Выбрать главу

Jonkind ça lui avait fait peur, ces étranges manières… ce bonhomme articulé… Il tenait plus du tout en place. Il voulait se sauver à toute force, il était pris par la panique. Je lui faisais des claquements de la langue et puis des ho ! ho ! comme ça… tout à fait comme pour un cheval, ça le raisonnait bien d’habitude… Enfin, il a fallu que je cède… On est repartis à travers champs…

Près des baraquements écossais, on a croisé la promenade des gniards du « Hopeful College ». Ils s’en allaient au cricket de l’autre côté de la vallée. Ils emportaient leurs battoirs et les wickets et les arceaux… On a reconnu tous nos « anciens »… Ils nous faisaient des signes d’amitié… Ils avaient grossi, grandi forcément… Ils étaient extrêmement guillerets… Ils avaient l’air content de nous revoir. En requimpettes orange et bleues qu’ils étaient à présent sapés… ça faisait bien vif sur l’horizon leur caravane.

On les a regardés s’éloigner… On est revenus nous, de très bonne heure… Jonkind, il tremblait toujours.

Nous nous trouvions avec Jonkind, en haut du chemin, le « Willow Walk » celui qui menait au collège, quand on a croisé la voiture, la grande tapissière à trois chevaux… C’était des autres déménageurs…

Ils évitaient la forte descente, ils faisaient tout le tour par les jardins, ils emportaient encore des choses… cette fois c’était le grand nettoyage, les raclures, le dernier balai… On a regardé dans l’intérieur, leurs tentures étaient retroussées… Y avait les deux lits des bonnes, un des placards de la cuisine, le petit bahut pour la vaisselle, et puis le tricycle du vieux dabe… et puis encore un tas de tessons… Ils avaient dû vider le grenier ! Entièrement la tôle ! Il resterait plus rien !… Ils emportaient même les bouteilles, on les entendait vadrouiller dans le fond du caisson… Il devait plus rester grand-chose, de la manière qu’ils s’y mettaient…

Je commençais à redouter moi, pour mes quatre frusques et mes godasses ! Si ils continuaient les ravages y avait plus de limites, ni de Bon Dieu !… C’était une vraie « salle des ventes » ! Je me dépêche donc quatre à quatre, je voulais voir tout de suite la casse ! Et puis c’était l’heure qu’on croûte… La table était mise somptueusement… Avec les plus beaux couverts… les assiettes à fleurs, tous les cristaux !… Dans la pièce nue, ça se détachait admirable !…

Des patates à l’huile pour repas, des artichauts vinaigrette, des cerises à l’eau-de-vie, un gâteau juteux, un jambon entier… Une vraie abondance en somme, et en plus, un semis de jonquilles à même la nappe, entre les tasses ! Ah ! alors oui ! Je m’attendais pas à celle-là !

Je reste bien interloqué !… Je suis resté avec Jonkind devant ces merveilles !… ni lui ni elle ne descendaient… On avait faim tous les deux. On goûte d’abord un peu à tout… et puis on se décide, on touche, on pique, on avale… on tape dans le tas avec les doigts… le tout c’est de s’y mettre… Et c’est excellent ! Jonkind il se roulait de plaisir, il était heureux comme un roi… On a pas laissé grand-chose… Il descendait toujours personne…

Une fois qu’on a été repus, on est ressortis au jardin…

C’était le moment de ses besoins… Je regarde un peu tout autour… Rien que de la nuit… pas âme qui vive… Tout de même c’était extraordinaire !… En haut, je voyais qu’une seule lumière dans toute la façade… à la chambre du vieux… Il devait encore être enfermé… Je me dis, je vais pas perdre mon temps, j’en ai marre moi des manigances… Puisque j’ai déjà mon billeton je vais toujours faire ma valise… Demain matin, je me trisserai au premier « dur », à sept heures trente. Gi ! Comme ça ! Je coupe à la chanson ! J’ai jamais blairé les adieux.

J’aurais voulu, cependant, trouver encore un petit flouze, un shilling ou deux peut-être pour m’acheter de la ginger beer, c’est bon en voyage… Je fais d’abord coucher mon idiot pour qu’il me foute sérieusement la paix… Je le branloche un tout petit peu, ça le tenait tranquille d’habitude… ça l’endormait aisément… Mais ce soir-là il était transi par toutes les trouilles de la journée, il voulait pas fermer l’œil… J’avais beau lui faire des ho ! ho !… Il se démenait quand même, il faisait des bonds, il rouscaillait dans sa cage. Il grognait comme un vrai fauve ! Malgré qu’il était fada, il se gourait bien d’une passe bizarre… Il se méfiait que je le plaque au flan au milieu de la nuit… Il était pas bon ! Seul il se tenait plus d’épouvante… merde.

C’est vrai qu’il était grand le dortoir… Ça lui faisait un espace immense… On était plus que nous deux là-dedans, sur douze autrefois, même quatorze…

Je collectionnais mes quatre chaussettes, je faisais la chasse aux mouchoirs, je rassemblais ma vache lingerie, c’était plus que des loques et des trous… Faudrait encore qu’on me réinstalle ! Ça en ferait encore des clameurs !… J’avais la douce perspective !… J’avais pas fini d’être traité… L’avenir c’est pas une plaisanterie… De repenser du coup, au Passage, si proche à présent, je m’en passais des grelots merdeux !…

Depuis huit mois j’étais parti !… Comment qu’ils étaient eux devenus en bas sous le vitrage ?… C’est pas d’erreur ! Encore plus cons ?… Plus canulants ?… Ceux de Rochester, je les reverrais plus sans doute jamais ces gonzes-là ! J’ai jeté encore par la fenêtre, la grande guillotine, un dernier coup d’œil sur la perspective… Il faisait un temps clair idéal… C’était bien visible, toutes les rampes, les docks allumés… les feux des navires qui croisent… le grand jeu de toutes les couleurs… comme des points qui se cherchent au fond du noir… J’en avais vu partir beaucoup moi déjà des navires et des passagers… des voiles… des vapeurs… Ils étaient au diable à présent… de l’autre côté… au Canada… et puis d’autres en Australie… toutes voiles dehors… Ils ramassaient les baleines… J’irais moi, jamais voir tout ça… J’irais au Passage… rue Richelieu, rue Méhul… J’irais voir mon père faire craquer son col… Ma mère… ramasser sa jambe… J’irais chercher des boulots… Il allait falloir que je recause, que j’explique pourquoi du comment ! Je serais fabriqué comme un rat… Ils m’attendaient pourris de questions… J’avais plus qu’à mordre… J’en avais le cœur qui se soulevait à la perspective…