Выбрать главу

Le seul ennui dont on souffrait, c’était le manque de compétiteurs… Les équipes rivales étaient rares, surtout à proximité. La seule à vrai dire pour nous affronter, régulièrement, tous les jeudis, c’était celle des mômes d’en face… de la « Pitwitt Academy », de l’autre côté du pont à Stroude, un groupe de piteux boutonneux, des enfants abandonnés, un Institut charitable… Ceux-là, ils étaient devenus d’une extrême maigreur, encore bien plus légers que les nôtres… Ils pesaient rien à vrai dire, au premier coup, une fois chargés avec violence, au vent portant, ils s’envolaient, ils partaient avec le ballon… Il fallait surtout les maintenir, les aplatir… On leur mettait douze buts à quatre… C’était régulier. C’était comme ça l’habitude… Si y avait un peu de rouscaille, qu’on entendait des murmures, ça n’hésitait pas une seconde, ils prenaient une terrible dérouille, une pâtée complète… C’était entendu comme ça. S’ils shootaient seulement un petit point de plus que c’était l’usage, alors nos mômes devenaient féroces… Ils râlaient qu’ils étaient trahis… déjà, ils flairaient les coupables… Ils passaient à la corrida… ça se rejugeait en rentrant le soir… après la prière quand le vieux avait refermé la porte… Ça chiait alors cinq minutes… Jonkind qu’était responsable… C’est toujours lui par ses conneries qu’amenait les pénalités… Il recevait la décoction… C’était mémorable… On soulevait sa grille d’un coup, il était vidé de son page… D’abord, on l’étendait comme un crabe, à même le plancher, ils se mettaient dix pour le fouetter, à coups de ceintures vaches… même avec les boucles… Quand il gueulait un peu trop fort on l’amarrait sous une paillasse, tout le monde alors piétinait, passait, trépignait par-dessus… Ensuite, c’était sa branlée, à bloc, à blanc… pour lui apprendre les bonnes façons… jusqu’à ce qu’il puisse plus juter… plus une seule goutte…

Le lendemain, il pouvait plus tenir debout… Mme Merrywin, elle était bien intriguée, elle comprenait plus son morveux… Il répétait plus No trouble… Il s’écroulait à table, en classe… trois jours encore tout gâteux… Mais il restait incorrigible, il aurait fallu le ligoter pour qu’il se tienne peinard… Fallait pas qu’il s’approche des buts… Dès qu’il voyait le ballon rentrer, il se connaissait plus, il se précipitait dans les goals, emporté par sa folie, il bondissait sur la baudruche, il l’arrachait au gardien… Avant qu’on ait pu le retenir il était sauvé avec… Il était vraiment possédé dans ces moments-là… Il courait plus vite que tout le monde… Hurray ! Hurray ! Hurray !… qu’il arrêtait pas de gueuler, comme ça jusqu’en bas de la colline, c’était coton pour le rejoindre, il dévalait jusqu’à la ville. Souvent on le rattrapait dans les boutiques… Il shootait dans les vitrines. Il crevait les écriteaux… Il avait le démon du sport. Il fallait se méfier de ses lubies.

Pendant trois mois j’ai pas mouffeté ; j’ai pas dit hip ! ni yep ! ni youf !… J’ai pas dit yes… J’ai pas dit no… J’ai pas dit rien !… C’était héroïque… Je causais à personne. Je m’en trouvais joliment bien…

Au dortoir, ça continuait les grosses branlées… les suçades… Je m’intriguais bien sur Nora… Mais toujours en suppositions…

Entre janvier et février, il a fait alors terriblement froid et tellement de brouillard en plus, que c’était presque impossible de retrouver notre chemin quand on descendait de l’entraînement… On s’orientait à tâtons…

Le vieux, il me foutait la paix en classe et sur la colline, il essayait plus de me convaincre. Il se rendait compte de ma nature… Il croyait que je réfléchissais… Que je m’y mettrais un peu plus tard ! avec des douceurs… C’est pas ça qui m’intéressait. C’était mon retour au Passage qui me foutait le bourdon. J’en avais déjà la grelotte trois mois à l’avance. Je délirais rien que d’y penser !… Merde ! quand faudrait recauser !…

Enfin, au physique, j’avais pas à me plaindre, je progressais de ce côté-là. Je me trouvais bien plus costaud… Ça me convenait admirablement, à moi, les rigueurs du climat, la température de cochon… ça me fortifiait de plus en plus, si on avait mieux croûté, je serais devenu un solide athlète… J’aurais foutu tout le monde en bas…

Deux semaines ont encore passé sur ces entrefaites… Voilà quatre mois, que je me taisais. Merrywin alors brusquement, il a pris comme peur… Un après-midi, comme ça en rentrant du sport, je le vois qui saisit son papier. Il se met à écrire à mon père, convulsivement… des bêtises… Ah ! la triste initiative !… Par le retour du courrier, j’ai reçu alors moi-même trois lettres bien compactes, que je peux qualifier d’ignobles… blindées, gavées, débordantes de mille menaces, jurons horribles, insultes grecques et puis latines, mises en demeure comminatoires… représailles, divers anathèmes, infinis chagrins… Il qualifiait ma conduite d’infernale ! Apocalyptique !… Me revoilà découragé !… Il m’envoie un ultimatum, de me plonger séance tenante dans l’étude de la langue anglaise, au nom des terribles principes, de tous les sacrifices extrêmes… des deux cent mille privations, des souffrances infectes endurées, entièrement pour mon salut ! Il en était tout déconcerté, tout ému, tout bafouillard, le sale andouille Merrywin d’avoir provoqué ce déluge… Il était bien avancé ! Maintenant les digues étaient rompues… C’était sauve qui peut voilà tout !… J’en avais un écœurement qu’était même plus racontable de retrouver, sur la table, toutes les conneries de mon daron, étalées là, noir sur blanc… C’était encore plus triste écrit.

C’était encore un bien sale cul ce Merrywin de la Jaquette ! Encore bien plus dégueulasse que tous les mômes à la fois ! Et bien plus cave, plus entêté… J’étais sûr qu’il ferait ma perte avec ses lorgnons.

S’il était resté tranquille, peinard comme c’était convenu, j’étais bon encore pour six mois… À présent qu’il avait gaffé, c’était plus qu’une question de semaines… Je me cloisonnais dans mon silence… Je lui en voulais horriblement… Si je me barrais tant pis pour lui… C’était un désastre pour sa tôle ! Il l’avait voulu, provoqué ! Déjà c’était pas florissant le business du Meanwell College… Avec moi en moins dans l’équipe, il tenait plus le coup pour les sports. Il finirait pas la saison.

Après les vacances de Noël, on avait eu quatre départs… des mômes qu’étaient pas revenus… Le collège il serait plus montrable avec son « football », même si on laissait jouer Jonkind… Ça pouvait plus exister… Avec huit morveux seulement c’était pas la peine qu’on s’aligne… On se faisait sûrement écraser… Les « Pitwitt » rentraient ce qu’ils voulaient… même qu’ils seraient plus légers que des plumes et encore deux fois moins nourris… D’abord, tout le monde se débinerait… Ils attendraient pas la déroute… Le collège était plus possible… Plus de football c’était la faillite !… Le vieux, il en avait la foire !… Il faisait encore quelques efforts. Il m’interrogeait en français… si j’avais pas de réclamations, des plaintes à lui adresser… Si les mômes me faisaient pas de misères !… Il manquerait plus que ça ! Si j’avais les grolles trop mouillées ?… Si je voulais pas un plat spécial ?… C’était pas la peine qu’on explique, j’avais honte devant Nora, de faire le boudeur et l’andouille… mais l’amour-propre c’est accessoire… Du moment qu’on est résolu, il faut d’abord tenir ses promesses… Je devenais plus indispensable à mesure qu’on perdait des élèves… On me faisait mille avances… des sourires… des grâces… Les mômes, ils se décarcassaient… Le petit Jack, celui qui faisait le clebs le soir, il m’apportait des autres bonbons… et même de son petit cresson, le minuscule… qu’a goût de moutarde… celui qui pousse dans des boîtes, raide comme de la barbe, dans des caisses exprès, toutes moisies, sur l’appui des fenêtres…