Выбрать главу

Dimanche 13 janvier 1980

Miss Carroll est revenue hier soir avec d’autres livres et une grappe de raisin, et Greg est passé cet après-midi avec Janine et Pete et encore des livres. Et puis, quand ils étaient là et que nous discutions de Piers Anthony, que Pete aime bien et que Greg a comparé à Chaucer (!), Daniel est arrivé. Je ne l’ai pas remarqué tout d’abord, parce que je ne surveillais pas de manière obsessionnelle l’arrivée des visiteurs des autres, parce que j’en avais trois pour moi, histoire de changer. Il s’est glissé jusqu’au lit, l’air embarrassé. J’ai vu qu’il ne savait pas s’il devait m’embrasser ou non, et finalement il ne l’a pas fait. Il avait aussi apporté des livres, et une grande carte de la part de ses sœurs, ainsi que du raisin, des petits grains rouges. Je ne sais pas pourquoi tout le monde apporte du raisin. Est-ce censé être spécialement reconstituant ? Janine m’avait apporté un Mars, qui était plutôt bienvenu, mais difficile à manger. La nourriture ici est tout simplement immonde.

Au début, la conversation a été empruntée. J’ai présenté Daniel et il a été évident que personne ne savait quoi dire. Greg a même dit qu’ils devraient partir. Puis, par chance, Daniel a dit qu’il m’avait rapporté Le Signe de la Licorne et ils ont voulu savoir qui l’aurait en premier, après quoi nous avons parlé de livres jusqu’à la fin de la visite quand l’infirmière a donné le signal du départ. Je n’ai pas demandé à Daniel s’il pouvait revenir à la visite de ce soir, mais il ne pouvait manifestement pas, car je ne l’ai pas revu. Mais c’était très gentil de sa part de me consacrer son dimanche après-midi.

Les livres que Greg m’a apportés sont tous mes prêts entre bibliothèques de la semaine, qu’il a tamponnés pour moi en mon absence avec mes cartes. Il a dit en plaisantant que c’était un service normal de la bibliothèque, mais bien sûr ce ne l’est pas. Malheureusement, ce sont tous des éditions cartonnées, terriblement difficiles à lire couchée. Je peux tenir un livre de poche de côté au-dessus de ma tête, mais pas un livre relié. J’ai Retour à la nuit, de Mary Renault, et je ne peux même pas le lire. Je dois me contenter d’en regarder le dos sur ma table de nuit.

Mercredi, ça fera une semaine. Ça veut dire encore trois jours de souffrance infernale.

Une infirmière passe toutes les quatre heures me proposer des analgésiques. « Ne les prenez que si vous souffrez », dit-elle. Comment quelqu’un pourrait-il être accroché comme ça et ne pas souffrir ? Je les prends, mais ça ne fait qu’endormir un peu la douleur.

Je dors vraiment mal, je fais des rêves bizarres et je me réveille souvent à cause de ma jambe et des bruits de la salle. Les somnifères qu’ils insistent pour me faire prendre m’endorment, mais cela ne dure pas.

Lundi 14 janvier 1980

Cette nuit, ou tôt ce matin, ma mère a renouvelé son attaque nocturne. Je me suis réveillée et je ne pouvais pas bouger, et je savais qu’elle était dans la pièce, planant au-dessus de moi. Il ne fait jamais noir dans la salle, il y a toujours de la lumière au poste des infirmières et des petites lampes alignées sur le sol, et quelqu’un avait une lampe de chevet à un bout de la pièce. Il y avait assez de lumière pour permettre de la voir, mais je ne pouvais pas, je sentais seulement très fort sa présence. J’avais si mal que je n’arrivais pas à réfléchir. J’ai essayé de me rappeler ce qui avait marché la dernière fois, et bien sûr c’était la Litanie contre la peur. Je l’ai récitée donc, encore une fois avec succès. En me calmant, j’ai retrouvé mon contrôle et pu bouger, en tout cas dans la mesure où je le pouvais sur le chevalet, et elle a disparu.

Comment a-t-elle su que j’étais là et vulnérable ? Pourquoi mon charme de protection n’a-t-il pas tenu ? L’endroit où je suis ne devrait rien y changer.

J’ai vu le Dr Abdul ce matin pour la première fois depuis qu’il m’a attachée à cet engin jeudi dernier. Il a tâté ma jambe, m’arrachant un hurlement, et a dit que je faisais des progrès. Puis il est passé au patient suivant. Je ne suis pas aussi confiante quant à mes progrès. J’ai l’impression que ça ne fait qu’empirer.

Je suppose que ça peut donner cette impression et marcher malgré tout. Il est docteur. Il faut avoir eu trois A à son A Level rien que pour commencer des études de médecine. (Ont-ils un A Level au Pakistan ? Je suppose que oui, parce qu’ils étaient Britanniques, ils faisaient partie des Indes britanniques quand la grand-mère de Grampar en est partie. Mais avaient-ils un A Level à l’époque ? Nasreen doit le savoir, parce que son père a dû le passer.) Bref, quoi qu’il en soit, le Dr Abdul doit avoir obtenu l’équivalent pakistanais de trois A à son A Level avant même de commencer ses études. Il doit être intelligent, travailleur et savoir ce qu’il fait. Il n’attacherait pas quelqu’un sur un engin sans raison.

Pourquoi la Litanie contre la peur est-elle efficace ?

Miss Carroll est venue à la visite du soir avec des livres. Ce sont d’autres romans policiers de Josephine Tey, ce qui me semble très bien, en format de poche, Dieu merci. Elle m’a dit que je lui manquais à la bibliothèque, et qu’on avait cité mon nom dans les prières.

Mardi 15 janvier 1980

Encore sur le chevalet, et très déprimée.

Le club de lecture me manque, et parce que je sais que tout le monde y est et que Miss Carroll est venue hier, je sais que je n’aurai pas de visiteurs.

Grampar et tante Teg ne savent même pas que je suis ici, sinon ils auraient au moins envoyé une carte. Alors comment ma mère le sait-elle ? Il n’y a pas de magie, ici. Il n’y a pas de fées, il n’y a rien – je croyais que l’école était immunisée, mais ce n’est rien à côté de cette salle de l’enfer.

J’ai lu tous les Tey. Retour au bercail, en particulier, est excellent. Mais qu’est-ce qu’un puits à Dothan ? Est-ce que ça vient de l’histoire de Joseph ?

Plus qu’un jour sur le chevalet. Je commence à me demander si des sadiques peuvent obtenir trois A au A Level, mais si le Dr Abdul était sadique il viendrait jubiler plus souvent. Il est clair qu’il est complètement indifférent. Il n’a pas du tout regardé mon visage, et à peine même ma jambe, il n’y a que les radios qui l’intéressent. J’essaye d’interpréter ça comme une bonne chose. Trois A à son A Level commencent à me paraître une très petite chose pour contenir un tel poids de confiance.

Mercredi 16 janvier 1980

On ne me laissera pas partir avant que le Dr Abdul m’ait vue, et il ne viendra pas avant demain.

Wim est venu à la visite de l’après-midi. Il m’a apporté Le Maître des Rêves et L’île des Morts. Il portait un blouson en cuir et avait l’air très gêné, plus même que Daniel. J’ai pris soudain conscience que je portais une stupide chemise d’hôpital avec des taches de nourriture (c’est vraiment dur de manger proprement à l’horizontale) et que je ne m’étais pas lavé les cheveux depuis plus d’une semaine. Je me suis sentie touchée qu’il ait fait, encore plus que les autres, tout le chemin jusqu’ici pour me voir.

« Greg a dit hier que tu étais ici, dit-il. J’ai pensé t’apporter ça. Mais on dirait que tu n’en as pas besoin. » Il a fait un geste en direction de la pile sur la table de chevet.