« Repoussez-moi tous les curieux ! Et amenez-moi les prisonniers !… » Il avait posé des questions déjà à tous les mignards… Il nous a fait revenir devant lui et puis retourner encore une fois dans le fin fond de la grange… et puis ressortir pour de bon… Il nous ravageait la salope !… Il faisait du zèle… Il nous traitait en farouche… Il voulait nous épouvanter !… sans doute pour qu’on se mette à table… qu’on lui fasse tout de suite des aveux !… Il avait le bonjour !… On n’avait pas le droit qu’il disait, de trimbaler le corps ! Que c’était un crime en soi-même !… Qu’on aurait jamais dû le toucher !… Qu’il était très bien sur la route !… Qu’il pouvait plus faire le constat !… Ah ? Et qu’un coup de bagne pour vingt-cinq ans ça nous dresserait à tous le cul ! Sacredieu pétard ! Ah ! il nous aimait pas la tante !… Enfin toutes les plus crasses des salades ! des vraies sales beuglages de sale con !…
La vieille elle mouffetait plus bezef depuis qu’on était rentrés. Elle restait comme ça en larmes, accroupie contre le battant. Elle avait seulement des hoquets et puis deux, trois plaintes toujours… C’est à moi qu’elle demandait…
« Jamais j’aurais cru Ferdinand !… Vraiment là c’est trop !… C’est trop de malheur Ferdinand !… J’en ai plus la force !… Non !… Je peux plus !… Je crois plus !… Je crois pas que c’est vrai Ferdinand !… Dis-toi ?… C’est bien vrai ? Tu crois que c’est véritable, dis toi ?… Ah ! écoute c’est pas possible !… » Ça, elle était bien sonnée… Elle avait son compte… une berlue loucheuse… Mais aussitôt que l’autre bourrique il est revenu au baratin, qu’il nous a traités en pourris, avec son accent si rouleur… alors ça l’a net provoquée !… Elle avait beau être avachie… Elle a ressauté sous l’affront !… Un terrible effet !… Elle a rebardé comme une fauve !… Elle a rejailli à sa hauteur !
« Pardon ! Pardon ! qu’elle s’est rebiffée… Je vous entends pas bien… Comment que vous dites ?… » Elle s’est requinquée sous son blaze… Comment que vous me parlez à présent ?… Que c’est moi qui l’ai massacré ?… Mais vous avez bu mon garçon !… Ah ! vous avez du culot !… Mais vous êtes tous fous alors ?… Mais comment ?… C’est moi que vous venez accuser ?… Pour ce voyou ?… Cet abuseur ?… de sac et de corde ?… Ah ! mais je la retiens alors celle-là !… Ah ! elle est trop bonne !… Ah ! je la ferai copier !… La vermine qu’a fait mon malheur !… Et qui n’en a jamais fait d’autres !… Mais c’est moi !… vous entendez !… Mais c’est moi ! très justement qu’il a toujours assassinée !… Ah le vampire ? mais c’est lui… Mais pas seulement qu’une seule fois ! pas dix fois !… pas cent fois !… mais mille ! dix mille fois !… Mais vous étiez pas encore nés tous autant que vous êtes qu’il m’assassinait tous les jours !… Mais je me suis mise en quatre pour lui !… Oui ! arraché toutes les tripes !… J’ai été sans briffer des semaines pour qu’on l’embarque pas aux Rungis !… Toute ma vie vous m’entendez ?… Échignée ! Bernée !… c’est moi ! Oui !… crevée. Oui toute ma vie pour ce fumier-là !… Mais j’y ai tout fait pour qu’il en sorte !… Tout !… Tout le monde le sait bien d’ailleurs !… Vous avez qu’à les poser à eux vos questions !… Aux gens qui savent… Qui nous connaissent… Qui m’ont vue !… Allez donc au Palais-Royal !… allez donc voir à Montretout !… Je suis connue moi là !… On le sait là-bas tout ce que j’ai fait… comment je me suis martyrisée !… Ferdinand il peut bien vous dire !… Il est jeune mais il se rend bien compte !… J’ai fait des miracles moi, Monsieur !… pour qu’il retombe pas dans son ruisseau !… Des miracles !… Et au déshonneur !… C’était sa nature !… Il se vautrait plus bas qu’une truie si on le laissait une seule minute !… Il s’écroulait dans toutes les fosses… Il y pouvait rien !… Oui !… J’ai pas peur de le dire moi !… une latrine ! J’ai rien à cacher !… Tout le monde d’abord sait tout ça… Plus de honte ! sacré bon sang !… Il avait tous les penchants !… Tous ! Tous les pires ! Que vous-mêmes gendarmes vous êtes trop jeunes pour les comprendre !… Même pour entendre vous êtes trop jeunes !
Elle les dévisageait les bourres !… Elle était en cheveux, ses tifs lui retombaient dans les châsses, des mèches grises filoches… Elle transpirait fort… Elle titubait un tout petit peu, elle se rassoyait.
« À la façon qu’il termine vous trouvez ça bien potable vous autres ?… C’est tout ce que vous venez me dire maintenant ?… Que moi on me traite comme une poufiasse !… La voilà ma récompense !… Si vous saviez toutes les dettes ! Ah ! Vous savez pas ça non plus !… Et comment qu’il s’en foutait alors !… Un drapeau-ci !… Un drapeau-là !… Va les douiller ma chère rombière ! Et toujours encore des nouvelles !… Crève-toi le ventre… T’es là pour ça ! Un coup d’esbroufe ! Perlimpinpin ! Un coup de nuage ! Un boniment ! Va comme je te pousse ! Limonade !… C’est tout comme ça qu’il a vécu ! Il comprenait que ça ! l’entourloupe ! La cloche ! Pas un soupçon de sentiment !… » Elle se contractait sur le chagrin, elle gueulait entre les saccades !…
« C’est moi ! c’est moi jusqu’au bout qu’ai conservé sa maison ! Si je l’avais pas défendue, elle serait fourguée depuis les calendes ! Il pouvait pas se retenir !… Il a profité le sale fléau que je suis tombée juste si malade ! Que je pouvais plus me rendre compte de rien !… Il a tout lavé… Tout bu !… Tout bazardé séance tenante ! Demandez donc si c’est pas vrai ?… Si je suis la menteuse !… Rien ! Jamais il m’a épargné ! Rien ! Il pouvait pas !… C’était bien plus fort que lui !… Il fallait qu’il me martyrise !… Tout pour ses morues ! Tout pour ses vices !… Ses chevaux !… Ses courses ! Ses calembredaines !… Toutes ses saouleries !… Je sais plus quoi !… La générosité !… À des inconnus qu’il donnait !… N’importe quoi !… Pourvu que ça file !… Ça lui tenait pas entre les mains !… Que j’en crève c’était bien égal !… C’est ça qu’il a toujours voulu ! Voici… trente ans que ça durait !… Trente ans, que j’ai tout supporté… c’est pas une seconde trente ans !… Et là c’est moi qu’on accuse !… Après toutes les pires avanies !… Après que j’ai tout enduré ?… Ah dis donc ! Ça passe les bornes !… » À cette énorme pensée-là elle se remettait en transports ! Comment ? Comment ! C’est pas Dieu permis ! Le voilà qui se défigure… il se barre !… Il se met en compote ! maintenant c’est moi qu’est la coupable ? Ah ! là ! là ! Mais c’est un comble !… Y a de quoi se renverser !… Ah ! la charognerie ! Ah ! il sera bien dit jusqu’au bout qu’il m’a emmerdé l’existence ce sale foutu pierrot pourri !… Mais moi je suis bonne !… Moi je reste !… À toi ! À toi ! Tiens dur la rampe vieille bourrique ! Il restera rien ! pas un croc ! Que des dettes ! Que des dettes ! Ça il s’en fout ! Lui ! pourvu qu’il dilapide !… Tout ! qu’il m’a fait perdre !… Ça Ferdinand le sait bien ! Il l’a vue la situation !… Il a vu comme je me suis démenée, bouleversée, retourné les méninges encore à la dernière seconde !… Pour pas qu’on quitte Montretout !… Pour pas venir dans ce coin de cochon ! M’enterrer avec ses patates !… Y a rien eu à faire !… Il était buté au malheur !… Ça Ferdinand le sait bien aussi !… J’ai tout gâché !… J’ai tout perdu pour ce pantin !… Ce phénomène de roulure ! Ma situation, ma carrière ! Un bon métier, mes amis ! Tout !… mes parents !… Personne a plus voulu nous voir !… Rien que des ramassis d’escarpes ! des bandes de voyous déchaînés ! des échappés de Charenton !… Je me suis détruit la santé !… Mon opération d’abord ! Et puis j’ai vieilli de vingt ans pendant les derniers six mois !… Avant lui j’avais jamais rien !… Je savais pas ce que c’était qu’un rhume !… Je digérais n’importe quoi !… J’avais l’estomac d’autruche !… Mais à force avec des catastrophes !… Il apportait jamais que ça !… Et c’était jamais terminé ! À peine on avait fini… Hop ! il en fourniquait une autre ! Toujours plus extravagante !… Je l’ai perdue ma résistance ! C’est bien facile à comprendre ! On m’a opérée c’est fatal !… Ils me l’ont bien dit chez Péan… “ Recommencez pas cette vie-là, Mme des Pereires !… ça tournerait très mal !… Des ménagements !… des précautions !… Pas trop de soucis !… ” Ah ! va te faire foutre ! C’était pire d’une année à l’autre !… Jamais une minute d’accalmie… que des procès ! des sommations !… Du papier vert !… du papier jaune !… Des créanciers devant toutes les portes ! Persécutée !… Voilà comment j’ai vécu… Persécutée jour et nuit !… Exactement ! Une véritable vie de criminelle !… Pour lui encore ! toujours pour lui !… Qui c’est qui pourrait résister ?… J’ai pas dormi, depuis vingt ans, une seule nuit complète ! Si vous voulez tout savoir ! C’est la vérité absolue !… On m’a tout enlevé à moi !… le sommeil, l’appétit, mes économies !… J’ai des bouffées que j’en tiens plus debout !… Je peux plus prendre un omnibus ! Je suis écœurée immédiatement !… Aussitôt que je vais un peu vite, même à pied je vois trente-six chandelles !… Et à présent on me dit encore que c’est moi qui assassine !… Ça c’est bien le plus fort que tout ! Tenez ! Regardez donc vous-même avant de causer des choses pareilles !… »