Выбрать главу

« Voyons, mes enfants ! Voyons !… Allons mes petites filles… » Ils me lançaient les derniers appels tout au bout du chemin… « À bientôt pote !… à bientôt !… »

Merde ! Merde ! Moi je me rendais compte… L’âge ça c’est le plein tour de vache… Les enfants, c’est comme les années, on les revoit jamais. Le chien à Dudule on l’a refermé avec la vioque. Ils pleuraient ensemble tous les deux. C’est lui qui gémissait le plus fort. Ce jour-là c’est vrai, je peux bien le dire c’est un des plus moches de ma vie. Merde !

Une fois comme ça les mômes partis le brigadier s’est installé avec ses hommes dans la cuisine. Ils ont vu que j’étais bien peinard, ils me les ont enlevées mes menottes… Le corps était à côté… On avait plus rien à faire puisqu’on attendait que le lendemain l’arrivée du Procureur… Y aurait « Instruction » qu’ils disaient. Ils commentaient ça les Pandores ! Enfin ils nous engueulaient plus. Et puis alors ils avaient faim… Ils ont inspecté les placards… si ils voyaient pas du fricot… Ils cherchaient aussi à se rincer… Mais y avait plus rien comme tutu… On a rallumé du feu… Il pleuvait dans la cheminée… Et puis il a refait très froid. Février c’est le mois le plus petit, c’est aussi le plus méchant !… Le début de l’hiver avait pas été trop dur… maintenant ça se vengeait la saison… Ils causaient de tout ça entre eux les guignols… C’était des paysans dans l’âme… Ils traînaient leurs bottes partout… Je regardais leurs tronches de près… Ils fumaient leurs pipes… Ils étaient autour de notre table… On avait le temps de se contempler… Ils avaient comme une épaisse panne à partir des yeux. Entièrement les joues blindées… et puis encore des bourlaguets tout autour du cou… qui leur remontaient aux esgourdes… Ils étaient fadés en substances, ils étaient plutôt pansus ! surtout un qu’était le double des autres… Il fallait pas leur en promettre ! Leurs bicornes ils faisaient pyramide au milieu de la table, emboîtés en pile… Leurs bottes aussi c’était « ad hoc » pour faire les sept lieues !… Des porte-parapluies !… Quand ils se levaient tous les cinq en traînant leurs sabres ils déclenchaient une quincaille. qu’on a pas idée… Mais ils ont eu de plus en plus soif… Ils ont été chercher du cidre chez les vieux au bout du hameau… Plus tard encore, peut-être vers les huit heures du soir, un autre griffeton est arrivé… Il venait de leur casernement… Il leur apportait du pinard et une petite croûte… cinq gamelles… Il nous restait nous du café. J’ai dit qu’on pouvait leur en faire à condition qu’on nous le laisse moudre. Ils ont bien voulu. La vieille elle est sortie de sa grange. Ils ont été lui ouvrir. L’accès de la colère il était passé. Ça les privait bien ces colosses d’avoir que ça comme pitance ! Une petite gamelle pour chacun !… et la boule pour cinq !… La daronne elle avait du lard, je le savais bien, encore un petit peu en réserve… Et puis des lentilles, dans une planque à elle, des navets, et puis peut-être même encore une demi-livre de margarine…

« Je peux vous faire la soupe ! qu’elle a dit… Maintenant que les mômes sont plus là !… Je peux peut-être vous faire bouffer tous !… » Ils ont accepté très heureux… Ils s’en tapaient sur les cuisses… Mais elle repleurnichait quand même… Nous avions une marmite de taille !… elle tenait au moins quinze gamelles… Un autre pinard est arrivé… Celui-là il venait tout droit de Persant… C’était l’épouse du brigadier qui l’envoyait par un gamin avec une lettre et un journal… On s’est assis à côté d’eux… Forcément on partageait… Ça faisait un peu plus de vingt-quatre heures qu’on avait rien becté nous autres… Les gendarmes ils en redemandaient… On a vidé tout le chaudron… Ils ont causé qu’entre eux d’abord… Ils s’animaient à mesure… Ils ingurgitaient tant et plus… Ils se déboutonnaient franchement… Un des cinq… pas le brigadier… un qu’était déjà tout chauve, il semblait plus curieux que les autres… Il a demandé à la daronne ce qu’il faisait le mort en fait de métier avant de venir à la culture ?… Ça l’intéressait… Elle a essayé de lui répondre, mais elle a pas pu très bien… Elle s’étranglait à chaque parole… Elle se dissolvait en sanglots… Elle mouchait dans son assiette… Elle a éternué dans la poivrière… Tout le monde se marrait finalement… Et puis ça emportait la gueule… elle avait eu la main lourde avec le piment… Oh ! oua ! ouaf !… Il faisait chaud aussi dans la piaule… Le feu tirait à ravir !… Quand le vent était bien placé on aurait brûlé la baraque !… mais si il changeait de direction alors il refoulait dans la tôle !… On étouffait dans la fumée !… C’est toujours comme ça à la campagne…

Au bout du banc le brigadier, il tenait plus par la chaleur… Il a tombé la tunique… Les autres ils ont fait pareil… Les huiles du Parquet ils pouvaient venir que le lendemain matin… Y avait donc pas de pet… Ils se demandaient tous pourquoi le Commissaire s’était défilé ?… Ça les passionnait cette question. Et pourquoi surtout le Procureur lui-même ?… Et pourquoi si rapidement ?… Il devait y avoir eu une bisbille entre le Greffe et la Préfecture… Telle était la belle conclusion… Si y avait comme ça des bagarres, nous autres on paumerait certainement… Moi voilà déjà ce que je pensais. Le brigadier, peu à peu, il a recommencé son dîner… Il s’est tapé à lui tout seul presque tout un camembert !… des tartines immenses !… avec le coup de rouge par-dessus !… Une bouchée !… un coup !… Une bouchée !… une autre !… Je le regardais faire… il me clignait de l’œil… il était déjà chiasse un peu !… Il est devenu tout cordial… Il a demandé à la vioque, comme ça, pas du tout brutal, absolument sans malice, ce qu’il faisait donc son Courtial, avant qu’ils arrivent à Blême ?… Elle l’a compris tout de travers. Elle en était comme gâteuse à force de pleurer. Elle lui répondait « Rhumatismes ! » elle y était absolument plus !… Elle s’est remise à battre la breloque… Les larmes lui reprenaient le dessus… Elle l’a imploré, supplié pour qu’il la laisse dans la cuisine… à côté… encore un petit peu… Pour le veiller un moment… Par exemple jusqu’à minuit !… On n’avait plus d’huile ni de pétrole… seulement que des chandelles mais alors un assortiment !… Les mômes ils en fauchaient partout, toujours, chaque fois qu’ils sortaient… qu’ils passaient un peu dans une ferme… Ils nous en avaient rapporté de tous les calibres des calebombes !… on avait un choix, la vieille voulait en mettre deux… Le brigadier en avait marre de l’entendre glapir…

« Allez ! Allez !… et puis revenez vite ! Tout de suite !… Et foutez pas le feu !… Et puis touchez pas au bonhomme hein ?… ou je vous renferme dans la grange !… Et puis alors pour de bon !… »

Elle y est partie… Au bout d’un instant, comme elle revenait pas un gendarme s’est levé pour voir… « Qu’est-ce qu’elle fabrique ?… » qu’ils se demandaient… J’y ai été aussi avec lui… Elle était recourbée à genoux contre le corps…

« Je peux pas le recouvrir ?… — Ah ! non qu’il répondait le guignol… — C’est pas qu’il me fasse peur, vous savez ! Mais il faudra bien qu’ils l’enveloppent… Ils peuvent pas l’emmener comme ça !… Je le bougerai pas ! Ça je vous le promets !… J’ai pas besoin d’y toucher ! Je voudrais qu’on lui passe une étoffe !… Ça seulement !… c’est tout !… Une étoffe dessous et puis sur la tête… »

Je me demandais ce qu’elle voulait lui mettre ?… Des draps ?… On en avait pas… On en avait jamais eu à Blême… On avait bien des couvertures, mais elles étaient plus que des loques… et des absolument pourries !… On s’en servait plus depuis la paille… puisqu’on couchait tout habillés… des vrais détritus… Le gendarme il voulait pas de ça !… Il voulait qu’elle demande elle-même au brigadier la permission… Mais le brigadier lui il ronflait… Il avait sombré sur la table… On l’apercevait par la porte… Les autres ploucs ils faisaient la manille…