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« Enfin, pressons-nous… » que je lui dis… Elle était costaud, elle se l’est arrimé sur l’échine. Elle bagottait avec ça… Je l’ai raccompagnée dare-dare jusqu’à la rue Radziwill… À ce moment-là, je lui ai dit :

« Allez devant toujours, Madame, mais maintenant vous pressez plus ! Allez tout doucement !… Arrêtez-vous tous les coins de rue. Faites bien attention aux voitures ! Vous avez tout le temps devant vous ! Je vous suis !… Je vous rejoindrai rue Lafayette ! Il faut que je passe par les Émeutes… ! C’est pas la peine qu’ils vous voient… J’ai laissé une clef au garçon !… La clef du grenier !… Je veux remonter encore un coup… »

C’était qu’un prétexte pour revenir un peu sur mes pas. Je voulais regarder sous les arcades si je trouverais pas la Violette… Elle se tenait plutôt à présent vers la Galerie Coloniale… plus loin que la Balance… De longue distance, elle me bigle !… Elle me fait : « Yop ! Yop !… » Elle radine… Elle m’avait vu avec la vieille… Elle avait pas osé se montrer… Alors, là, on cause franchement et elle me raconte tous les détails… Comment ça s’était passé depuis notre départ… Depuis l’instant de la catastrophe… Quelle salade ! Ça n’avait pas cessé de barder une seule brève minute !… Même aux femmes que la police avait posé mille questions !… Des véritables baratins à propos de nos habitudes !… Si l’on vendait pas de la « came » ? Si on se faisait pas miser ?… Si on tenait pas des « paris » ? Des images salopes ? Si on recevait des étrangers ? Si on avait des revolvers ? Si on recevait des anarchistes ?… Les mômes elles s’étaient affolées… Elles osaient même plus revenir devant nos décombres !… Elles tapinaient à présent dans les autres Galeries… Et puis alors une pétoche noire qu’on leur ôte leur carte !… C’était pour elles les conséquences !… Tout le monde se plaignait… Tous les commerçants limitrophes ils étaient à la caille aussi… Ils se trouvaient montés contre nous que c’était à peine croyable… Soufflés à bloc, paraît-il… comme indignation… comme fureur ! Une pétition qu’était partie au Préfet de la Seine. Qu’on nettoye le Palais-Royal !… Que ça soye plus un lieu de débauche ! Qu’ils faisaient déjà pas leurs affaires ! Ils voulaient pas encore en plus être corrompus par nous, fumiers phénomènes !… Violette, elle qui me blairait bien, son désir, c’était que je reste… Seulement elle était persuadée que, si on revenait sur les lieux, ça allait faire un foin atroce et qu’on nous embarquerait d’autor… C’était dans la fouille ! Il fallait plus qu’on insiste !… Démarrer !… qu’on nous revoye plus !… Il fallait pas jouer du malheur !… C’était bien aussi mon avis !… Barrer, voilà tout ! Mais moi, qu’est-ce que j’allais faire ? Travailler comment ? Ça la souciait un petit peu… Je pouvais pas beaucoup lui dire !… Je le savais pas très bien moi-même… Ça serait pour sûr à la campagne… Alors, tout de suite, elle a trouvé, en entendant ces mots-là, qu’elle pourrait sûrement venir me voir… surtout si elle retombait malade !… Ça lui arrivait de temps à autre ! À chaque coup, il fallait qu’elle parte au moins deux à trois semaines, non seulement pour sa maladie, mais aussi pour ses poumons… Elle avait craché du sang… À la campagne, elle toussait plus… C’était absolument souverain… Elle prenait un kilo par jour… Ainsi fut-il entendu… bien conclu entre nous deux… Mais c’est moi qui devais lui écrire, le premier, à la poste restante… Les circonstances m’ont empêché… On a eu des telles anicroches… que j’ai pas pu tenir ma parole… Je remettais toujours ma lettre à la semaine suivante… C’est seulement des années plus tard que je suis repassé par le Palais… C’était alors pendant la guerre… Je l’ai pas retrouvée avec les autres… J’ai bien demandé à toutes les femmes… Son nom même, Violette… leur disait plus rien… Personne se souvenait… Toutes, elles étaient des nouvelles…

C’est donc en courant qu’on s’est quittés cette nuit-là. C’est bien le cas de le dire… Il fallait que je me décarcasse !… Je voulais faire un saut encore jusqu’au Passage Bérésina, pour avertir un peu mes dabes que je me barrais en Province avec les Pereires… qu’ils se mettent pas à faire les chnoques… à me faire pister par les bourriques…

Ma mère, quand je suis arrivé, elle était encore en bas, dans son magasin, à rafistoler ses camelotes, elle revenait de porter son choix, du côté des Ternes… Mon père il est descendu… Il nous entendait causer… Je l’avais pas revu depuis deux ans. Le gaz que ça vous fait déjà des têtes absolument livides, alors lui, du coup comme pâleur, c’était effroyable !… À cause peut-être de la surprise, il s’est mis à bégayer tellement qu’il a fallu qu’il se taise… Il pouvait plus dire un seul mot !… Il comprenait pas non plus… ce que je m’évertuais à expliquer. Que je m’en allais à la campagne… C’est pas qu’il faisait de la résistance… Non !… Ils voulaient bien n’importe quoi ! Pourvu que je retombe pas « fleur »… à leur charge encore un coup !… Que je me débrouille ici ! ailleurs ! n’importe comment ! Ils s’en foutaient !… Dans l’Ile-de-France ou au Congo… Ça les gênait pas du tout !

Il faisait perdu, mon papa, dans ses vieux vêtements ! Ses falzars surtout y tenaient plus à rien !… Il avait tellement maigri, ratatiné de toute la tronche, que la coiffe de sa grande casquette, elle lui voguait sur le cassis… elle se barrait à travers les yeux… Il me regardait par en dessous…

Il saisissait pas le sens des phrases… J’avais beau lui répéter que je croyais avoir un avenir dans l’agriculture… « Ah ! Ah ! » qu’il me répondait… Il était même pas surpris !…

« J’ai eu, dis donc… dis-moi, Clémence ?… bien mal à la tête… Cet après-midi… Et pourtant c’est drôle… il a pas fait chaud ?… »

Ça le laissait encore tout rêveur… Il pensait qu’à ses malaises… Il pouvait plus s’intéresser que je reste ou que je m’en aille !… par-là ou par-ci ! Il se morfondait suffisamment… surtout depuis son grave échec à la Connivence Incendie… Il pouvait plus s’interrompre de ruminations… C’était un coup effroyable… Au Bureau à la Coccinelle, il continuait à souffrir… Ça n’arrêtait plus du tout les meurtrissures d’amour-propre !… Autant comme autant ! Il subissait des telles misères que pendant certaines semaines il se rasait même plus du tout… Il était trop ébranlé… Il refusait de changer de chemise…

Au moment où j’arrivais, ils avaient pas encore becqueté… Elle m’a expliqué les temps difficiles, les aléas du magasin… Elle mettait le couvert. Elle boitait un peu différent, peut-être plutôt un peu moins… Elle souffrait quand même beaucoup, mais surtout maintenant de sa jambe gauche. Elle arrêtait plus de renifler, de faire des bruits avec sa bouche… dès le moment qu’elle s’asseyait pour bercer un peu sa douleur… Il rentrait, lui, juste de ses courses, de faire quelques livraisons… Il était très affaibli. Il transpirait de plus en plus… Il s’est aussi installé… Il parlait plus, il rotait plus… Il mangeait seulement avec une extrême lenteur… C’était des poireaux… De temps à autre, par sursaut, il revenait un peu à la vie… Deux fois seulement, à vrai dire, pendant que j’étais là… Ça lui venait en ronchonnements… des insultes dans le fond de son assiette, toutes rauques… toutes sourdes… : « Nom de Dieu ! Nom de Dieu de Merde !… » Il recommençait à groumer… Il se soulevait… Il quittait la table, il partait comme ça vacillant !… jusque devant la petite cloison qui séparait de la cuisine… celle qu’était mince comme une pelure !… Il tapait dessus deux, trois coups… Il en pouvait plus… Il se ramassait à reculons… Il se tassait sur son escabeau… les yeux plongeant vers le dallage… bas sous lui… les bras ballants… Ma mère lui remettait sa casquette en douceur… tout à fait droite… Elle me faisait des signes pour pas que je le regarde… Elle avait maintenant l’habitude. D’ailleurs, ça pouvait plus le gêner… Il se rendait même plus bien compte… Il était bien trop renfermé dans ses malheurs de bureau… Ça lui accaparait la bouille… Depuis deux, trois mois, il ne dormait plus qu’une heure de nuit… Il en avait la tête ficelée par toute l’inquiétude… comme un seul paquet… le reste le concernait plus… Même les choses de leur commerce, il s’en foutait à présent… Il voulait plus qu’on lui en cause… Ma mère ça l’arrangeait bien… Je savais plus vraiment quoi dire… Je me tenais comme un panaris, j’osais plus bouger ! J’ai essayé un peu quand même de raconter mes propres histoires… Les petites aventures… Pas toute la réalité !… des choses seulement pour les distraire, des petites balivernes innocentes pour faire passer l’embarras !… Alors, ils m’ont fait une gueule ! Rien qu’à m’entendre badiner !… Ça donnait juste l’effet contraire !… Ah ! merde ! Moi j’en avais tringle !… Je fumais alors aussi !… Moi aussi merde à la fin !… J’avais bien toute la caille au cul ! Moi aussi, j’étais bien sonné ! autant comme autant !… Je venais pas leur quémander ! Ni flouze ! ni pitance !… Je leur demandais rien du tout !… Seulement je voulais pas m’enfoirer avec des soupirs à la con !… Parce que je pleurais pas dans les tasses !… que je broutais pas dans leurs chagrins… Je venais pas pour être consolé !… Ni pour jérémiader en somme… Je venais simplement dire « au revoir »… Merde ! Un point, c’est tout !… Ils auraient pu être contents…