« Mais qu’est-ce que t’as ! mon pauvre crabe !… Mais t’es tout défait ! Mais voyons, il faut pas te frapper !… Ce que j’en disais tout à l’heure à propos de ta place, c’était seulement pour qu’on en cause… Je prenais pas ça au sérieux ! Faut pas le prendre non plus ! Tu vas pas quand même t’effarer pour des fariboles pareilles !… Tu me connais pourtant assez bien !… T’as pas confiance dans ton oncle ?… Je disais pas ça pour te chasser !… Voyons gros andouille ! tu m’as pas compris ?… Rentre-moi tout de suite ces pleurs ! T’as l’air d’une mignarde à présent !… Hein mon petit boulot c’est fini ?… Un homme ça chiale pas !… Tu resteras tant qu’il faudra !… Là ! Voyons quand même !… Tu vas d’abord te remplumer… Je veux te voir rebouffi, rebondi ! gavé ! gras du bide ! On voudrait pas de toi n’importe où ! T’y penses pas ! comme ça ?… Tu peux pas te défendre tel quel !… On prend pas les papiers mâchés ! Faut être maous sur la place ! Tu leur fouteras tous sur la gueule… Baoum !… Renversez-moi tout ça !… Un coup du droit ! Bang ! Un coup du gauche… Garçon ! Monsieur ? Un biscoto !… » Il me consolait comme il pouvait, mais j’arrivais pas à me tarir. Je tournais tout à fait en fontaine.
« Je veux m’en aller, mon oncle !… Je veux partir !… Je veux partir loin !…
— Comment t’en aller ?… Partir où ?… En Chine ?… Loin ? Où ça ?…
— Je sais pas, mon oncle !… Je sais pas !… » Je dégoulinais de plus en plus fort… Je me suis relevé… J’étouffais !… Mais une fois debout j’ai trébuché… Il a fallu qu’il m’étaye… Quand on est arrivés chez lui, il savait plus vraiment quoi faire !… Ni dire !…
« Eh bien, mon gros !… ben mon toto !… Faut oublier quand même tout ça !… Mettons que j’ai rien dit du tout !… C’est pas de ta faute mon pauvre gniard ! Allons ! Tu y es pour rien !… Courtial, tu sais comment il était !… C’était un homme extraordinaire !… C’était un parfait savant !… Là je suis entièrement d’accord !… Je l’ai toujours dit, tout le premier… Et je crois qu’il avait du cœur !… Mais c’était un homme d’aventure !… Extrêmement calé, c’est un fait ! Extrêmement capable et tout !… et qu’a souffert mille injustices !… Oui ! ça c’est encore entendu !… Mais c’était pas la première fois qu’il se promenait sur les précipices !… Ah ! C’était un zèbre pour les risques !… Il les frisait les catastrophes !… D’abord les gens qui jouent aux courses ? pas ?… C’est qu’ils aiment se casser la gueule !… Ils peuvent pas se refaire !… Ça on peut pas les empêcher… Il faut qu’ils arrivent au Malheur !… Dame ! Très bien !… C’est le goût du risque !… Ça me fait bien de la peine quand même ! Ah ! Tu peux croire, ça me touche beaucoup !… J’avais pour lui de l’admiration… Et même une sincère amitié !… C’était un cerveau unique !… Ah ! Je me rends bien compte ! Une véritable valeur !… J’ai l’air bête, mais je comprends bien… Seulement c’est pas une raison parce qu’il vient maintenant de mourir, pour toi en perdre le boire et le manger !… pour te décharner jusqu’aux os !… Ah ! ça non alors ! Par exemple ! Ah ! Nom de Dieu ! Non !… Tu pourrais pas gagner ta vie dans l’état où tu te trouves !… C’est pas à ton âge voyons qu’on se détruit comme ça la santé, parce qu’on est tombé sur un manche !… Tu vas pas remâcher ça toujours !… Mais t’as pas fini mon pote !… T’en verras bien d’autres, ma pauvre bouille !… Laisse les jérémiades aux rombières !… Ça les empêche pas de pisser !… Ça leur fait un plaisir intense !… Mais toi t’es un mec à la redresse !… Pas que t’es à la redresse Routoutou ?… Tu vas pas te noyer dans les pleurs ?… Hi ! Hi ! Hi ! Tu vois pas ça dans la soupe ?… » Il me donnait des toutes petites claques… Il essayait de me faire marrer !…
« Ah ! le pauvre saule pleureur !… Il nous revient comme ça de la campagne ? Déglingué !… Fondu !… Raplati !… Allons mon poulot !… Allons maintenant du courage !… Tiens, je te parlerai plus de t’en aller !… Tu vas rester avec moi !… Tu te placeras nulle part !… C’est conclu ! C’est entendu !… Là, t’es plus tranquille ?… Plus jamais tu te chercheras une place !… Là ! T’es content à présent ?… Tiens, je vais te prendre moi, dans mon garage !… C’est peut-être pas très excellent d’être apprenti chez son oncle… Mais enfin tant pis !… La santé d’abord ! Les usages, je m’en fous !… Le reste ça s’arrange toujours ! La santé ! voilà !… voilà !… Je te dresserai moi, tiens mon petit pote ! Je veux que tu prennes d’abord de la panne !… Ah ! Oui ! Ça te ronge toi de chercher des places… J’ai bien vu chez tes parents… T’as pas la façon facile, t’as pas le tempérament pour… Tu seras plus jamais contraint… puisque c’est ça qui t’épouvante !… Tu resteras toujours avec moi… Tu tireras plus les cordons… Tu ferais pas un bon placier… Ah ça non ! Hein ? Je peux pas ! Je peux pas mieux te dire !… T’aimes pas aller te présenter ?… Bien ! C’est ça qui te fout la pétoche ?… Bon !
— Non, mon oncle ! C’est pas tant ça !… Mais je voudrais partir…
— Partir ! Partir ! Mais partir où ?… Mais ça te turlupine, mon petit crabe !… Mais je te comprends plus du tout !… Tu veux retourner dans ton bled ?… T’en veux pousser des carottes ?
— Oh ! Non ! mon oncle… Ça je veux pas !… Je voudrais m’engager…
— Une idée qui te traverse toute cuite ?… Oh ! ben, alors ! T’y vas rondement !… T’engager ?… Où ?… Mais pour quoi faire ?… T’as tout ton temps mon poulot !… Tu t’en iras avec ta classe ! Qu’est-ce qui te précipite ?… t’as la vocation militaire ?… C’est marrant quand même !… » Il me considérait avec soin… Il me retrouvait tout insolite… Il me dévisageait…
« Ça c’est une lubie, mon lapin… Ça te prend comme une envie de pisser !… Mais ça te passera aussi de même !… Tu vas pas devenir comme Courtial ? Tu veux tourner hurluberlu ?… Ah ! ben dis donc tes parents ?… T’as pas réfléchi un petit peu ?… Comment qu’ils vont chanter alors ? Ah ! la sérénade ! Ah ! j’ai pas fini d’entendre ! Ils diront que c’est moi le responsable !… Ah ! Alors minute !… Que je t’ai foutu des drôles d’idées ! Que t’es sinoque comme ton dabe !… »
Il était pas content du tout… J’ai voulu tout lui avouer !… Comme ça d’emblée… N’importe quoi !… N’importe comment !…
« Mais je sais pas rien faire mon oncle… Je suis pas sérieux… Je suis pas raisonnable…
— Mais si que t’es sérieux ma grosse bouille ! Moi je te connais bien… Mais si ! que t’es raisonnable ! »
J’en pouvais plus moi de chialer…
« Non ! Je suis un farceur mon oncle !…
— Mais non ! Mais non ! mon poulot !… T’es un petit connard au contraire ! T’es la bonne bouille que je te dis !… T’as pas un poil de rusé ! T’es bonnard à toutes les sauces !… Il t’a possédé le vieux coquin ! Tu vois donc pas vieux trésor ? C’est ça que tu peux pas digérer !… Il t’a fait !