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Des Pereires, en entendant ça, il s’est réveillé tout à fait… Il s’est relevé pour bouffer… Il a commencé à bâfrer si vite, qu’il en perdait le souffle. Il s’en tenait la panse à deux mains… « Ah ! Nom de Dieu de Nom de Dieu !… » qu’il s’exclamait entre-temps… La grosse mignonne elle non plus se faisait pas prier !… Elle en fut si bien gavée en quelques minutes, qu’il a fallu qu’elle s’allonge… Elle se roulait à même le sol… du ventre sur le dos… tout doucement… « Ah ! Bon Dieu ! Bon Dieu ! Courtial ! ça passera jamais ! Ah ! Ce que j’avais faim quand même !… » Les mômes ils s’arrêtaient plus d’aller revomir dans les coins… Après ils retournaient s’entonner… Le chien à Dudule aussi, il avait de tels gonflements qu’il en hurlait à la mort !… « Ah ! Mes enfants ! Ah ! les chers chouchous ! Ah ! mes chers mignons ! Ah ! Bon dieu de nom de Dieu ! Il était temps que ça finisse ! Ah ! Y a pas meilleur quand même ! » qu’il répétait des Pereires !… Il était comblé !… « Ah ! Il était temps ! Nom de Dieu !… Ah ! Y a pas meilleur !… » Il pouvait plus dire autre chose. Il en revenait pas du miracle.

Il devait être à peu près cinq heures… Il faisait pas encore jour du tout… quand j’ai entendu Courtial qui remuait toute la paille… Il se relevait… Il s’est remis debout… Je juge l’heure qu’il était d’après l’état de la cheminée… du feu qu’était presque éteint… Je me dis : « Ça y est, il la pète !… Il tient plus au froid… Il va aller se faire du café… On en aura tous !… Bueno !… » En fait, il part vers la cuisine… C’était naturel… Je l’entends qui remue les cafetières… J’aurais voulu y aller le rejoindre… m’en jeter une bonne tasse tout de suite… Mais entre mon trou et la porte y avait tous les mômes qui ronflaient… les uns dans les autres… Ils avaient les têtes n’importe où… J’ai eu peur d’en écrabouiller… Je suis donc resté dans mon creux… Après tout je grelottais pas trop… J’étais protégé par le mur… Je prenais moins de zeph que le vieux dabe.

J’étais transi voilà tout. J’attendais qu’il retourne avec la cafetière pour le stopper au passage… Mais il en finissait pas. Il traînait là-bas dans le fond… Je l’ai entendu encore longtemps trifouiller les ustensiles… Et puis après je l’ai entendu qui ouvrait la porte sur la route… Je me suis fait la réflexion : « Tiens, il va donc pisser dehors ?… » Je comprenais plus… J’attendais toujours qu’il revienne… Une espèce d’appréhension m’a passé à ce moment-là… J’ai même failli me relever… Et puis je me suis rendormi… J’étais engourdi.

Et puis j’ai eu un cauchemar… comme ça dans le tréfonds du sommeil je me battais avec la rombière !… C’est elle qui menait la danse… Je me dégageais… Elle reprenait tout… Quel tambour !… quel baratin ! Je pouvais plus m’en dépêtrer… Un boucan horrible ! des prises de noyés !… Elle me trifouillait toute la tête avec ses questions… J’essayais bien de me la défendre, de me recouvrir avec la paille… mais elle me cramponnait la garce, elle me raccrochait au cassis !… Et je te vocifère !… et je te rugis encore double !… Elle me tortillait les oreilles avec ses deux poings… Elle voulait plus me desserrer… « Où qu’il était son Courtial ?… » Elle en hurlait sur tous les tons !… Elle revenait juste de la cuistance… elle avait cherché du café… Il en restait plus une seule goutte !… Alors elle en faisait un tintouin !… Tous les récipients qu’étaient vides !… Il avait tout sucé l’arsouille !… toutes les tasses, les trois cafetières à lui tout seul !… avant de sortir… S’il m’avait rien dit à moi ? Elle voulait savoir à toute force…

« Mais non ! Mais non ! Pas un mot !…

— De quel côté qu’il est barré ?… Est-ce que je l’avais vu dans la cour ?…

— Mais non !… Mais non !… » J’avais rien vu !… La Mésange redressée en sursaut elle s’est mise à cafouiller… qu’elle avait fait un drôle de rêve !… qu’elle avait vu dans un songe le patron Courtial grimpé sur un éléphant !…

C’était pas le moment de croire des sottises… On cherchait plutôt à se souvenir de ce qu’il nous avait dit le soir même… Il avait bâfré comme trente-six !… ça on s’en souvenait… Il s’était peut-être trouvé mal ?… indisposé ?… Le froid dehors ?… Là commencèrent les hypothèses !… Une congestion ?… Sans perdre beaucoup de temps on s’est élancé à sa recherche avec tous les mômes !… On a fouillé toute la paille… tous les recoins du logis… les dépendances, les deux hangars et la cambuse aux expériences… Il était donc pas dans la turne ?… On est sortis à travers champs… dans les environs immédiats… et puis encore un peu plus loin… Les uns fouillant vers le coteau toutes les ravines, tous les bosquets… Les autres comme à la cueillette dans tous les sens du plateau !… On a lancé le chien à Dudule… Pas plus de Courtial que de beurre au cul !… On s’est encore rassemblés… On allait refouiller le petit bois buisson par buisson… Il se baladait souvent par là… Quand juste un des mômes a remarqué sur le haut panneau de la grande porte, qu’il y avait quelque chose d’écrit… « Bonne chance ! Bonne chance ! » à la craie… en très grosses lettres majuscules… Et c’était bien son écriture…

La vieille tout d’abord elle a rien compris… Elle ronchonnait comme ça : « Bonne chance ! Bonne chance ! » Elle en sortait pas…

« Qu’est-ce que ça veut dire ?… Mais, Nom de Dieu ! Mais il s’est tiré !… ça l’a renversée d’un seul coup !… Mais il se fout de ma tronche !… Ah ! ma parole !… Ah ! Bonne chance !… Dis donc… Bonne chance ? Qu’il me dit ça ! à moi !… Et voilà comment qu’il me cause !… Ah dis donc ! ça c’est du fiel ! » Ah ! alors elle était outrée… absolument effroyable !…

« Mais c’est inique !… Monsieur se barre !… Monsieur gambille !… Monsieur se trisse en excursion… Monsieur va bringuer en ville ! L’ordure ! Le voyou ! Cette calamité !… Bonne chance !… et voilà !… Moi je dois me contenter pépère !… C’est pour moi alors toute la caille ? Hein ?… À moi tout le purin !… Si je patauge… démerde-toi vieille bourrique !… Casse-toi bien la raie !… Et puis… Bonne chance !… Alors moi je trouve tout ça plausible ?… Dis-le un peu Ferdinand ? C’est ton avis ?… Ah ! foutre de culot de galeux !… »

Les mômes ils se fendaient bien la gueule de l’entendre encore brailler !… Je voulais pas remuer l’incendie !… J’ai laissé un peu refroidir… Mais je me disais à l’intérieur… « Le petit vieux, il en a eu marre de tout nous autres et de la culture !… Il est barré le plus loin possible… On le reverra pas de sitôt !… » J’en avais un pressentiment… Je me souvenais des mots qu’il disait… Et ça me pinçait dur comme souvenir… Bien sûr qu’il déconnait beaucoup… Mais quand même sa Résolution, il l’avait peut-être prise à la fin ?… l’ordure… En nous laissant comme ça tous choir ?… jusqu’au cou en pleine mouscaille… C’était bien quand même sa manière… Il était joliment sournois, rancuneux, dissimulé… comme trente-six ours… Ça n’était pas une surprise… Je le savais aussi depuis toujours… « Les détails n’ont pas d’importance !… Ils obscurcissent toute la vie !… Ce qu’il faut c’est la résolution !… La Grande !… Ferdinand ! La Grande !… Tu m’entends ?… » J’entendais !… C’était toujours du discours !… Mais s’il avait mis les bouts, une bonne fois pour toutes !… Ça alors c’était charogne !… Le tour était vraiment infect !… Comment qu’on en sortirait nous autres de sa pétaudière ?… La vieille avait mille fois raison !… Qu’est-ce qu’on pouvait foutre maintenant nous avec son bazar tellurique ?… Absolument rien !… Qu’on serait accusés par tout le monde de saloper la terre entière ? Qu’est-ce qu’on aurait à répondre ?… On serait complètement sonnés ! Lui encore avec ses manières… il pouvait les étourdir… les intriguer les sauvages !… Mais nous ?… On existait pas.