Enfin les mômes ils étaient là !… quinze en tout… neuf garçons… six filles… Trois manquèrent toujours à l’appel. C’était mieux de faire un petit peu gaffe aux conseils du Juge Suppléant… C’était la sagesse !… Par la ruse d’abord ! Un peu de prudence nous ferait pas de mal… Plus tard, l’expérience réussie, les choses s’imposeraient d’elles-mêmes !… On viendrait nous supplier !… Là on déploierait notre drapeau… « La Race Nouvelle, fleur des sillons ».
Avec ce qu’ils amenaient comme pèze, les gniards de ce premier renfort, on pouvait pas s’acheter grand-chose ! même pas tous les lits nécessaires ! même pas les matelas !… On a tous couché dans la paille… à l’égalité !… Filles d’un côté… Garçons d’un autre… On pouvait plus maintenant quand même les renvoyer chez leurs parents !… Le petit flouze tombé dans la masse il a pas duré huit jours… Il était déjà spéculé dans une douzaine de directions… Ça n’a pas traîné ! Le notaire à lui tout seul en a revendiqué les trois quarts !… Le reste est parti pour le cuivre… Peut-être à peu près cinq bobines… mais du grand modèle !… montées sur chevalet déroulable.
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Notre grosse mignonne, elle avait planté dès le début, en prévision des malheurs, une sorte de patate extra, qui poussait même en plein hiver… Il existait pas plus robuste… Si nous supposions le pire… que les effluves à Courtial ne donnent pas tout ce qu’on attendait… on pourrait récolter quand même… Ça serait bien extraordinaire qu’il les empêche de germer !… Ça se serait jamais vu ! On a tous foncé au boulot… On a enroulé des fils partout où il nous disait… Pour un peu, pour être plus sûr, au pied de chaque patate on aurait tortillonné trois, quatre guirlandes de laiton !… Ce fut un travail mémorable !… Surtout comme c’était disposé à plein flanc de coteau… en plein vent du Nord !… Dans la bise la plus coupante nos mômes ils s’amusaient tout de même ! Le principal pour eux, c’était qu’ils soyent constamment dehors ! pas une minute à l’intérieur ! Presque tous, ils venaient de la banlieue… Ils étaient pas obéissants. Surtout un petit maigre, le Dudule, qui voulait toucher toutes les filles… Il fallait qu’on le couche entre nous… Ils ont commencé à tousser. Notre grosse chérie heureusement qu’elle savait un peu de médecine, elle les couvrait de cataplasmes de la tête aux pieds !… Ça leur était bien égal qu’on leur arrache même les peaux ! pourvu qu’on les enferme pas !… C’est dehors qu’ils voulaient être !… Toujours et quand même !… Nous bouffions à la grande tambouille !… On s’appuyait des soupes énormes !…
Après trois semaines de labeur, l’immense champ des pommes de terre fut entièrement canevassé en laiton à « sol frisant » avec mille raccords pointilignes… C’était du travail « pine de mouche »… Le courant !… Des Pereires n’avait plus qu’à lancer la sauce à travers les fibres du réseau !… Ah !… Il a déclenché son bastringue… Il leur a foutu aux patates… dès le premier quart d’heure… des séries de secousses terribles… des puissantes décharges, très « intensivement telluriques »… Et puis alors, encore entre, des petites saccades « alternatives »… Il se relevait même au milieu de la nuit, pour leur refoutre des coups de rabiot, pour les stimuler plus à bloc, les exciter au summum. Ça l’inquiétait la grande chérie de le voir sortir comme ça dans le froid… Elle se réveillait en sursaut… Elle lui criait de se couvrir.
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Ça marchait comme ça, tant bien que mal, depuis près d’un mois, quand à un moment notre Courtial il s’est cherché des excuses… C’était le très mauvais signe !…
« J’aurais préféré qu’il a dit, essayer quand même avec des poireaux !… » Il répétait ça devant sa vieille, et de plus en plus souvent !… Il voulait voir la réaction… « Que dirais-tu des radis ?… » Sa femme le regardait de travers, elle relevait un peu son galure… elle aimait pas qu’il insinue… Les jeux étaient faits, Nom de Dieu !… Il fallait plus qu’il se défile !
Nos pionniers eux ils prospéraient, ils profitaient de l’indépendance !… On leur imposait pas de contrainte, ils faisaient en somme tout ce qu’ils voulaient !… même leur discipline… eux-mêmes !… Ils se foutaient des raclées terribles… Le plus petit, c’était le plus méchant, toujours le Dudule avec ses sept ans et demi !… L’aînée du troupeau ça nous faisait presque une jeune fille : la Mésange Rimbot, la blonde aux yeux verts, avec des miches bien ondoyeuses et des nénés tout piqueurs… Mme des Pereires, qu’était pas extrêmement naïve elle, s’en méfiait bien de la donzelle ! surtout au moment de ses règles !… Elle lui avait aménagé une sorte de bat-flanc spécial dans un coin de la grange, pour qu’elle soye bien seule à dormir tout le temps qu’elle avait ses ours ! Ça l’empêchait pas de trafiquer… y avait des appels de nature avec les morveux. Le râleux facteur l’a surprise un soir, derrière la chapelle, à l’extrémité du hameau qui prenait joliment son pied avec Tatave, Jules et Julien !… Ils étaient tous les quatre, ensemble !…
En abjection, qu’il nous avait ce facteur Eusèbe, à cause toujours du parcours… Il l’avait pas eu son vélo de l’administration… Pour avoir un neuf, il fallait qu’il attende deux ans… Il avait pas droit… Il pouvait plus nous piffer… Il nous réclamait des chaussures, nous qu’en avions pas !… Forcément allant tout doucement il biglait les moindres détails. Le jour qu’il a paumé les mômes en train de s’amuser… il est revenu sur ses pas tout à fait exprès pour nous traiter de dégueulasses !… après qu’il a eu vu tout ça !… Comme si nous étions responsables ! C’est toujours ainsi les voyeurs… ça se régale d’abord à plein tube… ça en perd pas un atome et puis quand la fête est finie… alors ça s’indigne !… Il a trouvé à qui causer !… Nous avions bien d’autres soucis et autrement graves !
Dans notre hameau croulant où y avait plus du tout de trafic depuis près de vingt années… depuis l’histoire des pommes de terre ça n’arrêtait plus soudain la circulation… un défilé de curieux, incessant, du matin au soir. Les ragots, les fausses nouvelles, cavalaient tout le département… Ceux de Persant, ceux de Saligons, ils étaient aux premières loges, ils voulaient eux des spécimens, mille indications successives. Ils étaient intransigeants… Ils demandaient si c’était dangereux ? Si ça pouvait pas éclater notre système ? « pour vibrer la terre » ?… Des Pereires au fur et à mesure qu’on avançait dans l’expérience, que le temps passait… Il faisait montre d’une grande discrétion… Y avait des « si » et des « peut-être » qu’étaient vraiment des mots néfastes… des quantités… de plus en plus… C’était inquiétant… Ça lui arrivait pas souvent le truc des « si » et des « peut-être » au Palais-Royal… Une semaine à peu près plus tard il a fallu qu’il arrête la dynamo et le moteur… Il nous a dès lors expliqué que ça devenait assez critique de pousser maintenant davantage les ondes et les fils… Que c’était mieux un petit arrêt… qu’on reprendrait un peu plus tard… après un repos. Des ondes comme les telluriques pouvaient engendrer très bien certains désordres individuels… on ne savait pas… des répercussions absolument imprévisibles… bouleversant la physiologie… Personnellement des Pereires il ressentait la saturation… Il avait déjà des vertiges…