gonflait, pour bien des raisons, qu’avec une extrême réserve… Il barrait donc en traviole… Il chaloupait au-dessus des toits. Ça faisait avec ses raccrocs un gros arlequin en couleurs… Il batifolait dans les airs en attendant un vrai coup de brise… il pouvait bouffir qu’en plein vent… Tel un vieux jupon sur la corde, il était calamiteux… Même les plus bouseux campagnols ils s’apercevaient bien de la chose… Tout le monde se marrait de le voir partir tituber dans les toits… Moi je rigolais beaucoup moins !… Je le prévoyais l’horrible accroc, le décisif ! Le funeste ! La carambouille terminale… Je lui faisais mille signes d’en bas… qu’il laisse choir tout de suite le sable !… Il était jamais très pressé… il avait peur de monter trop… C’était pas tellement à craindre !… Question qu’il s’éloigne c’était guère possible, vu l’état des toiles !… Mais le bec dont je me gourais, c’était qu’il rechute en plein village… Ça c’était toujours à deux doigts et la perte avec… qu’il vienne frôler dans l’école… qu’il emmène le coq de l’église… qu’il s’enfourche dans une gouttière !… Qu’il s’arrête en pleine mairie !… qu’il s’écroule dans le petit bois. Ça suffisait amplement s’il arrivait à gagner ses cinquante ou soixante mètres… je calculais au petit bonheur… c’était le maximum… Son rêve à Courtial, dans l’état de son attirail, c’était de ne jamais dépasser le premier étage des maisons… Ça pouvait s’admettre facilement… Après ça devenait de la folie… D’abord on aurait jamais pu la gonfler à bloc sa besace… Avec une, deux bonbonnes en plus, ça se serait fendu à coup sûr et du haut en bas… Il s’écarquillait en grenade de la soupape à la valve !… Après qu’il avait franchi la dernière chaumière, dépassé les derniers enclos, alors il faisait le vide du sable. Il se décidait, il culbutait tout son restant… Quand il avait plus de lest du tout… ça lui faisait faire un petit bond… Une saccade d’une dizaine de mètres… C’était l’instant des pigeons… Il ouvrait vivement leur panier… Les bestioles filaient comme des flèches… Alors, c’était aussi le moment que je démerde pour mon compte… C’était son signe de la descente !… Je peux dire que je trissais vinaigre… Il fallait faire du tragique pour ameuter les croquants !… qu’ils radinent tous après le ballon… qu’ils nous aident vite à tout replier… l’énorme camelote en valdraque… à tout rembarquer à la gare… à pousser la charge sur le palan… C’était pas fini ! Le mieux qu’on avait découvert pour qu’ils se barrent pas tous à la fois… qu’ils se manient encore pour nous autres, qu’ils accourent à la suite en foule, c’était de leur jouer la catastrophe… Ça prenait presque à coup sûr… Autrement nous étions roustis… pour qu’ils s’y colletinent au boulot, il aurait fallu qu’on les douille… Du coup, on s’y retrouvait plus !… C’était à prendre ou à laisser…