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On en restait comme du flan… On essayait de se rendre bien compte… La vieille se calmait peu à peu… Les mômes refouillaient toute la piaule… Ils sont remontés au grenier. Ils ont retourné toutes les bottes… « Il reviendra ?… Il reviendra pas ?… » C’était la rengaine.

À Blême, il avait pas sa cave pour se cacher comme au Palais… Il était peut-être pas très loin ?… C’était peut-être qu’une fantaisie ?… Une saute de maniaque ?… Où nous irions avec les mômes si il rappliquait plus du tout ?… La vieille à force de réfléchir elle a repris un petit peu d’espoir… Elle se disait que c’était pas possible… qu’il avait quand même un peu de cœur… que c’était qu’une sale farce idiote… qu’il reviendrait bientôt malgré tout… On commençait à reprendre confiance… Sans aucune raison d’ailleurs… Seulement parce qu’il le fallait bien…

La matinée allait finir, il devait être à peu près onze heures… Le vache facteur réapparaît… C’est moi qui l’aperçois le premier… Je regardais un peu par la fenêtre… Il se rapproche… Il rentre pas… Il reste planté là devant la porte… Il me fait signe à moi de sortir… qu’il veut me causer… que je fasse vite… Je bondis… Il me rejoint sous le porche, il me chuchote, il est en émoi…

« Dépêche-toi ! Cavale voir ton vieux !… Il est là-bas sur la route, après le passage de la Druve… à la remontée de Saligons !… Tu sais la petite passerelle en bois ?… C’est là qu’il s’est tué !… Les gens des “ Plaquets ” ils l’ont entendu… Le fils Arton et la mère Jeanne… Il était juste après six heures… Avec son fusil… le gros… Ils m’ont dit de vous dire… Que tu l’enlèves si tu veux… Moi, j’ai rien vu… t’as compris ?… Eux ils savent rien non plus… Ils ont entendu que le pétard… Et puis tiens, voilà deux lettres… Elles sont toutes les deux pour lui… » Il a même pas fait un « au revoir »… Il est reparti le long du mur… Il avait pas pris son vélo, il a coupé à travers champs… Je l’ai vu rejoindre la route en haut, celle de Brion, par la forêt.

Je lui ai redit tout bas à l’oreille… pour que les mômes n’entendent pas… Elle a fait qu’un saut vers la porte !… Elle a filé bride abattue… Elle poulopait sur les graviers… J’avais même pas eu le temps de finir… Les gniards il fallait que je les calme… Ils se gouraient d’une catastrophe…

« Vous caillez pas !… Montrez pas vos blazes dehors !… Moi je vais la rattraper la vioque !… Vous, cherchez-le encore Courtial !… Je suis sûr qu’il est encore ici !… Qu’il est planqué quelque part !… Il a pas fondu en guimauve !… Retournez-moi toute la paille !… Botte par botte !… Il roupille au fond ! Nous on va trouver les gendarmes… Ils nous ont demandés à Mesloir !… C’est pour ça qu’il est venu le facteur… Ça va être vite fait… Chiez pas dans vos frocs !… Restez là, vous autres, bien peinards !… On sera rentrés pour deux heures… Qu’on vous entende pas du dehors ! Ramenez pas vos flûtes !… Fouillez la soupente !… Regardez un peu dans l’écurie !… On a pas cherché dans les coffres !… »

Les mômes ils avaient horreur de voir les guignols… Comme ça j’étais bien tranquille ! Ils nous fileraient sûrement pas ! Ils sentaient bien une friture… mais d’où ?… Ils en savaient rien…

« Fermez bien vos lourdes surtout !… » que j’ai recommandé… J’ai essayé par la fenêtre d’apercevoir la daronne… Elle était déjà au diable !… Je me suis élancé au galop… J’ai eu un coton terrible pour la rattraper… Elle fonçait à toute pression à travers bois et labours !… Enfin j’ai collé au train ! Il fallait que je me désosse ! Merde !… rien que pour la suivre !… Je rassemblais quand même des idées… Comme ça… tout en dératant !… Et dans la fièvre du galop… Il me montait une vache suspicion… « Merde ! que je me disais d’afur !… T’es encore tout lopaille mon pote ! C’est la grosse bite !… C’est l’entourloupe !… le truc du petit pont de la Druve ?… Balle-Peau ! Une salade !… Encore bien foireuse ! et une menterie culottée !… Une attrape sinistre et puis tout ! » Ah !… Je m’en gourais fortement !… Un nibé charogne du facteur !… Il en était capable ce glaire !… Et les autres anthropophages ?… Et comment qu’ils étaient suspects !… Et voilà tout ce qui me revenait en plein dans la course !… Et notre dabe en ce moment précis ?… Pendant qu’on se fendait nous la pêche à cavaler !… pour son cadavre !… où ça qu’il se trouvait ?… Il était peut-être qu’à la Grosse Boule ?… En train de se tailler la manoche ! et de se faire pisser l’anisette !… C’était encore nous les victimes !… J’y serais pas surpris d’une seconde !… Question d’être bourrique et ficelle il avait pas besoin de soupçons !… Une pichenette ! qu’on était marrons !…

Après une grande traite en plat… à travers les molles cultures c’était une raide escalade à flanc de la colline… Arrivés là, tout là-haut, on découvrait bien par exemple !… pour ainsi dire tout le paysage !… On soufflait pire que des bœufs avec la patronne. On s’est assis une seconde, au revers du remblai pour mieux dominer… Elle avait pas très bonne vue la pauvre baveuse… Mais moi je biglais de façon perçante… On me cachait absolument rien à vingt kilomètres d’oiseau… De là, du sommet, après la descente et la Druve qui coulait en bas… le petit pont et puis le petit crochet de la route… Là j’ai discerné alors en plein… au beau milieu de la chaussée, une espèce de gros paquet… Y avait pas d’erreur !… À peut-être trois kilomètres ça ressortait sur le gravier… Ah ! Et puis à l’instant même… Au coup d’œil !… j’ai su qui c’était… À la redingote !… au gris… et puis au jaune rouille du grimpant… On s’est dépêché dare-dare… On a dévalé la côte… « Marchez toujours ! marchez toujours ! que j’ai dit… Suivez ! vous ! tout droit… Moi je pique par là !… par le sentier !… » Ça me coupait énormément… J’étais en bas à la minute… Juste sur le tas… Juste devant… Il était tout racorni le vieux… ratatiné dans son froc… Et puis alors c’était bien lui !… Mais la tête était qu’un massacre !… Il se l’était tout éclatée… Il avait presque plus de crâne… À bout portant quoi !… Il agrippait encore le flingue… Il l’étreignait dans ses bras… Le double canon lui rentrait à travers la bouche, lui traversait tout le cassis… Ça embrochait toute la compote… Toute la barbaque en hachis !… en petits lambeaux, en glaires, en franges… Des gros caillots, des plaques de tifs… Il avait plus de châsses du tout… Ils étaient sautés… Son nez était comme à l’envers… C’est plus qu’un trou sa figure… avec des rebords tout gluants… et puis comme une boule de sang qui bouchait… au milieu… coagulée… un gros pâté… et puis des rigoles qui suintaient jusqu’à l’autre côté de la route… Surtout ça coulait du menton qu’était devenu comme une éponge… Y en avait jusque dans le fossé… ça faisait des flaques prises dans la glace… La vieille elle a bien regardé tout… Elle restait là plantée devant… Elle a pas fait ouf !… Alors je me suis décidé… « On va le porter sur le remblai… » que j’ai dit comme ça… On s’agenouille donc tous les deux… On ébranle un peu d’abord tout le paquet… On essaye de décoller… On fait un peu de force… Je tiraille moi sur la tête… Ça se détachait pas du tout !… On a jamais pu !… C’était adhérent bien de trop… Surtout des oreilles qu’étaient toutes soudées !… C’était pris comme un seul bloc avec les graviers et la glace… Le tronc même et puis les jambes on aurait pu les soulager en tirant dessus assez fort… Mais pas la tête !… Le hachis… ça faisait un pavé compact avec les cailloux de la route… C’était pas possible… Le corps ratatiné en Z… le canon embrochant la tête… Il fallait d’abord le détendre… et puis ressortir l’arme… Il avait les reins tout braqués… le derrière pris dans les talons… Il s’était convulsé à froid… J’inspecte un peu les alentours. Je vois une ferme en contrebas… C’était peut-être celle du facteur ?… Celle dont il m’avait parlé ?… Le lieu des « Plaquets »… Je me dis : « Voilà c’est l’endroit même… C’est sûrement ça !… » Je préviens ma grognasse…