Voguent les vilains ressentiments ! Bouah !… Ce mari c’est un butor, un buté !… Tiens le mignon on va le dégueuler ensemble !… Je lui repasse à sa toute belle tout un écheveau parfait de nouilles… avec le jus de la tomate… Un cidre de trois jours… Elle me redonne de son gruyère… Je suce dans ses filaments… Ma mère empaquetée dans les cordes… rampe à la suite de ses glaviots… Elle traîne le petit chien dans ses jupes… On s’est tortillés tous ensemble avec la femme du costaud… Ils me tiraillent férocement… Pour m’éloigner de son étreinte, il me truffe le cul à grands coups de grolles… C’était le genre « gros boxeur »… Mon père a voulu l’amadouer… À peine qu’il avait dit deux mots, l’autre lui branlait un tel coup de boule en plein buffet qu’il allait se répandre sur le treuil… Et c’était pas encore fini !… Le mastard lui ressaute sur le râble… Il lui ravage toute la gueule… Il s’accroupit pour le finir… Il saignait papa à pleine pipe… Ça dégoulinait dans le vomi… Il a vacillé le long du mât… Il a fini par s’écrouler… Le mari il était pas quitte… Il profite que le roulis m’emporte… Il me charge… Je dérape… Il me catapulte dans les gogs… Un vrai coup de bélier… Je bute… Je défonce toute la lourde… Je retombe dans les mecs avachis… Je me retourne dans le tas… Je suis coincé dans leur milieu… Ils ont plus aucun de culotte ! Je tire le cordon. On est noyés dans la tombe ! On s’écrase dans la tinette… Mais ils arrêtent pas de ronfler… Je ne sais même pas moi si je suis mort.
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La Sirène a tout réveillé. On s’est cramponnés aux « waters ». On a émergé des hublots… Ça faisait les jetées au bout du port toute une grande dentelle pilotis… On a regardé l’Angleterre comme on débarque dans l’Au-delà…
C’était des falaises aussi, et puis des verdures… Mais bien plus foncées alors et puis plus râpeuses qu’en face… L’eau était toute plate à présent… C’était facile pour vomir… Mais l’impulsion s’était calmée.
Par exemple, question de grelotte, on s’en serait cassé toutes les dents… Ma mère en pleurait par saccades d’avoir tant dégobillé… Moi j’avais des bosses partout… C’était le grand silence dans les rangs, la timidité, les inquiétudes de l’accostage. Des cadavres seraient pas plus timides.
Le paquebot a souqué sur l’ancre, il a saccadé deux, trois fois, et puis on s’est bien arrêté. On a fouillé pour nos billets… Une fois qu’on a franchi la Douane, on a essayé de se requinquer. Ma mère fallait qu’elle torde sa jupe pour en faire sortir des ruisseaux. Mon père il avait si fort dérouillé qu’il lui manquait un bout de moustache. Je faisais semblant de pas le regarder mais au beurre noir qu’il avait l’œil. Il se tamponnait dans son mouchoir… On se remettait tous peu à peu. La chaussée tanguait bien encore. On a marché le long des boutiques, des minuscules comme c’est là-bas, avec des volets bariolés et les petites marches au blanc d’Espagne.
Ma mère, elle faisait son possible, elle voulait pas nous empêcher, mais elle boitait loin par-derrière… On a pensé à un hôtel, une chambre tout de suite pour qu’elle se repose… un instant… On irait jamais jusqu’à Londres, on était trop mouillés déjà… On attraperait sûrement du mal si on risquait davantage… Et puis les godasses tiendraient pas. Elles buvaient en plein dans la boue, elles faisaient du bruit comme un troupeau…
On a bien reconnu un hôtel… Sur la façade c’était écrit, en lettres d’or… Une fois devant on a pris peur… On est repartis pour l’autre côté… Il pleuvait toujours davantage. C’est le prix des moindres trucs qu’on essayait d’imaginer… On avait la peur des monnaies… On est entrés dans un Thé… Ceux-là ils nous comprenaient… Assis, on a regardé notre valise… C’était plus la même !… Dans la confusion, à la douane on s’était trompés !… Tout de suite dare-dare, on est revenu… La nôtre elle était barrée !… Celle-là qu’était pas à nous, on l’a rendue au chef de gare… Et comme ça on n’avait plus rien !… C’était un comble dans la malchance !… Ça n’arrive jamais qu’à nous autres !… C’était bien exact dans un sens… Mon père le constatait encore… On n’avait plus de quoi se changer… pas une seule chemise ! Il fallait bien se promener quand même… On commençait à nous remarquer dans le village tous les trois, transis sous la flotte. Ça faisait nettement « romanichels » ! C’était plus prudent de prendre la route… On a pris n’importe laquelle… Après la dernière maison…
« Brighton » !… C’était écrit sur la borne, à quatorze milles en face de nous… Comme on était bons marcheurs ça devait pas nous effrayer. Mais on se mettait jamais ensemble. Mon père toujours en avant… Il était pas très fier de nous… Même là rincé, boueux, perclus, il se détachait le plus possible… Il souffrait qu’on se mette à coller… Il s’espaçait.
Ma mère, la langue lui pendait tellement qu’elle avait du mal à tirer sa quille. Elle soufflait comme une vieille chienne.
La route sinuait à flanc de falaises. On a foncé dans les averses. En bas, l’Océan grondait, au fond du gouffre, rempli de nuages et d’éboulements.
Mon père, sa casquette nautique lui fondait jusque dans la bouche. Son pare-poussière lui épousait tant les formes, qu’il avait le cul comme un oignon.
Maman boquillonne, a renoncé au galure, celui qu’avait des hirondelles et des petites cerises comme garniture. On l’a donné à un buisson… Les mouettes qui fuyaient devant l’orage, elles venaient croasser tout autour. Elles devaient éprouver de la surprise qu’on passe nous aussi dans les nuées… Baratinés sous les rafales on se raccrochait au petit bonheur… Au flanc des falaises, sur les montées comme sur des vagues, et puis sur une autre… des infinies… Mon père les nuages l’escamotaient… Il allait se fondre dans les averses… On le revoyait toujours plus loin cramponné plus minuscule, sur l’autre versant.
« Nous monterons encore celle-ci Ferdinand !… Et puis je me reposerai ! Tu crois qu’il le voit lui le “ Brichetonne ” ? Tu crois que c’est encore loin ?… » Elle était à bout de vaillance. S’asseoir c’était impossible. Tous les remblais étaient dissous… Ses nippes s’étaient si raccourcies que les bras remontaient au ciel… Les tatanes gonflées comme des outres… Ma mère alors sa jambe se replie… Elle cède une fois sous son poids… Elle verse dans le creux du talus… Sa tête est prise, est coincée… Elle pouvait plus faire un mouvement… Elle faisait des bulles comme un crapaud… La pluie d’Angleterre c’est un Océan suspendu… On se noie peu à peu…
J’ai appelé papa au secours et de toutes mes forces… Maman succombait à l’envers ! Je tirais dessus à toute violence. Je faisais des tractions. En vain !… Tout de même le voilà qu’il rapplique notre explorateur. Il est ahuri par les nuages. Nous faisons ensemble des efforts… On hisse tant et plus. On l’ébranle. On l’extirpe de la fange épaisse… Elle avait quand même le sourire. Ça lui faisait un plaisir exquis de le revoir son Auguste. Elle lui demandait de ses nouvelles… S’il avait pas trop souffert ?… Ce qu’il avait aperçu au bout de la Falaise ? Il répondait rien… Il disait seulement qu’on se grouille… Qu’on retourne en vitesse au port… Encore cent montées, cent descentes… à perte d’haleine. On reconnaissait plus notre route tellement déjà les orages l’avaient bouleversée… On a entrevu les lumières… le port et les phares… Il faisait complètement nuit… Rampants, vacillants on est repassés devant le même hôtel… On n’avait rien dépensé… On n’avait rencontré personne… On n’avait plus un seul vêtement… des loques en filoches… On avait l’air si épuisé que sur le bateau ils nous ont fait une faveur… On nous a autorisés à passer des troisièmes en secondes… on nous a dit de nous étendre… À la gare de Dieppe on a couché sur les banquettes… On devait rentrer directement… Dans le train y a eu encore toute une scène à cause de maman constipée…