Qu’y a-t-il entre moi et Anne McCaffrey pour que je lise en premier le deuxième tome de ses séries ? La Chanteuse dragon de Pern est la suite d’un roman que je ne connais pas, Le Chant du dragon ! Je l’ai lu quand même. Il est étrangement léger par rapport aux deux autres. Il se passe sur Pern, mais il ne parle pas de Pern. Je voudrais un lézard de feu. Ou un dragon, tant qu’à faire. Je fondrais du ciel sur mon dragon bleu qui cracherait le feu et brûlerait l’école !
Lundi 12 novembre 1979
Le poème de Deirdre a remporté le concours au niveau de l’école.
Bien que ce soit moi qui l’aie écrit, je suis mortifiée. Tout le monde s’attendait à ce que je gagne, et moi aussi. Qu’est-ce qui n’allait pas avec mon poème ? Je suppose que Miss Gilbert est une traditionaliste. Personne n’a rien dit, et j’ai félicité Deirdre comme tout le monde, mais je me sens publiquement humiliée. (D’un autre côté, c’est moi qui l’ai écrit et Deirdre au moins le sait.)
Mardi 13 novembre 1979
Deirdre est venue me voir après l’étude et m’a entraînée dans la cour pour que nous puissions parler sans être entendues. Elle s’est mise presque tout de suite à pleurer et à tenir des propos incohérents, mais ce qu’elle voulait, je pense, c’était dire que je n’aurais pas dû lui donner mon meilleur poème. Je n’en ai rien fait, mais elle pense que si, parce qu’elle a gagné. C’est la première fois qu’elle gagne quelque chose. Je ne pense pas qu’elle ait jamais gagné un bon point, sauf peut-être pour avoir marqué un but. Je lui ai dit qu’elle le méritait. Elle s’est assise à côté de moi au petit déjeuner et m’a noblement offert sa saucisse, que j’ai acceptée, pas parce que ça aurait été une insulte de refuser, mais parce que j’avais faim.
Wordsworth est rudement fier d’elle. Sandra Mortimer, la capitaine de Wordsworth, une rouquine qui a les yeux roses et larmoyants, a parlé en personne à Deirdre qui en est presque morte d’honneur.
Je lis Sur l’onde de choc, de Brunner. Il est excellent, mais pas autant que Tous à Zanzibar. Je me demande ce que ça fait d’avoir écrit son chef-d’œuvre et de savoir qu’on ne recommencera jamais ?
Mercredi 14 novembre 1979
Voici l’histoire complète et véridique de la manière dont Deirdre et moi avons eu chacune un avertissement ce matin.
Nous étions sous la douche, qui est une longue tranchée carrelée avec une douzaine de pommes de douche qui crachotent faiblement une eau à peine tiède. Je préfère de très loin un bain. Il y a de l’eau chaude, c’est-à-dire qu’elle n’est pas glaciale, entre six et huit heures du matin et entre sept et neuf heures du soir. Il y a aussi des douches dans le gymnase, il est obligatoire de les utiliser après les matchs, mais elles sont froides et la plupart du temps les filles passent juste dessous en courant. Une toilette sérieuse se fait tôt le matin ou tard le soir. Ce doit alors être un paradis pour lesbienne, parce qu’il y a toujours des tonnes de chair féminine qui s’agitent.
Il y avait peut-être quinze filles là-dedans, ce matin, à se disputer l’eau rationnée. Deirdre et moi nous partagions une pomme de douche, comptant sur mon statut de lépreuse pour la garder pour nous. J’ai vu Charogne jeter quelques coups d’œil dans notre direction comme si elle regrettait d’avoir à m’éviter. Au moment où je sortais du jet d’eau pour me shampouiner, Deirdre a dit en riant : « Tu as les seins qui poussent.
— Ce n’est pas vrai ! » ai-je répondu automatiquement sans même regarder. Puis j’ai baissé les yeux et j’ai vu que c’était vrai. J’avais des sortes de bourgeons de seins depuis des siècles. Comme ma mère n’en a pas davantage, j’ai toujours pensé que c’est tout ce que j’aurais, mais là ils avaient grossi et gonflé. Des tas d’autres filles de 5e C ont déjà une poitrine assez volumineuse. Ça ne change pas grand-chose que vous ayez des poils pubiens – ce qui est mon cas, et ils sont bien plus bruns que mes cheveux –, et vos règles, ce que presque toutes ont, maintenant. J’ai mes règles depuis deux ans. J’avais peur que ça m’empêche de voir les fées, mais ça n’a rien changé, quoi que pense C. S. Lewis de la puberté.
« Tu as besoin d’un soutien-gorge, a dit Deirdre.
— Je n’en ai pas besoin », ai-je riposté faiblement. Je l’ai poussée hors du jet et me suis rincé les cheveux. Alors que le shampoing s’évacuait, j’ai regardé ma poitrine naissante. « Hé, Dee, tu ne trouves pas qu’ils ont une drôle de forme ? »
Elle a ri si fort qu’elle avait du mal à reprendre son souffle. Les autres ont commencé à regarder pour chercher à voir ce qu’il y avait de si drôle.
« Non, vraiment », ai-je dit, calmement mais fermement. « Ils sont un peu en forme de poire. Les autres ne les ont pas comme ça. » J’ai regardé à la ronde les filles sous la douche, et aucune n’avait des seins de la même forme que les miens.
« Ils sont très bien, a dit Deirdre.
— Hé, Meirdre, qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? a demandé Lorraine.
— Coco vient de faire une super-blague », a dit Deirdre.
Certaines des filles, finissant de se doucher et se drapant dans leurs serviettes, se sont mises à chanter « Elle avait une jambe de bois ». Je leur ai lancé un regard noir, mais ça n’a pas marché, à cause de l’eau.
Nous nous tenions sous le jet. « Ils sont bien, a-t-elle murmuré. Ils ont juste l’air drôles parce que tu les vois de dessus. Si tu les voyais en face comme tu vois ceux des autres, tu verrais qu’ils sont pareils.
— Une glace, ai-je dit.
— Il faut dire “miroir”, selon Karen.
— Merde », ai-je juré.
Le seul miroir du bâtiment se trouve dans les toilettes, au-dessus de la rangée de lavabos où nous nous brossons les dents et où nous nous coiffons. C’est une longue bande réfléchissante fixée au mur, avec une rampe lumineuse au-dessus.
« Viens », ai-je dit.
Deirdre a gloussé et attrapé sa serviette. J’ai pris la mienne et me suis drapée dedans comme dans un manteau. J’ai rangé mon savon et mon shampoing dans ma trousse de toilette, parce que sinon quelqu’un pourrait les voler, ou ouvrir le shampoing et le vider dans la bonde, ça m’est arrivé la première semaine avec mon gel, que j’avais laissé dans la douche.
Nous sommes passées dans les toilettes, juste à côté de la salle de douche. Il n’y avait personne, ce qui était facile à voir parce qu’aucun cabinet n’a de porte. J’ai posé ma trousse de toilette et j’ai enroulé ma serviette autour de ma tête comme un turban. C’est un truc utile que m’a appris Sharon. Si vous lui donnez un tour, la serviette reste en place. Sharon a une longue chevelure indisciplinée et, même elle, cela la tient en place. Donc, j’avais ma serviette sur la tête et Deirdre la sienne sur ses épaules, et pour le reste nous étions nues.