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Les autres merdeux des rayons, ça les faisait marrer la manière que je bagottais, la vitesse que j’atteignais pour passer d’un étage à l’autre. Lavelongue, il voulait pas que je pause :

« C’est la jeunesse, c’est le sport !… » Voilà comment il m’arrangeait. À peine que j’étais descendu qu’on me refilait un autre paquesson !… Vas-y poupette ! Je te connais bien !

On portait pas de blouse à l’époque dans les magasins du Sentier, c’était pas convenable. Avec des boulots semblables, on lui a vite vu la trame à mon beau veston.

« Tu vas user plus que tu ne gagnes ! » que s’inquiétait déjà maman. C’était pas bien difficile puisque je touchais rien du tout. C’est vrai que dans certains métiers les roupiots payaient pour apprendre. En somme, j’étais favorisé… C’était pas le moment que je ramène. « L’écureuil » qu’ils m’intitulaient les collègues tellement que j’y mettais de l’ardeur à grimper dans les réserves. Seulement n’empêche que Lavelongue il m’avait toujours à la caille. Il pouvait pas me pardonner d’être entré par M. Berlope. Rien que de me voir ça lui faisait du mal. Il pouvait pas sentir ma tronche. Il voulait me décourager.

Il a encore trouvé à redire à propos de mes grolles, que je faisais avec trop de bruit dans les escaliers. Je talonnais un peu c’est exact, le bout me faisait un mal terrible surtout arrivé sur le soir, ils devenaient comme des vrais tisons.

« Ferdinand ! qu’il m’interpellait, vous êtes assommant ! vous faites ici, à vous tout seul, plus de raffut qu’une ligne d’omnibus ! »… Il exagérait.

Mon veston cédait de partout, j’étais un gouffre pour les complets. Il a fallu m’en faire un autre, dans un ancien à l’oncle Édouard. Mon père il décolérait plus, d’autant qu’il avait des ennuis et de plus en plus lancinants avec son bureau. Pendant ses vacances, les autres salopards, les rédacteurs, ils en avaient profité. Ils l’avaient calomnié beaucoup…

M. Lempreinte son supérieur, il croyait tout ça mot pour mot. Il avait lui des crises gastriques. Quand il avait vraiment très mal, il voyait des tigres au plafond… Ça arrangeait pas les affaires.

Je savais plus comment m’y prendre pour plaire chez Berlope. Plus je poulopais dans l’escalier, plus Lavelongue il me prenait en grippe. Il pouvait plus me voir en peinture.

Sur les cinq heures, comme il allait se taper un crème, moi je profitais dans la réserve pour ôter un peu mes tatanes, je faisais ça aussi dans les chiots quand y avait plus personne. Du coup, les autres enfoirés, ils allaient me cafeter au singe. Lavelongue piquait un cent mètres, j’étais sa manie… Je l’avais tout de suite sur le paletot.

« Sortirez-vous ? petit rossard ! Hein ! C’est ça que vous appelez du travail ?… À vous branler dans tous les coins !… C’est ainsi que vous apprendrez ? N’est-ce pas ? Les côtes en long ! La queue en l’air !… Voilà le programme de la jeunesse !… »

Je me trissais dans une autre planque, ailleurs, faire respirer mes « nougats ». Je me les passais au robinet. Pour mes godasses j’avais la lutte de tous côtés, ma mère qu’avait fait le sacrifice jamais elle aurait admis qu’elles étaient déjà trop étroites. C’était encore ma fainéantise ! L’effet de ma mauvaise volonté ! J’avais pas raison.

Tout là-haut dans la réserve, où je bagottais avec mes charges, c’était l’endroit du petit André, c’est là qu’il retapait ses cartons, qu’il noircissait les numéros avec du cirage et la brosse. Il avait débuté André l’année précédente. Il demeurait loin, lui, en banlieue, il avait du chemin pour venir… Son bled c’était après Vanves, aux « Cocotiers » ça s’appelait.

Fallait qu’il se lève à cinq heures pour ne pas dépenser trop de tramways. Il apportait son panier. Dedans, y avait toute sa bectance, enfermée avec une tringle et puis en plus un cadenas.

L’hiver, il bougeait jamais, il mangeait dans sa réserve, mais l’été il allait croûter sur un banc au Palais-Royal. Il se barrait un peu avant l’heure pour arriver juste à midi, pour l’explosion du canon. Ça l’intéressait.

Il se montrait pas beaucoup non plus, il avait un rhume continuel, il arrêtait pas de se moucher, même en plein mois d’août.

Ses nippes c’était pire que les miennes, il avait que des pièces. Du rayon, les autres arpètes, comme il était tout malingre, qu’il avait la morve au blaze, qu’il bégayait pour rien dire, ils lui cherchaient des raisons, ce qu’ils voulaient c’était le dérouiller… Il préférait rester là-haut, personne venait le provoquer.

Sa tante d’ailleurs, elle le corrigeait dur aussi, surtout qu’il pissait au plume, des volées affreuses, il me les racontait en détail, les miennes c’était rien à côté. Il insistait pour que j’y aille au Palais-Royal avec lui, il voulait me montrer les gonzesses, il prétendait qu’il leur causait. Il avait même des moineaux qui volaient jusque sur son pain. Mais je pouvais pas y aller. Je devais rentrer à la minute. Papa il m’avait bien juré qu’il m’enfermerait à la Roquette si on me trouvait en vadrouille.

Question de femmes, d’abord, il était terrible mon père, s’il me soupçonnait d’avoir envie d’aller y tâter un peu il devenait extrêmement féroce. Ça suffisait que je me branle. Il me le rappelait tous les jours et pour les moindres allusions. Il se méfiait du petit André… Il avait les penchants du peuple… C’était un rejeton de voyou… Pour moi c’était pas la même chose, j’avais des parents honorables, il fallait pas que je l’oublie, on me rappelait aussi chaque soir que je rentrais de chez Berlope, extrêmement fourbu, ahuri. Je prenais encore une vieille trempe si je faisais un peu la réplique !… Il fallait pas que je me galvaude ! J’avais déjà trop de sales instincts qui me venaient on ne sait d’où !… En écoutant le petit André je deviendrais sûrement assassin. Mon père, il en était bien sûr. Et puis mes sales vices d’abord ils faisaient partie de ses déboires et des pires malheurs du Destin…

J’en avais des épouvantables, c’était indéniable et atroce. Voilà. Il ne savait plus par où me sauver… Moi je savais plus par où expier… Y a quelques enfants intouchables.

Le petit André sentait mauvais, une odeur plus âcre que la mienne, une odeur de tout à fait pauvre. Il empestait dans sa réserve. Sa tante lui tondait ras les tifs, avec ses propres ciseaux, ça lui faisait comme du gazon avec une seule touffe en avant.

À force de renifler tant de poussière, les crottes dans son nez devenaient du mastic. Elles s’en allaient plus… C’était sa forte distraction de les décrocher, de les bouffer ensuite gentiment. Comme on se mouchait dans les doigts, parmi le cirage, les crottes et les matricules, on en devenait parfaitement nègre.

Il fallait au moins qu’il retape, le petit André, dans les trois cents cartons par jour… Il se dilatait les deux châsses pour y voir clair dans la soupente. Son falzar, il ne tenait plus qu’avec des ficelles et des épingles de nourrice.

Depuis que moi, je faisais le treuil, il passait plus par les rayons, c’était bien plus commode pour lui. Il évitait les ramponneaux. Il arrivait par la cour, il se défilait par le concierge, l’escalier des bonnes… Si y avait trop de « matricules » je restais plus tard pour l’aider. Dans ces moments-là j’enlevais mes godasses.

Pour parler, dans son recoin, on était assez peinards. On se mettait entre deux poutres à l’abri des courants d’air, toujours à cause de son nez.

Question des panards, il avait de la veine, il grandissait plus lui, André. Deux frères à lui demeuraient encore chez une autre tante aux Lilas. Ses sœurs elles restaient à Aubervilliers chez son vieux. Son dabe, il relevait les compteurs pour tous les gaz de la région… Il le voyait presque jamais, il avait pas le temps.