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Il en peut plus d’avoir couru… Je le repousse… je le projette… Il voit plus rien sans ses lunettes… Il voit même plus les réverbères. Il se met à buter partout… Il râle comme un clebs… Je le saisis et je le soulève, je le transporte et j’escalade !… Je le balance au fond de son lit… Je rebondis vers la porte du vieux !… Je cogne un coup extrêmement fort ! Pas un mot de réponse !… Ça va ! Je recogne ! Je tape !… Alors je pousse le tout ! Je défonce !… Ça y est ! Il est là exact !… Il est comme je l’avais vu… Il est affalé devant sa grille, vautré, rubicond… Il se caresse le bide pas nerveux… Il me regarde puisque je l’interromps… Il cligne un peu, il papillote… Il se rend pas compte… « Elle se noie ! Elle se noie !… » que je l’interpelle… Et je lui répète encore plus fort !… Je m’époumone… Je fais même les gestes… J’imite comme ça la glougloute… Je lui montre en bas !… Dans la vallée… par la fenêtre ! En bas ! En bas ! La Medway ! « River ! River ! En bas ! Water !… » Il veut se soulever un tout petit peu… ça le fout à roter l’effort. Il bascule, il retombe sur un tabouret… « Oh ! gentil Ferdinand ! qu’il me dit… Gentil Ferdinand ! » Il me tend même la main… Mais son bilboquet s’entortille… Il est coincé dans le fauteuil… Il tire, il peut plus… Il fout en bas toutes les bouteilles… Tout le whisky qui dégouline… La marmelade, le pot chahute… Tout renverse… ça fait cascade, ça le fait très rire… Il s’en convulse… Il veut rattraper les choses… La sauce… tout s’écroule… l’assiette aussi carambole… il dérape dessus les morceaux… Il va planer sous la banquette. Il en bouge plus… Il est calé contre la cheminée… Il me montre comment qu’il faut faire… Il rumine… il grogne… Il se masse le bide tout en rond… Il se tripote bien les bourrelets… Il se triture comme ça dedans lentement… Il se les malaxe… il se les écarte… Il repasse encore dans les plis.

Je sais plus du tout ce que je veux dire… Je préfère pas insister. Je referme sa porte, je rentre au dortoir… Je me dis comme ça : « Tu vas te barrer au tout petit jour… » Mon bagage est là qu’est prêt !… Je m’allonge un peu sur le plume… mais je me relève presque tout de suite… Je suis ressaisi par la panique… Je sais pas exactement pourquoi. Je me mets à repenser à la môme… Je regarde encore par la fenêtre… J’écoute… On entend plus les bruits… plus rien du tout… Y a plus un bonhomme sur le quai… Ils sont tous repartis déjà ?

Alors, ça me tracasse brusquement, malgré la terreur, la fatigue… Je peux plus résister… Je veux aller pour voir en bas s’ils l’ont pas ressortie du jus ?… Je renfile comme ça mon grimpant, ma veste, mon costard… Le môme il en écrasait dur… Je l’enferme dans le dortoir à clef… Je voulais revenir immédiatement… Je me dégrouille vite… J’arrive tout en bas des marches… Je vois un flic qui fait sa ronde… Je vois un marin qui m’interpelle… Ça me refroidit… Ça m’épouvante… Je reste comme ça dans mon recoin… Ah caille ! Je bouge pas davantage ! C’est trop compliqué pour mon blaze ! J’en peux plus d’abord ! Je reste encore un bon moment… Il passe plus personne. Le pont d’où qu’elle a sauté. Il est là-bas… Je vois les lumières, les rouges, une longue ribambelle, ça tremblote dans les reflets de la flotte… Je me dis, je vais remonter… C’est bientôt !… Ils sont peut-être là-haut à présent les bourres !… Je pense… J’imagine… Je suis épuisé… je suis sonné… Et pas bien du tout au fond !… Je suis à bout quoi !… Sans char, je peux plus arquer… Je peux plus remonter au Meanwell… Je veux plus tenter même… Je m’appuye… Je peux rien faire moi !… j’y suis pour rien dans la salade ! Rien du tout !… Je veux barrer comme ça tout seul… Je me tire tout doucement vers la gare… Je referme bien mon pardessus… Je veux plus qu’on me connaisse… Je longe peu à peu les murs… Je rencontre vraiment personne… La salle d’attente est ouverte… Ah ben ça va !… Je m’allonge un peu sur le banc… Y a un poêle auprès… Je suis au mieux… Je suis dans le noir… Le premier train c’est « le cinq heures » pour Folkestone… J’ai pas pris une seule des « affaires » ? Elles étaient là-haut sur le lit… Tant pis !… j’en rapporterai pas… Je veux plus retourner… C’est plus possible… C’est barrer qu’il faut à toute force… Je me rassois pour pas m’endormir… Je suis sûr de le prendre le « cinq heures »… Je reste juste là sous la pancarte… Je m’étale juste au-dessous… Je m’étends. 5 o’clock Folkestone via Canterbury.

Revenant comme ça sans bagage, rapportant rien de mes bricoles, je m’attendais bien pour ma part à être reçu avec le manche… Pas du tout !… Ils avaient l’air content mes vieux, ils étaient plutôt heureux de me voir arriver… Ils ont seulement été surpris que je ramène pas une seule chemise ni une seule chaussette, mais ils n’ont pas insisté… Ils ont pas fait le scénario… Ils étaient bien trop absorbés par leurs soucis personnels…

Depuis huit mois que j’étais parti, ils avaient beaucoup changé d’allure et de maintien, je les trouvais ratatinés, tout racornis dans la figure, tout hésitants dans leur démarche… Dans ses pantalons, à l’endroit des genoux, mon père, il flottait, ils lui retombaient en gros plis comme un éléphant tout autour. De tronche, il était livide, il avait perdu tout le dessus des tifs, sous sa casquette, la marine, il disparaissait… Ses yeux étaient presque sans couleur à présent, ils étaient même plus du tout bleus, mais gris, tout pâlis, comme le reste de sa figure… Il avait plus que les rides qu’étaient colorées foncées, par sillons du nez vers la bouche… Il se détériorait… Il m’a pas parlé de grand-chose… Il m’a demandé un peu seulement comment ça se faisait qu’on répondait plus d’Angleterre ?… Si ils étaient mécontents de moi au « Meanwell College » ?… Si j’avais fait des progrès ?… Si j’avais attrapé l’accent ?… Si je comprenais les Anglais quand ils me parlaient vite ?… J’ai bafouillé des vagues raisons… Il en demandait pas davantage…

D’ailleurs, il m’écoutait plus… Il avait bien trop la panique pour s’intéresser encore à des choses qu’étaient terminées. Il tenait plus à discuter… Par ses lettres pourtant bien moroses j’avais pas encore tout appris !… Loin de compte !… Il en restait des quantités ! Des calamités ! des plus récentes, des inédites ! Alors, j’ai tout entendu, dans tous les détails… C’était véritable toute la peine qu’ils s’étaient donnée pour m’envoyer ma pension pendant les premiers six mois… Un mal exténuant !… La catastrophe des boléros ça les avait foutus au sable… Et c’était tout à fait textuel !… Le chronomètre à mon père il ne quittait plus le Mont-de-Piété !… La bague à ma mère non plus… Des hypothèques sur Asnières, ils en avaient pris d’autres encore… sur les pavillons en bribes…

De plus avoir son chronomètre, mon père ça l’affolait complètement… De plus avoir l’heure sur lui… ça contribuait à sa déroute. Lui si ponctuel, si organisé, il était forcé de regarder à chaque instant l’horloge du Passage… Il sortait pour ça sur le pas de la porte… La mère Ussel des « ouvrages » l’attendait au moment précis… Elle lui faisait alors toc ! tic ! toc ! toc !… pour le faire bisquer… elle tirait la langue…

D’autres difficultés survenaient… Elles se nouent les unes dans les autres, c’est une vraie chipolata… Y en avait bien de trop pour leurs forces… Ils se recroquevillaient dans le malheur, ils se décomposaient, ils se mutilaient du désespoir, ils se morfondaient férocement pour opposer moins de surface… Ils essayaient de se faufiler par-dessous les catastrophes… Rien à faire ! Ils se faisaient cueillir quand même, passer à tabac, tous les coups.