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« À moins qu’il n’y ait une coterie intérieure secrète dont les objectifs ne sont pas les buts avoués de l’Église, ai-je suggéré.

— Les Templiers ? suggéra Keith.

— Des Templiers maîtres d’une technologie extraterrestre secrète ! » est intervenu Wim.

Nous étions loin de la série des Fondation. Mais c’était très bien, c’est comme ça qu’on se renvoie la balle. C’est agréable de bavarder avec des gens qui ont lu les mêmes choses que moi et dont l’esprit suit les mêmes voies. L’idée de Templiers en possession d’une technologie secrète qui manipulent toute l’histoire dans un but mystérieux – peut-être pour inciter les gens à aller sur la Lune, où ils ont une cachette ou quelque chose comme ça, comme dans Les Sirènes de Titan ? – est tout simplement géniale.

À la fin, je leur ai parlé du Signe de la Licorne, mais que je ne pouvais prêter à personne parce que c’était Daniel qui l’avait encore. Je lui demanderai de me l’envoyer. Presque tout le monde a été excité, et les deux ou trois personnes qui n’avaient pas lu les deux premiers – elles auraient bientôt la chance de se rattraper – se les sont fait résumer. Seul Brian n’aime pas Zelazny. Greg a dit qu’il le commandera pour la bibliothèque, mais pas avant avril parce que le budget est épuisé jusqu’à la nouvelle année financière. Si j’étais riche, je donnerais plein d’argent aux bibliothèques.

« En attendant, les gens pourront l’obtenir par le prêt entre bibliothèques, a dit Greg en me souriant.

— Au fait, ai-je demandé, qu’est-ce que Zelazny a écrit d’autre ? »

Beaucoup de choses, apparemment, mais presque rien qui soit encore trouvable. Greg va essayer de tout m’obtenir par le prêt entre bibliothèques. C’est une des personnes les plus gentilles que je connaisse. On ne le voit pas de prime abord, parce qu’il est très renfermé, mais au fond il est adorable.

La semaine prochaine, Cordwainer Smith ! Génial.

Wim est venu me voir quand nous étions en train de partir. « Tu as bien dit que tu n’avais pas lu Le Maître des Rêves ? a-t-il demandé.

— C’est juste.

— Je peux te le prêter, si tu ne veux pas attendre qu’il arrive. Si tu veux, je pourrai te l’apporter ici samedi. »

Donc, j’ai rendez-vous avec Wim à la bibliothèque à onze heures et demie.

Quelqu’un qui propose de me prêter un Zelazny ne peut pas être aussi noir qu’on l’a dépeint.

Jeudi 10 janvier 1980

À l’hôpital, au lit, en traction, une douleur intense, excusez l’écriture affreuse. Ça a intérêt à marcher.

Vendredi 11 janvier 1980

Je me sens kidnappée. Je suis arrivée hier matin à l’hôpital pour une consultation externe. Le Dr Abdul a regardé mes radios cinq minutes, tâté du doigt ma jambe deux minutes, et dit que j’avais besoin d’une semaine de traction. Il a demandé à son assistante de me trouver une date, s’est aperçu qu’il y avait un lit disponible, a téléphoné à Daniel et à l’école, et avant d’avoir compris ce qui m’arrivait j’étais sur le chevalet. Parce que j’ai vraiment l’impression de subir le supplice du chevalet. Il est difficile de faire quoi que ce soit. Écrire est très pénible. J’écris à l’endroit, parce qu’à l’envers, c’est tout simplement trop difficile, malgré tout mon entraînement. Je n’arrête pas de renverser de l’eau sur moi quand je bois. Même la lecture est difficile. Ma jambe est posée sur des barres métalliques blanches, maintenue en place par des sangles, douloureusement étirée si bien que ça fait un mal de chien à chaque seconde, et le reste de mon corps est forcé de rester à plat sur le dos. C’est à peine si je peux bouger. J’ai lu les trois livres que j’avais dans mon sac – dont l’un deux fois (Question de poids, de Hal Clement). J’aurais dû en apporter plus, mais je n’en avais que trois pour meubler le temps d’attente à l’hôpital.

Souffrance, souffrance, encore souffrance, et l’humiliation des bassins. Je dois appuyer sur un bouton pour appeler une infirmière chaque fois que je veux un verre d’eau ou le bassin, et parfois elles ne viennent pas avant des heures, mais si j’en tiens compte pour sonner plus tôt, elles semblent venir tout de suite. Et pour couronner le tout il y a une télévision au fond de la salle. On ne peut pas y échapper, et c’est d’autant plus insupportable qu’elle est réglée en permanence sur ITV, donc il y a des publicités. Je me demande si l’enfer ressemble à ça. Je préfère nettement les lacs de soufre, au moins on peut se baigner dedans.

Tous les autres patients ont des visiteurs entre deux et trois, ou entre six et sept, les heures de visite. Ça fait deux jours que je les vois tous défiler avec des fleurs, des grappes de raisin et un air bizarre. Je les observe avec fascination, dans la mesure où je peux observer quelqu’un sous cet angle. Je n’attends personne et, bien sûr, personne ne vient. Daniel pourrait venir. Ce n’est pas loin et il sait que je suis ici. Mais je suppose que ses sœurs ne le laisseront pas faire.

Je ne pourrai pas voir Wim demain et il va penser que je ne me suis pas montrée parce qu’on m’a dit du mal de lui.

Au bout de la salle, une femme s’est mise à crier, de brefs cris staccato entrecoupés. Ils installent des paravents autour de son lit pour qu’on ne puisse pas voir ce qu’ils lui font. C’est indéniablement bien pire que toutes les descriptions de l’enfer.

Samedi 12 janvier 1980

Toujours sur le chevalet.

Miss Carroll est venue hier soir vers la fin de l’heure de visite avec une pile de livres de poche. Ils viennent de la bibliothèque de l’école, et ils ne sont donc d’ordinaire pas terriblement excitants, mais là ils paraissaient une vraie manne. Elle ne pouvait pas rester longtemps. Personne ne lui a dit que j’étais là, mais, ne me voyant pas, elle est allée se renseigner sur ce qui m’était arrivé. Elle est venue dès qu’elle a su. J’ai presque pleuré quand elle m’a dit ça. Je n’aurais pas imaginé comme il peut être difficile de me moucher dans cette position. Elle a promis de dire à Greg où j’étais, il pourra le répéter à Wim et aux autres. Elle revient ce soir avec d’autres livres.

Mon Dieu, si vous existez et si vous aimez les gens, s’il vous plaît, répandez sur Alison Carroll toutes vos bénédictions.

Elle m’a apporté trois livres de Piers Anthony, les premiers volumes de deux séries différentes. Je crois qu’elle les a choisis parce qu’ils sont au début de l’alphabet et qu’elle était pressée. Je ne les avais pas lus parce que, franchement, ils ont l’air débiles. J’ai dépassé le stade où je lisais toute la bibliothèque par ordre alphabétique, bien que je sois contente de l’avoir fait autrefois. Je suis bien contente de les avoir malgré tout. Jusqu’ici, j’ai lu Silex ou le Messager et Mélodie ou la Dame enchaînée, et je vais commencer Lunes pour Caméléon, qui est du fantastique. J’avais raison, ils sont vraiment débiles, mais ils me distraient et ne requièrent pas tout mon cerveau, ce qui, quand la moitié de celui-ci envoie des messages comme « Ouille, ouille, ouille » ou « Retirez d’urgence ma jambe de cet instrument de torture », est plutôt un avantage. J’ai fait la nuit dernière des rêves bizarres d’univers « hôtes » où je me transférais dans le corps d’extraterrestres. Mais tous avaient une mauvaise jambe ; même quand j’étais dans le corps d’une ballerine, elle devait danser avec une canne. Je suppose que c’était la douleur qui se faisait sentir même quand j’étais endormie. Ce soir j’ai lu jusqu’à tomber de sommeil, puis ils m’ont réveillée pour me donner un somnifère.