En passant devant la porte du dab, je me suis abaissé d’un coup. J’ai regardé comme ça très vite dans le trou de la serrure… J’étais chocolat !…, La clef était pas retirée… Je continue ma promenade… Je vais comme pour aller pisser… Je retourne en vitesse… je me recouche… C’était pas fini ! Je me dis c’est le moment ou jamais ! Y avait pas un bruit dans la tôle… Je fais semblant d’en écraser… Je reste encore quelques minutes… palpitant mais silencieux… J’étais pas fou !… J’avais bien vu la lumière par le vasistas… Juste au-dessus de sa porte… C’était le même blot que rue Elzévir… Je me dis : « Là, si t’es paumé Toto, t’en entendras causer longtemps ! » Je prends des extrêmes précautions… Je transporte une chaise dans le couloir… Si je suis frit que j’apprêtais, je ferai d’abord le somnambule… Je pose ma chaise juste à l’appui et contre sa porte. J’attends, je me planque un petit peu… Je me colle bien au mur… J’entends dedans alors comme un choc… Comme un bruit de bois… qui vient taper contre un autre… Ça venait peut-être de son lit ?… J’équilibre encore le dossier… je me fais gravir au millimètre… Debout… encore plus doucement… J’arrive juste au ras du carreau… Ah ! Alors ! Pomme ! je vois tout à fait ! Je vois tout !… Je vois mon bonhomme… Il est affalé… comme ça vautré dans le creux du fauteuil… Mais il est absolument seul ! Je la vois pas la môme !… Ah ! il est à poil, dis donc !… Il est étalé tout épanoui devant son feu… Il en est même tout écarlate ! Il souffle tellement qu’il a chaud… Il est à poil jusqu’au bide… Il a gardé que son caleçon et puis sa houppelande, celle à plis, la magistrale, elle traîne sur le plancher derrière…
Le feu est vif et intense… Ça crépite dans toute la pièce !… Il est embrasé dans les lueurs, le vieux schnoque ! illuminé complètement… Il a pas l’air ennuyé… il a gardé son bonnet… le bibi à gland… Ah ! la vache ! Ça penche, ça bascule… Il le rattrape, il le renforce… Il est plus triste comme en classe… Il s’amuse tout seul… Il agite, il balance un bilboquet ! Un gros ! un colosse ! Il essaye de l’enfiler… Il loupe le coup, il rigole… Il se fâche pas… Son bonneton encore se débine… sa cape aussi… Il ramasse tout ça comme il peut… Il rote, il soupire… Il repose un peu son joujou… Il se verse un grand coup de liquide… Il sirote ça tout doucement… Je le revois alors le whisky !… Il en a même deux flacons à côté de lui sur le parquet… Et puis deux siphons en plus… à côté de sa main… et puis un pot de marmelade… en entier !… il fonce dedans à la grosse louche… il ramène… il s’en fout partout… il bâfre !… Il retourne à son bilboquet… il vide encore un autre verre… La ficelle se prend, s’embobine dans la roulette du fauteuil… Il tire dessus, il s’embarbouille… il grogne… il jubile… Il peut plus retrouver ses mains… Il est ligoté… Il en ricane, la sale andouille… Ça va !… Je redescends de mon truc… Je soulève tout doucement ma chaise… Je me reglisse comme ça dans le couloir… Personne a bougé encore… Je me refile au plume !…
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On y est parvenus tant bien que mal aux vacances de Pâques… Y avait un tirage terrible… sur le fricot… sur les bougies… sur le chauffage… Pendant les dernières semaines, les mômes, les cinq qui restaient, ils écoutaient plus personne… Ils se conduisaient à leur guise… Le vieux, il faisait même plus la classe… Il restait chez lui tout à fait… ou bien, il partait tout seul, sur son tricycle… en longues excursions…
La nouvelle bonne est arrivée… Elle a pas tenu seulement huit jours… Les mômes étaient plus possibles, ils devenaient intolérables, ils chamboulaient toute la cuisine… Une femme de ménage a remplacé la bonniche, mais seulement pour les matinées. Nora l’aidait à faire les chambres, et puis aussi la vaisselle… Pour ça elle mettait des gants… Elle se protégeait ses beaux cheveux avec un mouchoir brodé, elle s’en faisait comme un turban…
L’après-midi, je promenais l’idiot, je m’en chargeais tout seul. Elle pouvait plus venir Nora, elle avait la cuisine à faire… Elle nous disait pas où aller… C’était moi seul qui commandais… On prenait le temps qu’il fallait… On est repassés par toutes les rues, par tous les quais, tous les trottoirs. Je regardais un peu partout pour la môme Graillon, j’aurais voulu la rencontrer. Elle y était plus en ville, nulle part, avec sa bagnole… Ni sur le port, ni au marché… ni autour des nouvelles casernes… Bien…
Y avait des heures douces en promenade. Jonkind il était plutôt sage… Seulement fallait pas l’exciter… Il était plus tenable par exemple dès qu’on croisait les militaires, les fanfares, les fortes musiques… Y en avait des quantités autour de Chatham… et de la « flotte » aussi… Quand ils revenaient de l’exercice, ils soufflaient des airs cascadeurs, des conquérants rigodons. Jonkind, ça lui retournait les moelles… Il fonçait dans le tas comme un dard… Il pouvait pas supporter… Ça lui faisait l’effet du football… Il s’emportait dans les flonflons !
C’est vivace un régiment, comme couleur et comme cadence, ça se détache bien sur le climat… Ils étaient grenats les « musiques »… Ils ressortaient en pleine violence dans le ciel… sur les murs cachou… Ils jouent gonflé, cambré, musclé, ils jouent costaud les Écossais… Ils jouent marrant la cornemuse, ils jouent gaillard, ils jouent poilu comme des molletons…
On les suivait jusqu’aux « barracks », leurs tentes en plein champ… On découvrait d’autres campagnes, toujours derrière les soldats… après Stroude plus loin encore… de l’autre côté d’une autre rivière. On revenait toujours par l’école, celle des filles, derrière la gare, on attendait leur sortie… On disait rien, on reluquait, on prenait des grands coups de visions… On redescendait par « l’Arsenal », le terrain spécial en « mâchefer », celui des « pros », les vrais « durs », ceux qui s’entraînent à la cadence, sur buts « rétriqués », pour la coupe Nelson. Ils crevaient toutes les baudruches, tellement qu’ils shootaient en force…
On rentrait nous le plus tard possible… J’attendais qu’il fasse vraiment nuit, que je voye toutes les rues allumées, alors je suivais la High Street, celle qui finissait devant nos marches… C’était souvent après huit heures… Le vieux nous attendait dans le couloir, il se permettait pas de réflexions, il était à lire son journal…
Aussitôt qu’on arrivait, on passait à table… C’est Nora qui faisait le service… Il causait plus Merrywin… Il disait plus rien à personne… ça devenait la vraie vie tranquille… Jonkind aussitôt la soupe, il se remettait à baver. On le laissait faire à présent. On l’essuyait plus qu’à la fin.
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Aucun des gniards n’est revenu des vacances de Pâques. Il restait plus au Meanwell que Jonkind et moi. C’était un désert notre crèche.
Pour avoir moins d’entretien, ils ont fermé tout un étage. L’ameublement s’est barré, fourgué, morceau par morceau, les chaises d’abord et puis les tables, les deux armoires et même les lits. Il restait que nos deux pageots. C’était la liquidation… Par exemple, on a mieux bouffé, sans comparaison !… Y en a eu de la confiture ! Et en pots à volonté… on pouvait reprendre du pudding… Un ordinaire abondant, une métamorphose… jamais ça s’était vu encore… Nora s’appuyait le grand turbin, mais elle faisait quand même la coquette. À table, je la retrouvais toute avenante, et même enjouée si je peux dire.
Le vieux, il restait à peine, il se tapait la cloche très vite, il repartait sur son tricycle. C’est Jonkind qui animait toutes les parlotes, lui tout seul ! No trouble ! Il avait appris un autre mot ! No fear ! Il en était fier et joyeux. Ça n’arrêtait pas ! « Ferdinand ! No fear ! » qu’il m’apostrophait sans cesse, entre chaque bouchée…