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« Ah ! Toute ma vie !… Ah ! toute ma vie !… Oh ! Oh !… » comme ça toujours plus aigu.

« C’est pas moi, Messieurs, qu’ai fait ça !… C’est pas moi quand même !… Je vous le jure !… Je vous le jure ! Toute ma vie pour lui !… Pour qu’il soit heureux un peu !… pour qu’il se plaigne pas !… Il avait bien besoin de moi !… le jour et la nuit… ça je peux bien le dire !… C’est pas un mensonge ! Hein Ferdinand ? Pas que c’est vrai ? Toujours tous les sacrifices !… Il a plus de tête !… Ah ! Comme vous m’en voulez tous !… Il a rien gardé !… Bonne chance !… Bonne chance !… qu’il a dit… le pauvre amour !… Bonne chance !… Mon Dieu ! vous avez vu ?… c’est écrit !… C’est lui ça quand même !… C’est bien écrit avec sa main ! C’est pas moi ! Le pauvre malheureux ! C’est pas moi ! Bonne chance ! Ça c’est lui ! Absolument seul ! On la voit bien son écriture ! Ah ! C’est pas moi !… Ça se voit quand même !… N’est-ce pas que ça se voit bien ?… »

De tout son long qu’elle avait plongé sur la terre battue… Elle se cognait dedans de tout son corps… Elle se serrait toute contre Courtial… Elle grelottait en le suppliant… Elle lui parlait encore quand même…

« Courtial ! je t’en prie ! Courtial… dis-moi ! Dis-moi ça bien à moi mon chou !… Pourquoi t’as fait ça ?… Pourquoi t’étais si méchant ?… Hein ? Dis-moi ? mon gros ! mon trésor !… » Elle se retournait vers les cognes…

« C’est lui ! C’est lui ! C’est un placenta ! C’est un placenta !… » Elle se remettait dans une transe… elle se bouffait les mèches… on s’entendait plus dans la piaule tellement qu’elle mugissait fort… Tous les curieux à la fenêtre ils se montaient les uns sur les autres… Elle mordait à même ses menottes, elle convulsait, hantée, par terre. Ils l’ont relevée de force les gendarmes, ils l’ont transbordée dans la grange… Elle poussait des cris d’empalée… Elle se cramponnait après la porte… Elle tombait… elle rechargeait dedans… « Je veux le voir !… Je veux le voir !… qu’elle hurlait… Montrez-le-moi !… Ils veulent le prendre ! les assassins ! Au secours ! Au secours ! Mon petit ! Mon petit !… Pas toi Ferdinand ! Pas toi !… C’est pas toi mon chou !… Je veux le voir !… Pitié !… Je veux le voir !… » Tout comme ça pendant une heure. Il a fallu qu’ils y retournent, qu’ils y enlèvent ses menottes… Alors elle s’est un peu calmée… Ils m’ont pas enlevé les miennes… J’ai promis pourtant d’être tranquille.

L’après-midi un autre griffeton est arrivé en bicyclette… Il venait tout exprès de Persant… Il a redit au brigadier qu’il fallait nous qu’on touche à rien… Que c’est le Parquet qu’allait venir… que c’était pas le Commissaire… Que c’était les ordres mêmes du Juge d’instruction… Il nous a commandé aussi qu’on prépare les affaires des mômes, qu’ils partiraient tous le lendemain à la première heure… Qu’on les attendait à Versailles dans un Refuge de l’Assistance « La Préservation Juvénile »… Ça aussi c’était dans les ordres !… Il devait pas en rester un seul après dix heures du matin !… Deux personnes spéciales devaient venir exprès de Beauvais pour nous les emmener… les accompagner à la gare…

On a répété les ordres aux moujingues qu’étaient dans la cour, fallait bien qu’on les prévienne… que c’était fini notre poloche… que c’était des choses révolues !… Ils saisissaient pas encore net… Ils se demandaient ce qu’ils allaient faire ?… Où ça qu’on allait les emmener ?… Si c’était pas seulement une blague ?… J’ai essayé de leur faire comprendre qu’elle était finie la musique !… que notre rouleau tournait plus !… Ils entravaient pas du tout !… Que le Juge avait ordonné qu’on liquide toute la boutique ! Qu’on renvoye séance tenante toute la « Race Nouvelle » chez elle ! Qu’ils allaient saquer en même temps toute notre culture des « effluves » !… qu’ils en voulaient plus de notre bastringue !… Qu’ils étaient tous des vrais féroces !… Impitoyables ! Résolus ! Que c’était fini n-i ni !… Qu’on allait rechercher leurs dabes !… Qu’il fallait ce coup-là qu’on les retrouve !…

Tout ça c’était du chinois… Ils avaient perdu l’habitude d’être traités en mômes… Ils étaient trop émancipés !… ils se rendaient plus compte des choses de l’obéissance !… C’était pas très compliqué pour réunir leur saint-frusquin !… ils avaient en somme que leurs os… et leurs petits frocs dessus !… en fait de garniture… Ils avaient quelques grolles de « fauche » qu’étaient jamais la pointure. Ils en mettaient souvent qu’une… Ils bagottaient plutôt pieds nus !… Eh bien ils ont trouvé quand même moyen d’embarquer tout un bric-à-brac… des myriades de clous, des crochets, trébuchets, frondes, des cordelettes, des pièges à glu… des jeux de râpes entiers, des cisailles et tous les ressorts à boudins et encore des lames de rasoirs emmanchées sur des longs bâtons… deux pinces complètes « Monseigneur »… Y avait que le Dudule qu’avait rien… Il travaillait avec ses doigts… Ils croyaient les gniards qu’où on les emmenait tout ça pourrait encore resservir… Ils se rendaient pas compte !… J’avais pourtant bien insisté… Ils prenaient rien au tragique… Ils avaient pourtant bien vu le vieux avec sa gueule en débris ! Et la vieille ils l’entendaient bien à travers la porte… comment qu’elle râlait… Mais ça les effrayait plus…

« Moi, tiens ! qu’il me faisait Dudule, je te jure qu’on sera revenu jeudi !…

— Tu les connais pas mon fiote ! que j’y répliquais… Surtout faites pas vos petits durs !… Ils vous boucleraient pour la vie !… Ils ont des cabanes terribles !… Gafez-vous ! rentrez vos marioles !… Fermez bien vos trappes à tous… » Même la Mésange elle crânouillait : « Ferdinand ! Penses-tu ! Balle-Peau ! C’est pour qu’on voye pas l’enterrement qu’ils nous font trisser !… Tout ça c’est du mou !… On reviendra sûrement pour dimanche !… Quand ça sera fini !… » Moi je voulais bien… Toute la petite fourgue ils l’ont paquetée… Y a eu encore discussion à propos de partage… Ils voulaient tous de « l’élastique »… du gros épais… Ils étaient des as pour les piafs !… Ils ont emmené du laiton, presque deux rouleaux… Et qui pesaient lourd !… Mais il en restait Nom de Dieu ! Tout un coffre dans le hangar !…

Les deux dames accompagnatrices, elles sont arrivées plus tôt qu’on pensait… Un peu des genres de « bonnes sœurs ». Pas de cornettes, mais des robes grises bien montantes, exactement toutes deux semblables, et puis des mitaines… et des drôles de voix trop douces et bien insistantes… Il faisait pas encore nuit…

« Alors voilà mes chers enfants… Il va falloir se presser un peu… qu’elle a dit comme ça la plus mince… J’espère que vous serez bien sages !… Nous allons faire un beau voyage… » Elles les ont rangés deux par deux… Mais Dudule tout seul en avant… C’était bien pour la première fois qu’ils se mettaient en ordre… Elles ont demandé à tous leurs noms…

« Maintenant il faudra plus causer !… Vous êtes des petits enfants très sages !… Comment t’appelles-tu toi mignonne ?…

— Mésange-Petite-Peau !… » qu’elle a répondu. C’était bien exact d’ailleurs que les autres l’appelaient ainsi. Ils étaient encore neuf en tout… Cinq garçons, quatre filles. Le Dudule nous laissait son clebs… Ils en voulaient pas à Versailles… Ils ont rompu un coup les rangs… Ils oubliaient la daronne !… Elle était toujours dans sa grange… Ils y ont été vite l’embrasser… Y a eu forcément un peu de larmes… C’était tout de même pas très marrant comme séparation… vu les circonstances… C’est la Mésange qu’a pleuré le plus…

« Au revoir Ferdinand !… Au revoir Ferdinand ! À bientôt !… » qu’ils me criaient encore de l’autre bout de la cour… les dames elles rassemblaient leur troupe…