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Notre exploitation « radiotellurique » se transformait, séance tenante, par l’apport des souscripteurs en « Familistère Rénové de la Race Nouvelle »… Nous intitulions ainsi sur nos prospectus notre ferme et ses domaines… Nous couvrîmes en quelques jours, avec nos « appels », plusieurs quartiers de Paris… (tous expédiés par Taponier)… les plus populeux… les plus confinés… encore quelques îlots du côté d’Achères où ça pue, pour voir… Nous n’éprouvions qu’une seule crainte, c’est qu’on nous envahisse trop tôt ! Nous redoutions comme la peste les engouements trop frénétiques !… L’expérience !

Question d’abondante nourriture avec notre « radio-tellurie » le problème n’existait pas !… Il ne subsistait en somme qu’un seul véritable écueil… La saturation des marchés par nos pommes de terre « ondigènes » !… On y penserait au moment !… On engraisserait les cochons !… Autant comme autant !… Nous tiendrions aussi une forte basse-cour !… Les pionniers boufferaient du poulet !… De cette alimentation mixte Courtial était très partisan… La carne c’est bon pour la croissance !… Nous vêtirions, il va de soi, sans aucune difficulté, tous nos petits pupilles avec le lin de notre ferme !… tissé en chœur, en cadence, pendant les longues soirées d’hiver !… Ça sonne… Ça s’annonçait au mieux ! Une splendide ruche agricole ! Mais sous le signe de l’intelligence ! pas seulement de l’instinct ! Ah ! Des Pereires tenait beaucoup à cette distinction ! Il voulait que ça soye rythmique !… fluent ! intuitif !… Des Pereires résumait ainsi la situation. Les enfants de la « Race Nouvelle » tout en s’amusant, s’instruisant de droite à gauche, se fortifiant les poumons, nous fourniraient avec joie une main-d’œuvre toute spontanée !… rapidement instruite et stable, entièrement gratuite !… mettant ainsi sans contrainte leur juvénile application au service de l’agriculture… La « Néo-Pluri-Rayonnante »… Cette grande réforme venait du fond, de la sève même des campagnes ! Elle fleurissait en pleine nature ! Nous en serions tous embaumés ! Courtial s’en reniflait d’avance !… On comptait sur les pupilles, sur leur zèle et leur entrain, tout à fait particulièrement, pour arracher les mauvaises herbes ! extirper ! défricher encore !… Vrai passe-temps pour des bambins !… Torture infecte pour des adultes !… Des Pereires alors, dispensé par cet industrieux afflux des mesquineries de la basse culture, pourrait s’adonner totalement aux mises au point très délicates, aux infinis tatillonnages de son « groupe polarisateur » !… Il gouvernerait les effluves ! Il ne ferait plus autre chose ! Il inonderait, accablerait notre sous-sol de tous les torrents telluriques !…

Notre programme se présentait bien… Nous en fîmes parvenir dix mille d’un quartier à l’autre… Sans doute venait-il combler bien des vœux latents ?… Mille désirs inexprimés… Toujours est-il que nous reçûmes presque immédiatement des lettres, des réponses à foison… avec truculents commentaires… presque tous extrêmement flatteurs… Ce qui sembla le plus remarquable à la plupart des adhérents, ce fut l’extrême modicité de nos prétentions financières… Nous avions, c’est bien exact, calculé au dernier carat… Il eût été fort difficile de faire plus avantageux… Ainsi pour conduire un pupille, depuis la petite adolescence (sept ans minimum) jusqu’au régiment, lui assurer gîte et couvert, pendant treize années de suite, lui développer le caractère, les poumons, l’esprit, les bras, lui donner le goût de la nature, lui apprendre un si grand métier, le doter enfin et surtout, à la sortie du Phalanstère, d’un splendide et valable diplôme d’ « Ingénieur Radiogrométrique », nous ne demandions aux parents en tout et pour tout qu’une somme globale, définitive, de quatre cents francs !… Cette somme, cette rentrée immédiate, devait faire l’achat du laiton, la mise en état du circuit… la propagation souterraine… En précipitant nos cultures l’avenir nous appartenait !… Nous ne demandions pas l’impossible !… Pour commencer… en pommes de terre… quatre wagons par mois.

Aussitôt qu’une entreprise prend un petit peu d’envergure, elle se trouve ipso facto en butte à mille menées hostiles, sournoises, subtiles, inlassables… On peut pas dire le contraire !… La fatalité tragique pénètre dans ses fibres mêmes… vulnère doucement la trame, si intimement que, pour échapper au désastre, ne pas finir en carambouille, les plus astucieux capitaines, les conquérants les plus crâneurs ne peuvent et ne doivent compter, en définitive, que sur quelque étrange miracle… Telle est la nature et l’antienne, la conclusion véridique des plus admirables essors… Rien à chiquer dans les cartes !… Le génie humain n’a pas la veine… La catastrophe du Panama ?… c’est la leçon universelle !… doit porter à résipiscence les plus énormes culottés !… les faire salement réfléchir sur l’ignominie du sort !… Les troubles prémices de la Poisse ! Ouah ! Les malfaisances contingentes… Le Destin bouffe les prières comme le crapaud bouffe les mouches… Il saute après ! il les écrase ! les bousille ! les gobe ! Il se régale, se les fait revenir en minuscules petites fientes, en boules ex-votives pour la demoiselle à marier.

Nous autres, à Blême-le-Petit, toutes proportions bien sûr gardées, nous écopâmes largement… dès le début des opérations… D’abord le notaire de Persant… Il est venu à la charge presque chaque tantôt… et de façon fort menaçante… Pour qu’on lui liquide son reliquat !… Il avait lu dans les canards un reportage sensationnel sur nos magnifiques expériences !… Il croyait à des ressources occultes… Il nous estimait tout bourrés !… Il exigeait le solde immédiat pour sa ferme en capilotade, les terrains marneux ! Et puis tous nos créanciers du Palais-Royal… ils pétaradaient d’impatience… Taponier aussi !… Lui si gentil pour commencer, il devenait fumier comme personne !… Il lisait aussi les journaux !… Il avait compris cette raclure, qu’on se beurrait dans les Subventions !… Qu’on émargeait rue de Grenelle !…

En plus des nombreux manuscrits pour les « Recherches » à entreprendre nous étions criblés à nouveau de papiers timbrés !… de tous les ressorts !… nous nous trouvions à un poil de plusieurs jolies saisies !… Avant d’avoir vu seulement la couleur d’une première patate ! Les gendarmes en ont profité pour venir un peu en excursion comme ça, pour se rendre compte de nos petites dégaines, de nos manières étonnantes… Nos fins prospectus « pour la Race » ils avaient un peu ému les gens du Parquet… L’Inspecteur d’Académie, encore un jaloux forcément, il avait émis certains doutes quant à nos droits d’ouvrir école !… C’était son affaire de douter ! Ils se sont montrés qu’à moitié vaches en définitive. Ils ont seulement, c’était fatal, saisi la belle occasion, pour nous avertir, gentiment d’ailleurs, qu’il vaudrait mieux tout compte fait, qu’on s’en tienne au genre « garderie »… « colonie de vacances »… voire sanatorium… Que si on insistait beaucoup sur le côté pédagogique… On se mettrait immanquablement toutes les Autorités à dos !…

Dilemme délicat s’il en fut !… Périr ?… Enseigner ?… Nous réfléchissions… nous n’étions pas très décidés… Quand un groupe de parents fouineurs nous arrive un tantôt, un dimanche, par la route, à pied, vers les quatre heures pour se faire leur opinion propre… Ils examinèrent avec soin les locaux, toutes les dépendances, l’allure générale du domaine… Jamais nous ne les revîmes !…

Ah ! Nous perdions un peu l’espoir ! Tant de courants si contraires ?… Cette incompréhension infecte !… Cette malveillance incarnée ! Ah ! C’était trop là, vraiment !… Et puis un beau jour, à la fin quand même, le ciel s’éclaircit !… Nous reçûmes presque coup sur coup dix-huit adhésions enthousiastes !… Des parents très conscients alors, qui maudissaient franchement la ville, son air empesté ! Ils nous donnaient franchement raison !… Ils militaient immédiatement, pour notre réforme « Race Nouvelle »… Ils nous envoyaient leurs loupiots avec un acompte du « forfait » pour qu’on les incorpore tout de suite à la phalange agricole !… Cent francs par-ci deux cents par-là… Le reste à venir !… Que des acomptes !… Pas une seule fois la somme entière ! Ça serait pour plus tard, qu’ils promettaient… Des bonnes volontés en somme ! Des dévouements très réels… mais un peu obscurs… L’économie, la prévoyance… et puis trois quarts de méfiance !…