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Enfin, j’ai ressorti mon adresse. Il fallait qu’on la découvre quand même. Puisqu’elle savait pas du tout lire, on a cherché un policeman… On s’est trompés deux, trois fois. C’était seulement des fontaines qui faisaient drôle dans les carrefours, entre les brumes… Ce fut un monde pour le trouver… On a cherché d’un dock à l’autre. On a carambolé partout dans les futailles et les passerelles… On se marrait malgré l’épuisement… Elle me soutenait avec ma valise… Elle avait vraiment bonne humeur. Elle perdait tout son chignon… Je lui tirais même les tifs. Ça la faisait aussi rigoler. Le chien à la traîne est rappliqué avec nous… Enfin dans la fente d’un kiosque on a repéré une vraie lumière… Le cogne il était accroupi, il a sursauté de nous voir. Il avait au moins trois houppelandes l’une par-dessus l’autre. Il a raclé longtemps sa gorge… Il est sorti dans le brouillard, il se secouait, s’ébrouait, comme un canard. Il a allumé sa pipe… Il était bien complaisant. Il put la lire mon adresse. Il nous a montré tout là-haut, il a pointé avec le doigt, tout au bout de la nuit, où se trouvait « Meanwell College », au-dessus de la colline après tout un chapelet de lanternes qui gravissait en zigzag… Il est retourné dans sa cahute. Il s’est comprimé dans la porte avec toutes ses épaisseurs.

Du moment qu’on savait le chemin, on était plus si pressés… Y avait encore une escalade, une très longue rampe… C’était pas fini l’aventure !… On a grimpé tout doucement. Elle voulait pas que je m’éreinte… Elle était pleine de prévenances. Elle osait plus m’importuner… Elle m’embrassait seulement un peu, dès qu’on allait pour se reposer. Elle me faisait des gestes sous les réverbères que j’étais bien à son goût… Qu’elle m’avait tout à la bonne… À peu près au milieu de la pente, on s’est assis sur une roche, de là on voyait très loin à travers le fleuve passer des nuées de brouillard, elles se précipitaient dans le vide, elles effaçaient les petits navires sur le courant lisse. On voyait plus leurs falots… après c’était un clair de lune et puis des nuages reprenaient tout… La môme, elle me refaisait des gestes… Si je voulais pas encore bouffer ? Elle s’offrait d’aller m’en chercher, ça devait partir d’un bon cœur… Malgré que j’étais si abruti, je me demandais encore tout de même si j’aurais pas eu la détente pour la balancer dans le ravin d’un grand coup de pompe dans les miches ? Hein ?…

Dessous c’était la falaise… C’était à pic au-dessus de la flotte.

Voilà des voix qu’on entend, c’était des hommes, une ribambelle, je les reconnais avec leurs torches, c’est des « ministrels », des faux nègres, les barbouillés… Ils remontent du port eux aussi… Ils traînent dans le brouillard leur carriole. Ils ont bien du mal avec. C’est pesant tout leur bazar, tout démonté… Leurs instruments, les piquets ça bringuebale, ça sonne… Ils nous aperçoivent, ils causent à la môme Graillon… Ils font la pause, ils s’installent un peu, ils discutent, ils mettent tous leurs sous en pile au bout de banc. Ils y arrivent plus à les compter… Ils ont déjà bien trop de fatigue… Chacun son tour, ils vont se rincer la figure dans la cascade un peu plus loin. Ils en reviennent alors tout livides, dans le petit jour du matin… qu’on dirait qu’ils sont déjà morts… Ils relèvent un moment la tête, ils reflanchent, ils reviennent s’asseoir sur les graviers… Ils se refont des plaisanteries avec ma coquine… Enfin tout le monde se rassemble. On démarre ensemble… On pousse à la roue leur truc, on tire avec eux la guimbarde pour qu’ils arrivent quand même là-haut. Il me restait un bout à faire ! Ils ont pas voulu qu’on se quitte… C’était encore après les arbres le « Meanwell College » et puis encore un détour, et puis une pente et un jardin…

C’était bleu à présent les choses… En arrivant à la porte, nous étions tous assez copains. Le numéro bien exact, ce fut difficile à repérer. On a gratté des allumettes, à deux, trois endroits d’abord… enfin ça y fut !… La môme elle s’est mise à chialer. Il fallait bien qu’on se sépare !… Je lui ai fait des démonstrations, des signes, qu’elle reste pas là… qu’elle continue donc la route, qu’elle s’en aille avec les copains… Que j’irais sûrement la revoir… en bas… au port… plus tard… un jour… Je lui faisais des gestes affectueux… C’est vrai, que j’y tenais, en somme. Je lui ai donné ma couverture pour qu’elle aye confiance… que j’irais la reprendre… Elle comprenait difficilement… Je ne savais moi, comment faire… Elle m’embrassait tant et plus… Les « ministrels » ils se fendaient à voir nos mimiques… Ils imitaient les baisers…

Dans la petite rue bien resserrée, il passait un zéphyr glacial… Déjà qu’on était si flapis… Je tenais plus en l’air… Quand même c’était trop marrant nos tendresses… On se bidonnait tous pour finir, tellement tout ça devenait con… à une heure pareille !… Enfin elle s’est décidée… Comme elle voulait pas repartir seule, elle a suivi les baladins… Ils ont démarré tous en chœur derrière la bagnole, les instruments, la grosse caisse… tout ça en baguenaude… La môme elle me faisait encore des ultimes appels de loin avec sa lanterne… Enfin ils ont disparu… au détour de l’allée des arbres…

Alors, j’ai regardé la plaque, là devant moi, où je devais entrer !… C’était écrit bien exact « Meanwell College » et puis au-dessus des lettres bien plus rouges : Director J. P. Merrywin. C’était les indications, je m’étais pas gouré du tout. J’ai soulevé le petit marteau : Plac ! Plac ! Rien d’abord est survenu… alors j’ai sonné à l’autre porte. Personne n’a encore répondu… Un bon moment… Enfin, ils ont remué dans la tôle… J’ai vu une lumière qui passait dans l’escalier… Je voyais à travers les rideaux… Ça m’a fait une sale impression… Pour un peu je me barrais d’autor… J’aurais couru après la môme… J’aurais rattrapé les frimants… Je serais jamais revenu au College… Je faisais déjà un demi-tour… Tac ! je bute en plein dans un mec… un petit voûté en robe de chambre… Il se redresse. Il me dévisage… Il bafouille des explications… Ça devait être le propriétaire… Il était ému… Il portait des favoris… un rouquin… et puis des poils blancs… Un petit toupet sur les yeux. Il me répétait comme ça mon nom. Il était venu par le jardin… C’était la surprise ! C’était une drôle de manière… Il devait se méfier des voleurs… Il protégeait sa bougie… Il restait devant moi bredouillard. Il faisait pas chaud pour l’entretien. Il trouvait pas tous ses mots, le vent a soufflé sa calebombe :

« Ferdinand !… Je… vous… dis… bon… jour… Je… suis… content… que vous êtes ici… mais… vous avez… un grand retard… que vous est-il arrivé ?…

— J’en sais rien… que j’ai répondu. »

Il a pas insisté du tout… Alors il est passé devant. Il marchait à tout petits pas… Enfin, il a ouvert sa lourde… Il tremblotait dans la serrure. Il pouvait plus sortir la clef, tellement qu’il sucrait… Une fois comme ça dans l’entrée il m’a montré que je l’attende. De m’asseoir là sur le coffre… qu’il allait arranger là-haut. En plein milieu de l’escalier, il se ravise encore un coup, il se penche au-dessus de la rampe, il me pointait comme ça du doigt :

« Demain, Ferdinand ! Demain… Je ne vous parlerai plus qu’anglais ! Eh ? What ?… » Ça le faisait même rire d’avance…