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Il m’agrippe toujours, il m’entraîne vers la perspective… vers le côté Sud… De là, c’est exact… on aperçoit tout Paris !… C’est comme une bête immense la ville, c’est écrasé dans l’horizon… C’est noir, c’est gris… ça change… ça fume… ça fait un bruit triste, ça gronde tout doucement… ça fait comme une carapace… des crans, des trous, des épines qui raccrochent le ciel… Il s’en fout, des Pereires, il cause… Il interpelle le décor… Il se redresse contre la balustrade… Il fait la voix grave… Ça porte là-bas… ça s’amplifie au-dessus des carrières d’éboulements…

« Regarde, Ferdinand ! Regarde !… » Je m’écarquille encore un coup… Je fais un effort suprême… Je suis vraiment bien fatigué… Je voudrais pas qu’il remette tout ça…

« Plus loin, Ferdinand ! Plus loin !… La vois-tu à présent la ville ? Au bout ! Tu vois Paris ? La capitale ?…

— Oui ! Oui !… Oui !… C’est bien exact !…

— Ils mangent, n’est-ce pas ?…

— Oui, monsieur Courtial !…

— Tous les jours, n’est-ce pas ?…

— Oui ! Oui !… Oui !…

— Eh bien !… Écoute-moi encore !… »

Silence… Il brasse l’air magnifiquement… Il se déploie… Il débride un peu sa houppelande… Il a des gestes pas ordinaires… Il va relancer des défis ?… Il ricane d’avance… Il est sardonique… Il repousse… éloigne… une vision… un fantôme… Il se tapote le ciboulot… Ah ! là oui ! bon Dieu ! Par exemple ! Il s’était trompé ! Ah ! mégarde ! Et depuis longtemps ! Ah ! Erreur n’est pas compte !… Il m’interroge… Il m’interpelle !…

« Dis donc, ils mangent, Ferdinand !… Ils mangent ! Oui voilà ! Ils mangent !… Et moi, pauvre fou ! Où étais-je ?… Ô futile vaillance ! Je suis puni ! Touché !… Je saigne ! C’est bien fait ! Oublier ? Moi ?… Ah ! Ah ! Ah ! Je vais les prendre pour ce qu’ils sont !… Où ils sont ! Dans leur ventre, Ferdinand ! Pas dans leur tête ! Dans leur ventre ! Des clients pour leurs ventres ! Je m’adresse au ventre, Ferdinand !… »

Il s’adresse à la ville aussi… Tout entière ! Là-bas qui gronde dans la brume…

« Siffle ! Siffle, ma garce ! Râle ! et Rugis ! Grogne ! je t’entends !… Des goinfres !… Des gouffres !… Ça va changer, Ferdinand !… Des goinfres ! je te dis !… »

Il se rassure. C’est la confiance ! Il me sourit !… Il se sourit…

« Ah ! C’est bien fini ! Ça je te jure !… Ah ça ! tu peux me croire ! Tu peux servir de témoin ! Tu peux le dire à la patronne ! Ah ! La pauvre choute ! Ah ! C’est terminé nos misères ! Ah ! J’ai compris ! C’est entendu ! L’esprit souffre !… On le bafoue ! On me pourchasse ! On me glaviote ! En plein Paris ! Bien ! Bon ! Soit ! Qu’ils aillent tous se faire pustuler !… Que la lèpre les dissèque ! Qu’ils fricassent en cent mille cuves remplies de morves et cancrelats ! J’irai les touiller moi-même ! Qu’ils macèrent ! Qu’ils tourbillonnent sous les gangrènes ! C’est pain bénit pour ces purulents ! S’ils veulent m’avoir, je n’y suis plus !… Assez par l’esprit ! Funérailles !… Aux tripes, Ferdinand !… Aux ferments coliques ! Ouah ! À la bouse ! Oh ! patauger ! Pouh ! Mais c’est la noce ! Défi ? Me voici ! De quelles semences je me chauffe ? Courtial ! Lauréat du Prix Popincourt ! Nicham et tous autres ! mille sept cent vingt-deux ascensions !… De radis ! Par les radis ! Oui ! Je te montrerai ! Toi aussi tu me verras ! Ô Zénith ! Ô mon Irène ! Ô ma terrible jalouse !… Pas une heure à perdre !… Il examinait un peu.

« Dans ces graviers d’alluvions… Ce terreau sableux ? Jamais ! Ici ? Pouah ! Mes preuves sont faites ! Petite culture ! Ça suffit !… Pas de temps à perdre ! » Il repiquait en ricanements à la simple supposition !… C’était trop drôle !…

« Oh ! là là ! Otez-moi tout ça !… » Il balayait la pauvre cambuse…

« À la campagne ! Ah ! là ! Oui ! À la campagne ? Ah ! Là j’en suis ! L’espace ? La forêt ?… Présent !… Des élevages ?… Mamelles ! Foin ! Volailles ! Soit !… Et tu peux me croire, du radis !… Regarde-moi bien !… Et alors avec toutes les ondes !… Toutes tu m’entends !… Des vraies ondes !… Tu verras tout ça, Ferdinand ! Tout ! Toute la sauce !… des orgies d’ondes !… »

La daronne elle tenait plus debout sur ses pattes. Elle s’était arc-boutée contre la palissade… Elle ronflait un peu… Je l’ai secouée pour qu’elle rentre aussi…

« Je vais vous faire un peu de café !… Je crois qu’il en reste !… » Voilà ce qu’elle a dit… mais on a eu beau chercher… il avait tout bu la vache !… Et puis tout bouffé les restants… Y avait plus rien dans le placard… Pas une miette de pain ! Un camembert presque entier ! Et pendant qu’on crevait nous autres !… Même le fond des haricots, il l’avait fini !… Merde ! Là du coup je l’avais mauvaise !…

On a gueulé pour qu’il rentre… « Je vais au télégraphe ! qu’il répondait de loin… Je vais au télégraphe !… » Il était déjà sur la route… Il était pas fou.

Toute la journée on a pioncé… C’est le lendemain qu’on devait déguerpir !… C’était absolument exact qu’il avait soldé la bicoque ! et en plus une partie des meubles… Tout ça dans le même prix… L’entrepreneur qui la rachetait il avait versé par surcroît une petite avance pour qu’on se barre plus vite… Il fallait voir sa pétoche qu’on la lui détruise sa cambuse avant de s’en aller !…

Le jour même, ce midi-là, pendant qu’on bouffait, il faisait les cent pas devant notre grille. On voulait pas le laisser rentrer. On l’avait déjà viré à plusieurs reprises… Il devait nous laisser finir… Merde ! Il tenait plus en place, cet affreux ! Il était terrible à regarder… Il était tellement excédé qu’il attrapait tout son galure, il croquait les rebords… Il les arrachait… Il repartait en bagotte, les mains crispées derrière son dos… Voûté, sourcilleux. Il allait, venait, comme bête en cage ! Et c’est lui pourtant qu’était sur la route ! La route est large !… En plus, toutes les cinq minutes, il nous criait un bon coup à travers la porte : « Esquintez surtout pas mes gogs ! J’ai vu la cuvette ! Elle était intacte ! Faites attention à mon évier ! Ça coûte deux cents francs pour un neuf !… »

Un moment, il en pouvait plus !… Il entrait quand même dans le jardin. Il faisait trois pas dans l’allée… On descendait tous au pas de charge… On le refoulait encore dehors… Il avait pas le droit ! Courtial en était outré de ce culot monstre !…