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— C’est gentil. Je n’habite pas loin d’ici.

Ils quittèrent le café. Pierre avait les mains nouées dans le dos. Elle se demandait s’il allait essayer de lui prendre la main, mais ce ne fut pas le cas.

— Il faudrait que je fasse plus ample connaissance avec cette région, dit-il. J’avais l’intention de jouer les touristes demain à San Francisco.

— Cela vous ferait plaisir d’avoir de la compagnie ?

Ils étaient arrivés à l’entrée de son immeuble.

— Beaucoup, dit-il. Merci.

Il y eut un silence. Molly se disait qu’il faudrait qu’ils se donnent rendez-vous le lendemain matin, à moins que… Elle frissonna, peut-être à cause de cette pensée, peut-être à cause de la brise nocturne… À moins qu’il ne reste pour la nuit. Mais les pensées de Pierre étaient pour elle un mystère absolu.

— Nous pourrions nous retrouver pour un brunch à onze heures, dit-il.

— Pourquoi pas ? Ici, on ne mange pas trop mal, répondit-elle en montrant un établissement sur le trottoir d’en face.

Elle se demandait s’il allait l’embrasser. Cela l’excitait, de ne pas pouvoir décrypter ses intentions. Le silence se prolongea, et il ne tenta rien. Cela aussi, c’était excitant.

— Bon, eh bien, à demain, dit-il enfin. Au revoir.

Quand Molly pénétra dans son immeuble, elle souriait d’une oreille à l’autre.

8

Molly et Pierre se virent de plus en plus souvent. Il était déjà allé trois fois chez elle, mais elle ne connaissait pas encore l’endroit où il vivait. Ce soir, cependant, c’était le grand soir. On jouait sur A & E un nouveau téléfilm de la série Cracker, avec Robbie Coltrane, et ils adoraient tous les deux cette série. Mais Molly n’avait qu’un téléviseur de trente-trois centimètres, alors que celui de Pierre en faisait soixante-neuf. Il fallait un écran convenable pour pouvoir suivre un match de hockey.

Il avait fait un peu de ménage, ramassant ses chaussettes sales et ses sous-vêtements qui traînaient dans le living, débarrassant le sofa vert et orange des piles de journaux qui l’encombraient et ôtant de son mieux la poussière, ce qui se résumait essentiellement à passer la manche de son maillot des Canadiens de Montréal sur le dessus de la télé et sur le meuble de sa chaîne hi-fi.

Ils commandèrent une pizza chez La Val pendant la pause publicitaire de la fin. Après le film, ils bavardèrent en attendant qu’elle arrive. Molly était emballée par le rôle que jouait la psychologie dans Cracker. Le personnage interprété par Coltrane, Fitz, était un psychologue qui travaillait pour la police de Manchester.

— Étonnant, convint Pierre.

— Et très sexy, renchérit Molly.

— Qui ça ? demanda Pierre, perplexe. Fitz ?

— Oui.

— Mais il est gros, alcoolique, joueur, et il fume comme un pompier !

— Mais quel cerveau ! Quelle intensité psychique !

— Il finira dans un hôpital, avec une bonne crise cardiaque.

— Je sais, soupira Molly. J’espère qu’il a une bonne assurance maladie.

— La Grande-Bretagne, c’est comme le Canada. Il y a un système de médecine sociale.

— Ici le mot « social » est considéré comme obscène. Mais j’avoue que l’idée d’une médecine accessible à tous me séduit. Dommage que Hillary n’ait pas obtenu gain de cause. Tu as dû avoir un choc, quand ils t’ont fait payer ton assurance médicale.

— J’en aurai sûrement un, mais je n’ai encore rien fait.

Elle en resta bouche bée.

— Tu veux dire que tu ne cotises à aucune assurance maladie ?

— Euh… non.

— Tu es peut-être couvert par la mutuelle des enseignants ?

— Non. Je ne suis même pas prof. J’ai juste une bourse de recherche de troisième cycle.

— Tu te rends compte, Pierre ? S’il t’arrivait un accident, tu serais dans de beaux draps !

— Je n’y avais jamais pensé. L’habitude du système canadien, je suppose. Là-bas, tout le monde est couvert automatiquement. Personne n’a à faire de démarches pour s’assurer.

— Tu es sûr que tu n’es pas couvert par le Canada ?

— Le Québec. Ça marche avec les provinces. Mais cette année, je ne serai plus considéré comme résident, ce qui signifie que je perds ma couverture sociale.

— Tu aurais intérêt à faire rapidement quelque chose. En cas d’accident, tu serais vite ruiné financièrement.

— Tu peux me recommander une compagnie ?

— Moi ? Je ne connais personne. Je suis couverte par l’université. Je crois que c’est la Sequoia Health qui les assure. Mais pour un particulier, je n’ai aucune idée des tarifs pratiqués par les différentes compagnies. J’ai vu des pubs pour la Bay Area Health, et aussi… Comment s’appellent-ils, déjà ? La Condor, si je me souviens bien.

— Je les appellerai.

— Dès demain. Fais-le, c’est important. J’ai un oncle qui s’est cassé la jambe, un jour. On l’a mis en traction à l’hôpital. Il n’avait pas d’assurance. La facture s’est élevée à trente-cinq mille dollars. Il a fallu qu’il vende sa maison pour payer.

Pierre lui tapota la main.

— D’accord. Je ferai ça demain matin, sans faute.

La pizza arriva. Pierre posa la boîte sur la table du séjour pour l’ouvrir. Molly mangea sa part à même le carton, mais il aimait la sienne bien chaude, et il la passa au micro-ondes pendant trente secondes. Il flottait dans la cuisine une odeur de fromage et de poivrons, à laquelle s’ajoutait le parfum du carton de la boîte légèrement humide.

Après avoir fini son troisième morceau, Molly demanda de but en blanc :

— Qu’est-ce que tu penses des enfants ?

Pierre se servit une quatrième portion.

— Je les aime bien.

— Moi aussi, lui dit Molly. J’ai toujours eu envie d’être mère.

Pierre hocha la tête, ne sachant pas exactement ce qu’il était censé répondre à cela.

— Ce que je veux dire, continua Molly, c’est que mon doctorat m’a pris beaucoup de temps, et… je n’ai jamais rencontré la personne qui me convenait.

— Ça arrive parfois, dit Pierre avec un petit sourire.

Molly mordilla sa pizza.

— Oui, bien sûr. Mais j’imagine que ce n’est pas un problème insurmontable de ne pas avoir de mari. J’ai pas mal d’amies qui sont mères célibataires. Pour la plupart, elles ne l’avaient pas prémédité, mais elles se débrouillent plutôt bien. En fait, je…

— Oui ?

— Non, rien.

— Dis-le-moi, insista Pierre, curieux.

Elle réfléchit quelques instants, puis murmura :

— J’ai fait une chose stupide, il y a environ six ans.

Il haussa les sourcils.

— J’avais vingt-cinq ans et, pour tout te dire, j’avais renoncé à trouver un garçon avec qui je puisse avoir une relation durable. (Elle leva la main devant elle.) Oh ! je sais que ça peut paraître jeune, mais j’avais déjà six ans de plus que ma mère quand elle m’a eue, et… je ne veux pas entrer dans les détails pour le moment, mais j’ai eu quelques aventures pénibles avec les mecs, et je ne voyais pas pourquoi cela devait changer. Mais je voulais vraiment avoir un enfant, aussi je… j’ai sélectionné quatre ou cinq hommes, différents chaque soir, pour… (Elle mit de nouveau la main en avant, comme pour atténuer le caractère sordide de la chose.) Ils étaient tous étudiants en médecine. Je m’étais efforcée de les choisir soigneusement, en faisant coïncider mes rencontres avec les moments de mon cycle les plus favorables. J’espérais tomber enceinte de l’un d’eux. Je ne cherchais pas un mari, tu comprends. J’étais juste en quête de sperme.