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« On viendra tous vous chercher à la fin de la semaine prochaine ! Ça suffit la Comédie ! La mesure est plus que comble ! On vous a bien assez prévenus !… Samedi ! que vous irez au Canton ! votre affaire elle est claire à tous !… Si j’en rencontre encore une seule de vos petites frappes à la traîne… S’ils s’éloignent encore du hameau… Ils seront illico coffrés ! Illico ! C’est net ?… C’est compris ?… »

Le Procureur, paraît-il, avait déjà entre les mains toutes les charges pour vingt ans de bagne !… Pour Courtial ! Madame ! et moi-même ! Les motifs ne manqueraient pas !… Rapts d’enfants !… Libertinages !… Grivèleries diverses !… Infraction aux jeux… Fausses déclarations contribuables… Plusieurs attentats aux mœurs… Cambriolages !… Escroqueries !… Rapines nocturnes !… Recel de mineurs !… Enfin y avait la cascade… un choix très complet !… Il nous assommait le brigadier !… Seulement Mme des Pereires ébranlée d’abord ça se comprend, elle se sentait déjà beaucoup mieux… Elle a fait ni ouf ! ni yop !… elle a rebondi comme un seul homme ! Elle a fait front complètement… Elle s’est redressée tout soudain… d’une impulsion si véhémente, si farouchement indignée, tellement gonflée par la colère, que le brigadier en vacilla… sous la charge !… Il en croyait plus ses oreilles !… Il clignait des yeux… Elle le fascinait, c’est le mot… Elle ripostait en des termes qu’étaient plus du tout réfutables ! Jamais ce sale plouc il aurait cru… Elle l’accusait à son tour d’avoir fomenté en personne toute la révolte des péquenots !… Toute cette jacquerie abominable ! C’était lui, le grand responsable… Ebaubi ! Cinglé ! fustigé, il en chancelait dans ses bottes… Méprisante et sardonique, elle le traitait de « pauvre malheureux ! »… Il se tenait sur la défensive… Il avait plus un mot à dire… Elle est allée remettre son chapeau… Elle se dandinait haute devant l’homme, montée en colère de cobra !… Elle l’a forcé à reculons… Elle l’a foutu à la porte. Il a barré comme un péteux. Il est remonté en bicyclette, il est reparti en zigzag d’un bord à l’autre de la route… Il vadrouillait loin dans la nuit avec son petit lampion rouge… On l’a regardé disparaître… Il pouvait plus s’en aller droit.

Une de nos pionnières, la Camille, pourtant une petite futée, s’est fait poirer trois jours plus tard dans le jardin du Presbytère, à Landrezon, une vilaine brousse de l’autre côté de la forêt. Elle se sautait juste de la cuisine avec un fromage parmesan, des écrevisses et de la prunelle… deux bouteilles… Elle avait pris ce qu’elle trouvait… Et puis les burettes de la messe… Ça c’était le plus grave ! en argent massif !… Ça c’était du flagrant délit !… Ils l’avaient tous courue la môme… Ils l’avaient coincée sur un pont… Elle en reviendrait plus la minette ! Elle était bouclée à Versailles !… Le facteur cet affreux aspic il a pas omis de venir immédiatement nous raconter… Il a fait un détour exprès !… Ça devenait extravagant notre situation… notre voltige… Il fallait pas être très mariole pour bien se gourer d’ores et déjà, que tous les mômes du phalanstère ils seraient marrons dans l’aventure… Ils se feraient paumer un par un au ravitaillement… même en décuplant les prudences… même en sortant seulement la nuit…

On s’est serré en nourriture, on a fait de plus en plus gaffe… Y avait plus lerche de margarine, ni d’huile, ni de sardines non plus… qu’on aimait énormément… C’est par le thon et les sardines qu’on a recommencé à pâtir… On pouvait plus faire de pommes frites !… On restait derrière nos persiennes… On surveillait les abords… On se méfiait d’être à la « brune » ajusté par un paysan… Il s’en montrait de temps à autre… Ils passaient avec leurs fusils le long des fenêtres, en vélo… Nous aussi on avait un flingue, un vieux canard chevrotine à deux percuteurs… et puis un pistolet à bourre… L’ancien fermier précédent il avait laissé les deux armes… Elles étaient toujours accrochées après la hotte, après un clou dans la cuistance.

Des Pereires, comme ça certain soir, comme on avait plus rien à faire et qu’on pouvait même plus sortir, il l’a redescendu le vieux flingot… il s’est mis à le nettoyer… à passer à la mèche avec une ficelle dans les deux canons… avec du pétrole… à faire marcher la gâchette… Je l’ai senti venir moi l’état de siège…

Il nous en restait plus que sept… quatre garçons, trois filles… On a écrit à leurs parents si ils voulaient pas nous les reprendre ?… que notre expérience agricole nous réservait quelques mécomptes… Que des circonstances imprévues nous obligeaient temporairement à renvoyer quelques pupilles.

Ils ont même pas répondu ces parents fumiers ! Absolument sans conscience !… Trop heureux qu’on se démerde avec… Du coup on a demandé aux mômes si ils voulaient qu’on les dépose dans un endroit charitable ?… Au Chef-Lieu du canton par exemple ?… En entendant ces quelques mots ils se sont rebiffés contre nous et de façon si agressive, si absolument rageuse, que j’ai cru un moment que ça finirait au massacre !… Ils voulaient plus rien admettre… Tout de suite on a mis les pouces… On leur avait donné toujours beaucoup trop d’indépendance et d’initiative à ces gniards salés pour pouvoir maintenant les remettre en cadence !… Haricots ! Bigorne !… Ils s’en branlaient d’aller en loques et de briffer au petit hasard… mais à quoi ils renâclaient horrible c’est quand on venait les emmerder !… Ils cherchaient même plus à comprendre !… Ils s’en touchaient des contingences !… On avait beau leur expliquer que c’est pas comme ça dans la vie… qu’on a tous nos obligations… que les honnêtes gens vous possèdent… tout au bout du compte… que de piquer à droite, à gauche, ça finit quand même par se savoir !… que ça se termine un jour très mal… Ils nous envoyaient rejaillir avec nos salades miteuses… Ils nous trouvaient fort écœurants… bien affreux cafards !… Ils refusaient tout ce qu’on prétendait… Ils refusaient d’entendre… Ça faisait une « Race Nouvelle » pépère. Dudule le mignard de la troupe, il est sorti chercher des œufs… Raymond osait plus… II était devenu trop grand… C’était un « radeau de la Méduse » le petit gniard Dudule… On faisait des vœux… des prières… tout le temps qu’il était dehors… pour qu’il revienne indemne et garni… Il a ramené un pigeon, on l’a bouffé cru tout comme avec des carottes itou… II connaissait sa campagne mieux que les chiens de chasse le Dudule !… À deux mètres on le repérait plus… Des heures… qu’il restait planqué pour calotter sa pondeuse… Sans lacet ! sans boulette ! sans cordon !… Avec deux petits doigts… Cuic ! Cuic !… Il me montrait la passe… C’était exquis comme finesse… « Tiens, dix ronds que je te la mouche… et tu l’entends pas ! »… C’était vrai, on entendait rien.

On a eu deux fenêtres de cassées dans la même semaine… D’autres péquenots en bicyclette qui passaient exprès en trombe… Ils nous lapidaient de plus en plus… Ils se planquaient, ils revenaient encore… Ça devenait infect comme rancune… Et on se tenait pourtant peinards !… On ripostait rien du tout !… Et on aurait certainement dû… c’était de la provocation !… Un bon coup de tromblon dans les fesses ! Nos pionniers, ils se montraient plus… Ils sortaient seulement avant l’aube, juste à peine une heure ou deux entre chien et loup… au tout petit matin pour y voir quand même un peu clair… Des clebs ils en avaient mis, les cultivateurs, dans tous les enclos du canton… Déchaînés, féroces, des monstres enragés !…