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« J’ai presque tout lu », ai-je dit.

Il a haussé les sourcils.

« Il n’y a rien d’autre à faire ici.

— Ça a l’air assez sinistre, a-t-il acquiescé. Comment est la nourriture ?

— Infecte. »

Il a ri. « Ma mère travaille aux cuisines.

— Je suis sûre qu’elle cuisine beaucoup mieux chez elle.

— Non, pas du tout. Elle n’est pas bonne cuisinière. Mais elle dit elle-même qu’ici la nourriture est épouvantable, alors ça doit être vraiment mauvais. C’est pour ça que j’ai demandé.

— Ce n’est pas tellement différent de l’école.

— J’aurais cru qu’ils vous nourriraient bien à Arlinghurst, vu ce que ça coûte.

— Moi aussi, mais c’est absolument infect. Du spam et du flan.

— Je t’ai apporté de la glace des astronautes de la Nasa », a-t-il dit en sortant un paquet de sa poche.

Je l’ai tenu où je pouvais le voir facilement. Il était noir avec le dessin d’une fusée et affirmait être de la crème glacée pour astronaute telle qu’on en mangeait dans les missions Apollo. J’ai regardé Wim avec admiration. « Tout le monde apporte du raisin. Où as-tu trouvé ça ? »

Il a eu l’air un peu timide, si une telle chose est possible. « Mon cousin l’a rapporté de Floride. Il en avait plusieurs paquets, c’est le dernier. Ce n’est pas si bon, c’est plus pour l’idée. Je le gardais pour une occasion spéciale. »

J’ai arrêté de tourner le paquet en tous sens et l’ai regardé droit dans les yeux. « Tu as un cousin qui est allé en Amérique ? »

Il m’a souri et j’en ai encore le souffle coupé. « L’Amérique est réelle, tu sais, ce n’est pas juste de la science-fiction. Greg y est allé. Il a assisté à une Worldcon à Phoenix. Il a rencontré Harlan Ellison !

— Une Worldcon ? Qu’est-ce que c’est ?

— Une convention mondiale de science-fiction. Cinq jours pendant lesquels les gens se rencontrent pour parler de SF. L’année dernière j’étais à Brighton et j’y suis allé. C’était extra. Et même mieux que ça. Tu ne peux pas imaginer. »

Je crois que je pouvais imaginer. « Comme le club de lecture en plus grand ?

— En beaucoup plus grand. Robert Silverberg était là. Je lui ai parlé ! Et Vonda McIntyre ! »

Je pouvais à peine croire que j’étais dans la même pièce que quelqu’un qui avait parlé à Robert Silverberg. « Où est-ce, cette année ?

— À Boston. C’est généralement en Amérique. Dieu sait quand nous en aurons à nouveau une en Grande-Bretagne. Mais il y a des conventions britanniques. Il y en a une à Pâques à Glasgow. Ils n’ont pas autant d’auteurs américains, bien sûr. Mais il n’y a pas que les auteurs. Il y a aussi les fans. Tu ne croirais pas de quoi j’ai pu parler à Brighton.

— Tu vas à Glasgow ?

— J’économise déjà pour ça. Je suis allé à Brighton à vélo, et j’ai dormi sous la tente, mais, à Pâques à Glasgow, j’aurai besoin d’argent au moins pour partager une chambre dans un hôtel et ce sera plus agréable d’y aller en train. » Il avait l’air impatient, plein d’entrain.

« Une chambre d’hôtel. Le voyage en train. Et combien coûte le ticket d’entrée ?

— On appelle ça une carte de membre, m’a-t-il corrigée. J’ai déjà la mienne. C’était 5 livres.

— Je me demande si Daniel voudra bien payer tout ça. Je me demande s’il sera d’accord pour que j’y aille. Je me demande si je pourrais le persuader de venir, lui aussi. Ça lui plairait.

— Qui est Daniel ? » a-t-il demandé, s’éloignant de moi sans quitter sa chaise. « Ton petit ami ?

— Mon père, ai-je dit. Il lit de la SF. Il a rencontré Greg avec Janine et Pete dimanche et nous avons parlé de livres tout le temps. Ça lui plairait d’assister à une convention, j’en suis sûre. » J’étais beaucoup moins sûre que ses sœurs le laisseraient y aller. Ce n’était pas du tout le genre de choses qu’elles approuvaient, faire quelque chose dont il avait envie sans elles. Elles ne seraient probablement pas d’accord pour moi non plus, pas si elles voulaient que je sois la Gentille Nièce. Je devrais trouver un moyen de les circonvenir.

« Tu as bien de la chance, a-t-il dit.

— De la chance ? Pourquoi ? » J’ai ouvert de grands yeux. Je n’ai pas l’habitude de penser que je suis chanceuse, même quand ma jambe n’est pas attachée à un instrument de torture.

« D’avoir un père riche qui lit de la SF. Le mien trouve que c’est un truc de môme. Il était d’accord quand j’avais douze ans, mais il pense que lire tout court est efféminé et lire des trucs de môme puéril. Il pousse des cris chaque fois qu’il me surprend à lire. Ma mère lit parfois ce qu’elle appelle des histoires romantiques, Catherine Cookson et ce genre de choses, mais seulement quand il n’est pas à la maison. Elle ne comprend pas du tout. Il n’y a pas un livre à la maison. Je donnerais n’importe quoi pour avoir des parents qui lisent.

— Je n’ai rencontré Daniel que cet été. Mes parents sont divorcés et j’ai été élevée par mes grands-parents. Ils n’ont pas d’argent, mais ils lisent et ils nous ont encouragées à lire. Et Daniel n’est pas exactement riche. Ses sœurs le sont et elles lui donnent de l’argent, mais elles lui serrent la bride. Elles paient pour mes études à Arlinghurst pour pouvoir se débarrasser de moi, je pense. Je ne sais pas si elles lui laisseront assez d’argent pour aller à Glasgow, parce qu’elles ne veulent pas qu’il parte. Moi, elles me laisseront peut-être.

— Où est ta mère ? » C’était une question naturelle, mais il l’avait posée avec une désinvolture élaborée qui paraissait préparée.

« Elle est en Galles du Sud. Elle…» J’ai hésité, parce que je ne voulais pas dire que c’est une sorcière, ni qu’elle est folle, bien que les deux soient vrais. Il n’y a pas de mot qui veuille dire les deux, en vérité, et il devrait y en avoir un. « Elle est bizarre.

— Tu as dit aux filles, à l’école, que c’était une sorcière, a dit Wim en rejetant les cheveux de son visage.

— Comment sais-tu ça ?

— J’ai une amie qui travaille à la blanchisserie et elle me l’a dit. »

Le désespoir s’est emparé de moi à la nouvelle qu’il avait une petite amie. Il avait deux ans de plus que moi, il n’était pas possible qu’il s’intéresse à moi et je le savais, même s’il était venu me voir et paraissait me porter beaucoup d’attention. J’ai su tout de suite que sa petite amie devait être la fille que j’avais vue à la fin du trimestre en train de charger d’un air las des chemises d’uniforme dans une machine à laver. En un sens, c’était flatteur qu’il se soit renseigné sur moi.

« Qu’ils me haïssent du moment qu’ils me craignent, ai-je cité. C’est ce que Tibère…

— J’ai aussi lu Moi, Claude, empereur. Tu leur as raconté que ta mère était une sorcière pour qu’elles aient peur de toi ?

— Ce sont d’affreuses brutes, ai-je expliqué. Elles se connaissaient toutes et je ne connaissais personne, et j’ai un autre accent et ça m’a semblé une bonne stratégie. Ça a presque marché, en plus, mais je me sens un peu seule.

— Ce n’est donc pas une sorcière ? » Il avait l’air étrangement déçu.

« Eh bien… en fait, si. Une sorcière folle. Une méchante sorcière comme dans les contes. » Je ne voulais pas parler d’elle, je ne voulais pas lui dire comment elle était. C’est dur de la décrire, de toute façon.

Il s’est penché vers moi et m’a regardée dans les yeux. Les siens sont très bleus, aussi bleus que le ciel, presque. « Peux-tu lire dans les esprits ?