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Elle me fout son parapluie sous le nez…

« Vous êtes complice ! Ferdinand ! Tenez ! complice ! voilà ! vous m’entendez ! Vous finirez tous en prison !… Voilà où tous vos trucs vous mènent !… Toutes vos roueries ! vos salopages !… vos dégueulasses manigances !… »

Elle retombait dans son fauteuil, les coudes sur les genoux, elle se retenait plus… aux virulentes apostrophes succédait la prostration… elle bredouillait dans les sanglots !… Elle remplissait sa voilette ! Elle me racontait toute l’affaire !…

« Allez, je suis bien au courant !… Jamais je voulais venir ! Je savais bien que ça me ferait du mal !… Je sais bien qu’il est incorrigible !… Ça fait trente ans que je le supporte !… »

Là-bas, elle était tranquille… à Montretout, pour se soigner. Elle était fragile… Elle aimait plus à se déplacer, à sortir de son pavillon… Autrefois… Autrefois ! Elle avait beaucoup bourlingué avec des Pereires… dans les premiers temps de son mariage. Maintenant, elle aimait plus le changement… Elle aimait plus que son intérieur… Surtout à cause de ses épaules et de ses reins extrêmement sensibles… Si elle se trouvait prise dehors par la pluie ou par un coup de froid, elle en avait pour des mois ensuite à souffrir… Des rhumatismes impitoyables, et puis une bronchite très tenace, un véritable catarrhe… Comme ça tout l’hiver dernier et encore l’année d’avant… Parlant des affaires, elle m’a expliqué en détail que leur pavillon était pas fini d’être payé… Quatorze ans d’économies… Elle me prenait par la raison et aussi par la douceur.

« Mon petit Ferdinand ! Mon petit ! Ayez pitié d’une vieille bonne femme !… Moi, je pourrais être votre grand-mère, ne l’oubliez pas ! Dites-moi, s’il vous plaît ! Dites-moi, je vous en prie ! S’il est vraiment perdu le Zélé ? Avec Courtial je me méfie, je ne sais jamais… Tout ce qu’il me raconte, je peux pas y croire… Comment s’y fier ?… Il est toujours tellement menteur !… Il est devenu tellement fainéant… Mais vous, Ferdinand ! Vous voyez bien dans quel état !… Vous comprenez mon chagrin !… Vous n’allez pas maintenant me berner avec des sornettes ! Vous savez, je suis une vieille aïeule !… J’ai bien l’expérience de la vie !… Je peux bien tout comprendre !… Je voudrais seulement qu’on m’explique… »

Il a fallu que je lui répète… Que je lui jure sur ma propre tête qu’il était foutu, déglingué, pourri le Zélé… dehors comme dedans ! Qu’il avait plus un fil convenable dans toute son enveloppe !… Sa carcasse ni son panier… Que c’était plus qu’un sale débris… Un infect tesson… absolument irréparable !…

À mesure que je racontais tout, elle se faisait encore plus de chagrin ! Mais alors elle avait confiance, elle voyait bien que je trompais pas… Elle a repiqué aux confidences !… Elle m’a tout donné les détails… Comment ça se passait les choses, dans le début de leur mariage… Quand elle était encore sage-femme, diplômée de première classe !… Comment elle aidait le Courtial à préparer ses ascensions… Qu’elle avait abandonné à cause de lui et du ballon toute sa carrière personnelle ! Pour ne pas le quitter une seconde !… Ils avaient fait en sphérique leur voyage de noces !… D’une foire à une autre !… Elle montait alors avec son époux… Ils avaient été comme ça jusqu’à Bergame en Italie !… à Ferrare même… à Trentino près du Vésuve. À mesure qu’elle s’épanchait, je voyais bien que, pour cette femme-là, dans son esprit, sa conviction, le Zélé devait durer toujours !… Et les foires de même !… Ça devait jamais s’interrompre !… Y avait pour ça, une bonne raison, une absolument impérieuse… C’était le solde de leur cambuse ! « La Gavotte » à Montretout… Ils devaient encore dessus leur tôle pour six mois de traites et un reliquat… Courtial rapportait plus d’argent… Ils avaient même déjà un retard de deux mois et demi avec cinq délais du foncier… Elle s’en étranglait la voix rien que de raconter cette honte… Ça me faisait songer par le fait, que notre terme à nous était bien en retard aussi pour notre magasin !… Et le gaz alors ?… Et le téléphone !… Il en était même plus question !… L’imprimeur livrerait peut-être encore cette fois-ci… Il savait bien ce qu’il goupillait, le Taponier cette belle engeance ! Il mettrait saisie sur la boîte… Il se la taperait pour des clous !… C’était dans la fouille !… C’était encore lui le plus vicelard !… On était dans des jolis draps !… Je ressentais toute la mouscaille, toute l’avalanche des machetagouines qui me rafluaient sur les talons… C’était mochement compromis l’avenir et nos jolis rêves !… Y avait plus beaucoup d’illusions !… La vieille poupée elle en râlait dans sa voilette !… Elle avait tellement soupiré qu’elle s’est mise un peu à son aise !… Elle a enlevé son chapeau !… J’ai pu la reconnaître d’après le portrait et la description de des Pereires… J’ai eu la surprise quand même… Il m’avait prévenu de la moustache, qu’elle voulait pas se faire épiler… Et c’était pas une petite ombre !… Ça s’était mis à lui pousser à la suite d’une opération !… On lui avait tout enlevé dans une seule séance !… Les deux ovaires et la matrice !… On avait cru dans les débuts que ça serait qu’une appendicite… mais en ouvrant le péritoine, ils avaient trouvé un fibrome énorme… Opérée par Péan lui-même…

Avant d’être ainsi mutilée, c’était une fort jolie femme, Irène des Pereires, attrayante, avenante et charmeuse et tout !… Seulement depuis cette intervention et surtout depuis quatre ou cinq années, tous les caractères virils avaient pris complètement le dessus !… Des vraies bacchantes qui lui sortaient et même une espèce de barbe !… Tout ça c’était noyé de larmes ! Ça coulait abondamment tout pendant qu’elle me causait !… Dans son maquillage, ça dégoulinait en couleurs ! Elle s’était poudrée… plâtrée, fardée tant et plus ! Elle se faisait des cils d’odalisque, elle se ravalait pour venir en ville !… Le volumineux papeau, avec son massif d’hortensias, elle le remettait… il rebasculait… dans la tourmente, il tenait plus à rien ! Il virait à la renverse !… Elle le retapait d’un coup d’aplomb… Elle renfilait les longues épingles… renouait sa voilette encore. Un moment, je la vois qui fouille dans le fond de ses jupons… Elle sort une grosse pipe en bruyère… Ça aussi, il m’avait prévenu…

« Ça gêne pas ici, que je fume ? » qu’elle me demande…

— Non, Madame, mais non, seulement il faut faire attention aux cendres ! à cause des papiers par terre ! Ça prendrait feu facilement ! Hi ! Hi ! » Il faut bien rigoler un peu…

« Vous fumez pas, vous, Ferdinand ?

— Non ! Moi, vous savez, j’y tiens pas. Je fais pas assez attention ! J’ai peur de finir en torche ! Hi ! Hi !… »

Elle se met à tirer des bouffées… Elle crache par terre ! par-ci, par-là !… Elle était un peu calmée !… Elle remet encore sa voilette ! Elle relevait seulement un petit coin avec le petit doigt ! Quand elle a eu terminé complètement sa pipe… Elle a sorti encore sa blague… Je croyais qu’elle allait s’en bourrer une autre !…

« Dites donc, Ferdinand ! qu’elle m’arrête… Une idée qui la traverse, elle se redresse d’un coup… Vous êtes sûr au moins qu’il est pas caché là-haut !… »

J’osais pas trop affirmer… C’était délicat !… Je voulais éviter la bataille…

« Ah ! » elle attend pas ! Elle bondit !… « Ferdinand ! Vous me trompez ! Vous êtes aussi menteur que l’autre !… »

Elle veut plus que je lui explique… Elle m’écarte de son passage… Elle saute dans le petit escalier, dans le tire-bouchon… La voilà qui grimpe en furie… L’autre il était pas prévenu… Elle lui tombe en plein sur le paletot !… J’écoute… j’entends… Tout de suite, c’est un vrai challenge !… Elle lui en casse pour sa thune ! D’abord, il y a eu les paires de beignes ! et puis des vociférations…