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Il lui sourit.

— Ce n’est pas le cas.

Mais son visage redevint grave, et il ajouta :

— Je ne vois toujours pas quel avenir nous pourrions avoir ensemble.

— Moi non plus, murmura Molly. Mais pourquoi ne pas le découvrir ensemble ? Je t’aime, Pierre Tardivel.

Elle se serra contre lui.

— Je t’aime aussi, répliqua-t-il.

C’était la première fois qu’il le lui disait réellement.

Alors qu’ils étaient dans les bras l’un de l’autre, la tête de Molly contre l’épaule de Pierre, elle murmura :

— Je pense que nous devrions nous marier.

— Quoi ? Nous ne nous connaissons que depuis quelques mois, Molly !

— Je sais. Mais je t’aime, et tu m’aimes. Nous n’avons peut-être pas beaucoup de temps devant nous.

— Je ne peux pas t’épouser.

— Pourquoi ? Parce que je ne suis pas catholique ?

Il pouffa.

— Non, ma chérie. Ce n’est pas ça. (Il la serra très fort.) Je t’aime sincèrement, mais je ne peux pas te demander d’officialiser notre liaison.

— Ce n’est pas toi qui le demandes, c’est moi.

— Mais…

— Il n’y a pas de mais. Je sais parfaitement dans quoi je m’engage.

— Je suis sûr que…

— Cet argument n’est pas valable.

— Et en ce qui concerne les…

— Ça m’est égal.

— Je veux quand même…

— Allons ! Tu n’y crois pas toi-même.

De nouveau, il éclata de rire.

— Toutes nos discussions vont être comme ça ?

— Pourquoi pas ? Nous n’avons pas de temps à perdre en querelles futiles.

Il demeura quelques instants silencieux, à se mordiller la lèvre.

— Il existe un test, dit-il enfin.

— Quel qu’il soit, je suis prête à essayer.

Pierre s’esclaffa.

— Non, non. Je voulais parler d’un test pour la maladie de Huntington. Ça fait quelque temps qu’il est disponible. On a découvert le gène de la chorée de Huntington en mars 1993.

— Et tu ne l’as jamais passé ?

— Non.

— Pourquoi ?

Le ton de sa voix dénotait la curiosité et non l’affrontement. Pierre soupira. Il leva les yeux au plafond.

— Il n’existe aucun traitement pour cette maladie. Si je savais que je l’ai, on ne pourrait rien faire pour m’aider. Et… (Il soupira.) Je ne sais comment te l’expliquer. Mon assistante, Shari, m’a dit une chose aujourd’hui. Elle m’a dit : « Tu n’es pas juif. » Elle voulait dire qu’il y avait des choses que je ne pouvais pas comprendre parce que je n’avais jamais été à sa place. La plupart des sujets à risque pour la maladie de Huntington ont refusé de passer le test.

— Pourquoi ? C’est douloureux ?

— Non. Une goutte de sang suffit.

— Ça coûte cher ?

— Non. Je pourrais même le pratiquer tout seul, avec l’équipement du labo.

— Pour quelle raison, alors ?

— Tu as entendu parler d’Arlo Guthrie ?

— Bien sûr.

Pierre haussa les sourcils. Il s’attendait qu’elle soit aussi ignorante qu’il l’avait été à l’époque.

— Eh bien, expliqua-t-il, son père, Woody, est mort de la maladie de Huntington. Mais Arlo n’a pas voulu passer le test. Et Nancy Wexler, tu sais qui c’est ?

— Non.

— Tous ceux qui sont atteints de la chorée de Huntington connaissent son nom. C’est la présidente de la Fondation pour les maladies héréditaires, qui a joué un rôle de pointe dans la recherche du gène de Huntington. Sa mère est morte de la maladie. Elle n’a jamais passé le test, elle non plus.

— Je ne comprends pas cette attitude. Si c’était moi, j’aurais envie de savoir.

Pierre soupira. Il pensa de nouveau à ce que lui avait dit Shari.

— Tous ceux qui ne sont pas à risque disent comme toi, mais ce n’est pas si simple. Quand on est sûr d’avoir la maladie, on perd tout espoir. On est dans une situation inextricable. Pour le moment, au moins, il me reste l’espoir.

Molly hocha lentement la tête.

— Et… euh… j’ai quelquefois du mal à sortir de la nuit, Molly. J’ai envisagé le suicide. Beaucoup de sujets à risque comme moi y pensent. J’ai failli sauter le pas à deux ou trois reprises. La seule chose qui m’a arrêté, jusqu’à présent, c’est qu’il y a une chance pour que je n’aie pas la maladie. (Il soupira, réfléchissant à ce qu’il allait dire maintenant.) D’après une étude récente, vingt-cinq pour cent des sujets à risque qui passent le test et ont un résultat positif tentent de mettre fin à leurs jours. Et le quart d’entre eux réussissent. Je ne suis pas sûr que je résisterais à la nuit noire si je savais avec certitude que j’ai hérité du gène, Molly.

— Le revers de la médaille, c’est que, si tu étais sûr de ne pas l’avoir, tu pourrais enfin dormir sur tes deux oreilles.

— Tu fais bien de parler de l’autre côté de la médaille. Ça se joue réellement à pile ou face. Mais ne crois pas que je serais tranquille pour autant. Dix pour cent de ceux qui passent le test et ont des résultats négatifs finissent par avoir de sérieux problèmes psychologiques.

— Je ne vois pas pourquoi.

Il détourna la tête.

— Les gens à risque comme moi partent du principe que leur vie sera peut-être brève. Nous renonçons souvent à beaucoup de choses à cause de ça. Avant toi, je n’avais pas eu de liaison avec une fille depuis neuf ans. Et, pour être honnête, je ne pensais pas en avoir de sitôt.

Molly hocha la tête, comme si un mystère venait d’être finalement résolu.

— C’est la raison pour laquelle tu te tues au travail, dit-elle.

Pierre hocha la tête à son tour.

— Mais quand on a fait tous ces sacrifices et qu’on s’aperçoit qu’ils n’étaient pas indispensables, les regrets peuvent être trop lourds à supporter. C’est pourquoi il y en a parmi nous qui se suicident quand ils apprennent qu’ils n’ont pas la maladie. (Il demeura un bon moment silencieux.) À présent, cependant, à présent… je ne suis plus le seul concerné. Peut-être que je vais me résoudre à passer le test.

Elle tendit la main pour lui caresser la joue.

— Non, Pierre. Je ne veux pas que tu le fasses pour moi. Si tu dois passer ce test un jour, il faut que ce soit pour toi. Je parlais sérieusement, tu sais. Je veux qu’on se marie. Si tu as la maladie, on avisera le moment venu. Ma proposition n’est pas liée à ce test.

Pierre battit des paupières. Il était au bord des larmes.

— J’ai de la chance de t’avoir trouvée.

Elle sourit.

— Je peux te retourner le compliment.

Ils restèrent longtemps serrés l’un contre l’autre. Puis Pierre murmura :

— Je vais peut-être le passer, ce test, après tout. J’ai suivi ton conseil. J’ai contacté les assurances Condor il y a une quinzaine de jours, mais je n’ai pas pu signer de contrat.

— Tu n’es toujours pas assuré ?

Il secoua la tête.

— Pour le moment, ils me refusent à cause de mes antécédents familiaux. Mais dans deux mois, le 1er janvier, une nouvelle loi va entrer en vigueur en Californie. Elle n’empêche pas les compagnies d’assurances d’utiliser les informations qu’elles possèdent sur les antécédents familiaux, mais elle leur interdit d’utiliser les résultats des tests génétiques, et ledeuxième point prime sur le premier. Si je passe le test, quels qu’en soient les résultats, ils sont obligés de m’assurer. Ils ne peuvent même pas augmenter le montant de ma cotisation ; tant que je ne présente aucun symptôme.

Molly ne répondit pas. Elle réfléchissait à ce qu’il venait de dire.