« Tu crois que tout ça va lui plaire ?…
— Ah !… que je fais… Je suis bien tranquille… » J’en étais absolument sûr.
Ainsi, tout en bavardant, nous nous rapprochons du journal… On attend encore un peu… Toujours aucun curé en vue ! Ça devenait quand même assez tarte !… Mme des Pereires, fort nerveuse, essayait de remettre un peu d’ordre… Que ça ait pas l’air trop étable… Déjà que c’était normalement une terrible pétaudière, alors depuis cette cohue, y avait plus un sifflet d’espace !… Un fumier énorme !… Un cochon retrouvait pas ses petits… Une litière en pleine éruption… absolument écœurante… du plancher jusqu’au deuxième… papelards fendus, bouquins crevassés, manuels pourris, manuscrits, mémoires, tout ça rendu en serpentins… nuées de confetti voltigeurs… Tous les encartages dépiautés, en vrac, en mélasse… Ils avaient même, ces voyous, embarqué toutes nos belles statues !… Décapité le Flammarion ! Sur l’Hippocrate plaqué en buvard des belles bacchantes toutes violettes… On a extirpé du tumulte avec un mal invraisemblable, trois chaises, la table et le grand fauteuil. On a chassé les clients… On a dégagé un espace pour recevoir le saint homme…
À cinq heures et demie tapant, en retard de seulement trente minutes… le voilà là-bas, qui s’annonce… Je l’aperçois, moi, qui traverse par la Galerie d’Orléans… Il était porteur d’une serviette, une noire extrêmement bourrée… Il entre… On le salue. Il pose son fardeau sur la table… Tout va bien ! Il s’éponge… Il avait dû marcher très vite… Il cherchait son souffle… La conversation débute… C’est Courtial qui mène le train… La vieille, elle, monte à l’Alcazar… elle en redescend quelques dossiers, les plus remarquables !… Y en a déjà un vrai petit choix ! Elle pose le tout près de la serviette. Il sourit agréablement… Il a l’air assez satisfait… Il feuillette comme ça d’un doigt vague… Il pique au hasard… Il semble pas très résolu… Nous attendons, nous ne bougeons pas… qu’il veuille bien faire ses réflexions… Nous respirons très prudemment… Il trifouille encore quelques pages… et puis il plisse toute sa figure !… C’est un tic !… Encore un autre ! Une saccade vraiment hideuse ! Mais c’est la crise !… Comme une vraie transe qui le saisit… Il rejette alors toute cette paperasse… Il balance tout dans la vitrine… Et puis il s’attrape la tétère… Il se la tripote à deux mains. Il se la malaxe, il se la trifouille… Il se pince, il se pétrit tout le menton… et les joues, le gras, les plis, le nez aussi, les oreilles… C’est une satanée convulsion !… Il se rabote les châsses, il se relaboure le cuir chevelu… Et puis brutalement il s’incline… D’un coup il se baisse, le voilà par terre… Il replonge toute la tête dans les papiers… Il renifle toute la masse… Il grogne, il souffle extrêmement fort… Il en étreint une grande brassée et puis… Wouaff !… Il lance tout en l’air !… Il envoie tout dans le plafond… Ça pleut les papelards, les dossiers, les plans, les brochures… On en a partout… On se voit plus… Une fois… deux fois… il recommence ! Toujours poussant des hurlements ! des joyeux !… Il est jubileur ! il gigote… il fouille encore… Les gens s’attroupent devant notre porte… Il retourne toute sa serviette… Il en tire des autres journaux, rien que des coupures, des brasses entières… Il éparpille aussi tout ça… Parmi, je vois bien… y a du biffeton !… J’ai repéré dans la paperasse !… Je les vois qui s’envolent… Je vais piquer les ramasser… Je sais comment faire… Mais voilà deux costauds qui chargent… À coups d’épaule ils branlent la porte… Ils écartent… Ils bousculent la foule. Ils passent. Ils sautent sur le curé. Ils le ceinturent, ils l’écrabouillent, ils le renversent, le bloquent à terre… Ah ! il étrangle la pauvre vache ! Il va râler sous la table… « Police ! » qu’ils nous font à nous… Ils l’extirpent par les nougats… Ils s’assoient sur le malheureux…
« Vous le connaissez depuis longtemps ? » qu’ils nous demandent alors…
C’est des Inspecteurs… Le plus hargneux, il nous sort sa carte… On répond vite qu’on y est pour rien !… Absolument ! Le cureton, il gigote toujours… Il se débat la pauvre tranche… Il trouve moyen de se remettre à genoux… Il pleurniche… Il nous implore… « Pardon !… Pardon !… qu’il nous demande… C’était pour mes petits pauvres… Pour mes aveugles… Pour mes petits sourds et muets… » Il supplie qu’on le laisse quêter…
« Ta gueule ! On te demande rien !… Il est enragé ce sale con-là… T’as pas fini de nous faire l’arsouille !… » Celui qu’a montré sa carte, il lui fout alors un coup de boule tellement sonore et placé, que le cureton il en fait un couac !… Il s’écroule ! Il parle plus !… Ils lui passent tout de suite les menottes… Ils attendent encore un moment… Ils respirent… Ils le requinquent debout à coups de pompes. C’est pas terminé. Il faut encore que Courtial il leur signe une « constatation » et puis encore un autre faf… « dorso-verso »… L’un des bourriques, le moins sévère, il nous explique un petit peu la nature du dabe foliche… C’était vraiment un curé… et même un chanoine honoraire !… M. le Chanoine Fleury !… Voilà comment qu’il s’appelait… C’était pas son premier paillon… ni sa première déconfiture… Il avait déjà fait « bon » tous les membres de sa famille… pour des mille et des milliers de francs… Ses cousins… ses tantes… les petites sœurs de Saint-Vincent-de-Paul… Il avait piqué tout le monde… Les marguilliers du Diocèse… le bedeau et même la chaisière… Il lui devait au moins deux mille francs… Tout ça, pour des entourloupes qu’avaient ni sens, ni principes… Maintenant, il tapait dans la caisse, celle des Sacrements… On l’avait surpris par deux fois… en train de carambouiller le coffret. Tout le « Denier de Jeanne d’Arc » on l’avait retrouvé dans sa chambre forcé au ciseau… Il travaillait du trésor… On s’était aperçu trop tard… Maintenant on allait l’enfermer… C’était son Évêque à Libourne qui réclamait l’internement…
Y avait la foule, sous nos arcades… Ils se régalaient, ils perdaient rien de la belle séance… Et les commentaires allaient fort… Ça ruminait énormément… Ils apercevaient les fafiots qu’étaient répandus dans la case… Mais moi aussi j’avais bien biglé… J’avais eu la présence d’esprit… J’en avais déjà sauvé quatre et une pièce de cinquante francs… Ils poussaient des Ah ! Aha ! Oh ! Oho ! Ils m’avaient bien vu travailler les pougnassons devant la vitrine !… Notre curé, les bourres ils l’ont propulsé dans le gymnase… Il faisait encore des résistances… Il fallait qu’ils repassent par-derrière pour l’embarquer dans un fiacre… Il se cramponnait de toutes ses forces… Il voulait pas partir du tout…
« Mes pauvres ! mes pauvres pauvres !… » qu’il arrêtait pas de mugir. Le sapin est arrivé quand même, après bien du mal…
Ils l’ont halé dans l’intérieur… Il a fallu qu’ils l’arriment, qu’ils le souquent sur la banquette avec de la corde… Il tenait pas quand même en place… Il nous envoyait des baisers… C’est honteux ce qu’ils le torturaient !… Le fiacre pouvait plus démarrer, les gens ils se mettaient devant le cheval… Ils voulaient regarder dans le caisson… Ils voulaient qu’on ressorte le chanoine… Enfin grâce à des autres flics… ils ont dégagé la voiture… Tous les pilonneurs alors ils ont reflué devant la boutique… Ils comprenaient rien ! Ils arrêtaient plus de nous conspuer…
La grande mignonne, tant d’injures, ça lui fit monter la moutarde… Elle a voulu que ça cesse de suite… Elle a fait ni une ni deux… Elle a bondi sur la lourde… Elle ouvre, elle sort, elle se présente, elle les affronte…