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« Hé bougez donc plus !… que je lui fais… Je vais chercher du monde !… Je retourne tout de suite !… Ils vont nous aider !… Bougez plus du tout !… C’est sûrement ça la ferme à Jeanne… C’est ceux-là qui l’ont entendu. »

J’arrive comme ça, près de la bâtisse… Je cogne d’abord à la porte et puis contre la persienne… Personne n’a l’air de me gaffer… Je recommence… Je fais demi-tour par les écuries… Je rentre franchement dans la cour… Je cogne et je recogne ! Je hurle… Ils bougent toujours pas !… Et je sens pourtant qu’y avait du monde !… Leur cheminée fume !… Je secoue violemment la lourde… Je tape, je carillonne les carreaux… Je vais tout déglinguer les volets si ils s’amènent pas… Y a une gueule quand même qui débusque !… C’est son gars à la mère Jeanne !… C’est l’Arton du premier lit… Il risque pas lerche… Il montre juste un peu son blaze… J’explique ce que je voudrais… Un coup de main pour le transport… Ah ! ça la brûle immédiatement d’entendre émettre des mots pareils… c’est elle qui s’oppose… qui s’anime du coup !… Elle veut pas qu’on parle d’y toucher !… Elle l’empêche même de me répondre son petit gars foireux… Elle veut pas du tout qu’il sorte !… Il va rester là, bon sang ! À côté de sa mère !… Si je peux pas l’enlever de la chaussée… J’ai qu’à chercher les gendarmes !… « Ils sont faits pour ça, eux autres !… » Pour rien au monde les Arton de la ferme qu’ils s’en mêleraient… Ils ont rien vu !… Rien entendu !… Ils savent même pas de quoi il s’agit !…

La mère des Pereires là-haut, montée sur le rebord du talus, elle m’observait parlementer !… Elle poussait des clameurs atroces… Elle faisait un raffut dégueulasse… C’était bien dans sa nature… Tout de suite après le premier émoi elle était plus tenable !… Je leur montrai de loin, à ces deux sauvages, la pauvre femme en désespoir !…

« Vous entendez !… Vous entendez pas ?… L’horrible douleur ?… On peut quand même pas lui laisser son mari comme ça dans la boue !… De quoi que vous craignez ?… C’est pas un chien nom de Dieu !… Il a pas la rage !… C’est pas un veau !… Il a pas les aphtes !… Il s’est tué et puis voilà !… C’était un homme sain… Il a pas la morve !… Faudrait au moins qu’on l’abrite un petit moment dans le hangar !… Le temps que les autres ils arrivent !… Avant qu’il passe des voitures… Elles vont lui monter sur le corps ! » Ils démordaient pas les cacas !… Ils se butaient même de plus en plus à mesure que j’insistais… « Mais non ! Mais non !… » qu’ils s’insurgeaient ! Certainement qu’ils le prendraient pas !… Jamais chez eux !… Ça jamais absolument… Ils ont même pas voulu m’ouvrir… Ils me disaient de barrer ailleurs… Ils commençaient à bien me faire chier… J’y ai dit alors à cette fausse tripe… :

« Bon ! Bon ! Ça va ! Madame ! Je vous ai compris !… Vous en voulez pas ? C’est votre dernier mot ? Positif ? Très bien ! Bon ! Très bien !… Ça sera pour vos fesses ! Et voilà ! C’est moi alors qui vais rester ! Mais oui ! Comme ça !… Je resterai là pendant huit jours ! Je resterai pendant un mois ! Je resterai là tout le temps qu’il faudra !… Je vais gueuler jusqu’à ce qu’ils arrivent !… Je gueulerai à tout le monde que c’est vous !… Que vous avez tout machiné !… » Ah ! du coup ils faisaient mauvais… Ah ! quelle pétoche, bordel de Dieu !… Ah ! la trouille qui leur a passé !… Et que je continuais mon pétard !… Ah ! mais je me serais pas dégonflé !… Je serais tombé en épilepsie rien que pour mieux les posséder !… tellement qu’ils me caillaient ces ordures !… Ils savaient plus comment me reprendre… La vieille, de loin du remblai, elle me criait elle de plus en plus… Elle voulait que je me dépêche… « Ferdinand ! Dis donc Ferdinand !… Apporte de l’eau chaude !… Apporte un sac ! une serpillière !… » La seule chose qu’ils ont voulue, les deux saligauds… à la fin des fins… à force de baratiner et pour que je lâche un peu leur persienne… ce fut de me passer leur brouette et à condition absolue que je la ramènerais le jour même… tout à fait rincée, nettoyée !… récurée à l’eau de Javel !… Ils ont insisté, spécifié… Ils ont répété vingt fois !… Je suis donc remonté toute la côte avec l’ustensile… Il a fallu que je redescende pour redemander une truelle… pour qu’on décolle quand même l’oreille… qu’on casse les grumeaux… On y est parvenu tout doucement… Mais le sang alors a regiclé… recoulé en grande abondance… Son gilet de flanelle c’était plus qu’une grosse gélatine, une bouillie dans sa redingote… tout le gris est devenu tout rouge… Mais ce qui fut le plus terrible, ce fut pour dégager le fusil… Le canon comme ça, il tenait si dur dans l’énorme bouchon de barbaque avec la cervelle… c’était comme coincé, pris à bloc, à travers la bouche et le crâne !… qu’on a dû s’y mettre tous les deux… Elle retenait la tête d’un côté, moi je tirais de l’autre par la crosse… quand la cervelle a lâché ça a rejuté encore plus fort… ça dégoulinait à travers… ça fumait aussi… c’était encore chaud… y a eu un flot de sang par le cou… Il s’était empalé raide… Il était retombé sur ses genoux… Il s’était écroulé comme ça… le canon dans le fond de la bouche… Il s’était crevé toute la tête…

Une fois qu’on l’a eu dégagé on l’a retourné sur le dos… le ventre et la tronche en l’air… mais il se repliait quand même ! Il restait en Z… Heureusement qu’on a pu le caler entre les montants de la brouette… Le cou, le moignon de la tête, ça gênait quand même un petit peu… Ça venait ballotter dans la roue… La vieille a retiré son jupon… et sa grosse requimpe écossaise pour lui empaqueter mieux le cassis… Pour que ça lui coule un peu moins… Mais aussitôt qu’on a roulé… avec les chocs et cahots… ça s’est remis à jaillir et toujours encore plus épais !… On pouvait nous suivre à la trace… J’allais pourtant tout doucement. J’allais à petits pas… J’arrêtais toutes les deux minutes… On a bien mis au moins trois heures pour faire les sept kilomètres !… De très loin j’ai vu les gendarmes… leurs chevaux plutôt… juste devant la ferme… Ils nous attendaient… Ils étaient quatre et le brigadier… et puis encore un civil, un grand, que je connaissais pas… Jamais je l’avais vu celui-là… On avançait au centimètre… J’étais plus pressé du tout… On est arrivés quand même à la fin du compte… Ils nous avaient bien vus venir… au moins depuis la crête du plateau… Ils nous avaient sûrement repérés… avant même qu’on entre dans le bois…

« Allez ! Toi l’enflure, laisse ta brouette sous la voûte ! Entrez par ici tous les deux !… Le commissaire va venir tout à l’heure… Mettez-lui les menottes ! et à elle aussi !… » Ils nous ont bouclés dans la grange. Le gendarme est resté devant la porte.

On a attendu plusieurs heures comme ça là sur la paille… J’entendais tout le populo qui s’ameutait devant la ferme. Ça se peuplait le village !… Ils devaient affluer de partout… Sous la voûte y en avait sûrement… Je les entendais discuter… C’est le commissaire qui ne venait pas… Le brigadier entrait, sortait, il devenait tout à fait rageur… Il a voulu montrer du zèle en attendant la justice… Il commandait à ses bourriques…