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D’abord de nature il était extrêmement pudique. Et puis, on aurait jamais cru, dans un certain nombre de cas tout à fait timide… C’est ainsi qu’avec Courtial, même après des mois de relations, il était pas encore très libre. Il l’admirait sincèrement et il osait rien lui demander… Il avait encore attendu avant de lui parler de mon histoire… et cependant ça le démangeait… Il se sentait comme responsable… que je reste ainsi sur le sable… sans situation aucune…

Un jour, à la fin, quand même il s’est enhardi… En badinant, sans avoir l’air. Il a posé la petite question… S’il aurait pas besoin des fois, pour son bureau des Inventeurs, ou pour son aérostation, d’un petit secrétaire débutant ?… L’oncle Édouard, il ne se leurrait guère sur mes aptitudes. Il s’était bien rendu compte que dans les boulots réguliers je me démerdais franchement mal. Il voyait les choses assez juste. Que pour mon genre et ma balance, ce qui serait plutôt indiqué c’était les trucs « en dehors », des espèces d’astuces capricieuses, des manigances à la « godille ». Avec Courtial, tous ses fourbis problématiques, ses entourloupes à distance, j’avais des chances de m’arranger… Voilà ce qu’il pensait.

Courtial, il se teignait les tifs en noir ébène et la moustache, la barbiche il la laissait grise… Tout ça rebiffait à la « chat » et les sourcils en révolte, touffus, plus agressifs encore, nettement diaboliques, surtout celui de gauche. Il avait les pupilles agiles au fond des cavernes, des petits yeux toujours inquiets, qui se fixaient soudain, quand il trouvait la malice. Alors, il se marrait un bon coup, il s’en secouait fort toute la tripe, il se tapait les cuisses violemment et puis il restait comme figé par la réflexion une seconde, comme admiratif du truc…

C’est lui, Courtial des Pereires, qu’avait obtenu en France le second permis de conduire pour automobile de course. Son diplôme encadré d’or et puis sa photo « jeune homme », au volant du monstre avec la date et les tampons, nous l’avions au-dessus du bureau. Ça avait fini tragiquement… Il me l’a souvent raconté :

« J’ai eu de la veine ! qu’il admettait. Ça je t’assure ! Nous arrivions au Bois-le-Duc… une carburation splendide !… Je ne voulais même pas ralentir… J’aperçois l’institutrice… grimpée en haut du remblai… Elle me faisait des signes… Elle avait lu tous mes ouvrages… Elle agitait son ombrelle… Je ne veux pas être impoli… Je freine à hauteur de l’école… À l’instant je suis entouré, fêté !… Je me désaltère… Je ne devais plus stopper qu’à Chartres… dix-huit kilomètres encore… Le dernier contrôle… J’invite cette jeune fille… Je lui dis : “ Montez Mademoiselle… montez donc à côté de moi ! Prenez donc place ! ” Elle hésite, elle tergiverse la mignonne, elle fait la coquette un peu… J’insiste… La voilà qui s’installe… Nous démarrons… Depuis le matin, à chaque contrôle, surtout à travers la Bretagne, c’était du cidre et encore du cidre… Ma mécanique vibrait très fort, gazait parfaitement… Je n’osais plus du tout ralentir… Et pourtant j’avais très envie !… Enfin il faut que je cède !… Je freine donc encore un peu… J’arrête tout, je me lève, je saute, j’avise un buisson… Je laisse la belle au volant ! Je lui crie de loin : “ Attendez-moi ! Je reviens dans une seconde !… ” À peine effleurais-je ma braguette, que je me sens, vous entendez ! Assommé ! Enlevé ! Propulsé effroyablement ! tel un fétu par la bourrasque ! Baoum ! Formidable ! une détonation inouïe !… Les arbres, les feuillages alentour sont arrachés, fauchés, soufflés par la trombe ! L’air s’embrase ! Je me retrouve au fond d’un cratère et presque évanoui… Je me tâte !… Je me rassemble !… Je rampe encore jusqu’à la route !… Le vide absolu ! La voiture ? Vacuum mon ami ! Vacuum ! Plus de voiture ! Évaporée !… Foudroyée ! Littéralement ! Les roues, le châssis… Chêne !… pitchpin ! calcinés !… Toute la membrure… Que voulez-vous ! Je me traîne aux environs, je me démène d’une motte à l’autre ! Je creuse ! Je trifouille ! Quelques miettes de-ci, de-là ! quelques brindilles… Un petit morceau d’éventail, une boucle de ceinture ! Un des bouchons du réservoir… Une épingle à cheveux ! C’est tout !… Une dent dont je ne fus jamais sûr !… L’enquête officielle n’a rien résolu !… Rien élucidé !… C’était à prévoir… Les causes de ce formidable embrasement demeurent pour toujours mystérieuses… C’est presque deux semaines plus tard à six cents mètres de l’endroit, qu’il fut retrouvé dans l’étang et d’ailleurs après maints sondages un pied nu de cette demoiselle à moitié rongé par les rats.

« Pour ma part, sans être absolument formel, une des nombreuses hypothèses qui furent à ce moment émises pour expliquer cette ignition, si terriblement détonante, pourrait peut-être à la rigueur me satisfaire… Le cheminement imperceptible d’un de nos “ fusibles allongés ”… Il suffisait, qu’on y songe ! que par l’entraînement des cahots, des petites saccades successives, cette mince tringlette en minium vienne par hasard trembloter, ne fût-ce que l’espace d’une seconde ! un dixième de seconde ! contre les tétines de l’essence… Immédiatement tout éclatait !… Une mélinite prodigieuse ! L’obus vivant !… Telle était mon bon ami la précarité du système. Je suis revenu à cet endroit, longtemps après la catastrophe… Ça sentait toujours le brûlé !… D’ailleurs à ce stade fort critique du progrès des automobiles il fut observé à bien des reprises de telles fantastiques explosions, presque aussi massives ! en pulvérisations totales ! Des disséminations atroces ! Des propulsions gigantesques !… Je ne pourrais leur comparer à l’extrême rigueur que les déflagrations subites de certains brasiers d’Air liquide… Et encore !… Je ferais mes réserves !… Celles-ci sont en effet banales ! Absolument explicables… Et de fond en comble ! Aucun doute ! Aucune énigme ! Tandis que le mystère subsiste presque tout entier quant aux causes de ma tragédie !… Avouons-le très modestement ! Mais quelle importance aujourd’hui ? Aucune !… On n’utilise plus les “ fusibles ” depuis Belle Lurette ! Ne retardons pas à plaisir !… D’autres problèmes nous requièrent… Mille fois plus originaux ! Comme c’est loin, tout ça mon ami ! On ne travaille plus au “ minium ” ! Personne !… »

Courtial n’avait point adopté, comme moi, dans son habillement le col en celluloïd… Il avait son propre système pour rendre inusables, insalissables, imperméables, les faux cols en toile ordinaire… C’était une sorte de vernis dont on passait deux ou trois couches… Ça tenait pendant six mois au moins… à l’abri des souillures de l’air et des doigts, des transpirations. C’était un très bel enduit à base de pure cellulose. Le sien de faux col, le même, il le gardait depuis deux ans. Par pure et simple coquetterie il le repeignait tous les mois ! un coup de badigeon ! Ça lui donnait de la patine, le ton, l’orient même, des antiques ivoires. Le plastron pareil. Mais alors bien contrairement à ce qu’assurait la notice, les doigts marquaient tout à fait net sur le col enduit… Ils restaient en larges macules surajoutées les unes aux autres ! Ça faisait un Bertillon total, l’affaire était pas au point. Il l’avouait de temps en temps lui-même. Il lui manquait aussi un nom pour intituler cette merveille. Il se réservait d’y penser quand le moment serait venu.