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— Je parlais sérieusement tout à l’heure, murmura-t-elle au bout d’un moment. Je ne veux pas que tu passes le test à cause de moi. Et si tu ne peux pas t’assurer ici, nous pouvons toujours aller nous installer au Canada, non ?

— Je… suppose que oui. Mais je n’ai pas envie de quitter le LBL. C’est la chance de ma vie.

— Il y a trente millions d’Américains qui n’ont pas d’assurance santé. Ils se débrouillent…

— Non, non, c’est une chose de prendre le risque d’épouser quelqu’un qui est susceptible de tomber gravement malade, et une autre de risquer, par-dessus le marché, d’être ruiné financièrement. Il faut que je passe ce test.

— Si tu penses que c’est mieux, d’accord. Mais je suis prête à t’épouser quel que soit ton choix.

— Ne dis pas ça maintenant. Attends d’avoir les résultats.

— Ça va prendre combien de temps ?

— Normalement, les labos exigent que l’on suive une thérapie pendant des mois avant de passer le test. Mais…

— Oui ?

— La procédure est très simple. Je peux le faire moi-même au labo.

— Tu n’es pas obligé de précipiter les choses.

Il haussa les épaules.

— Ce n’est pas à cause de toi que je dois faire vite, mais à cause de la compagnie d’assurances. (Il ne dit rien pendant quelques instants.) Ça ira, tu verras, murmura-t-il finalement.Il est grand temps que je sache à quoi m’en tenir.

13

— Explique-moi comment ça marche exactement, demanda Molly assise sur un tabouret dans le labo de Pierre.

C’était samedi, et il était dix heures du matin.

— Voilà, fit Pierre en hochant la tête. Jeudi dernier, j’ai prélevé un échantillon de mon ADN à partir d’une goutte de sang. J’ai isolé mes deux exemplaires du chromosome 4, découpé certains segments à l’aide d’enzymes spéciales et pris des images radioactives de ces segments. Il faut quelque temps pour les développer, mais je pense qu’elles doivent être prêtes. Nous allons pouvoir vérifier ce que dit mon code génétique au niveau du gène spécifique associé à la maladie de Huntington. Ce gène contient une région dite IT 15 – Interesting Transcript n° 15 –, baptisée ainsi à une époque où personne ne savait à quoi elle servait.

— Si tu as l’IT 15, ça signifie que tu as la maladie ?

— Ce n’est pas si simple. Tout le monde a l’IT 15. Comme dans tous les gènes, la fonction de cette région est de coder pour la synthèse d’une certaine molécule de protéine. Celle que fabrique l’IT 15 a récemment reçu le nom de huntingtine.

— Alors, si tout le monde a l’IT 15 et si tout le monde produit la huntingtine, qu’est-ce qui fait que l’on a ou non la maladie ?

— Les gens qui en sont atteints ont une variété mutante d’IT 15 qui leur fait produire un excédent de huntingtine.

Cette substance est vitale dans l’organisation du système nerveux au cours des premières semaines de développement de l’embryon. À un moment, sa production doit cesser. Mais chez les sujets atteints de la chorée de Huntington, elle continue, ce qui occasionne des dégâts dans le cerveau en cours de développement. Dans les deux variétés d’IT 15, la normale et la mutante, on trouve une série de triplets nucléotidiques répétitifs : cytosine-adénine-guanine ou CAG, plusieurs fois de suite. Dans le code génétique, chaque trinucléotide est spécialisé dans la production d’un aminoacide particulier, et les aminoacides sont les briques à partir desquelles se construisent les protéines, CAG est l’un des codes servant à la fabrication d’un acide aminé appelé glutamine. Chez les individus sains, l’IT 15 comprend entre onze et trente-huit répétitions de ce triplet CAG. Mais chez les sujets atteints de la chorée de Huntington, il y en a entre quarante-deux et une centaine.

— Je vois, murmura Molly. Il faut donc examiner chacun de tes chromosomes 4 pour voir où commencent et où finissent tes séries de triplets CAG. Il suffit de compter le nombre de répétitions. C’est ça ?

— Exactement.

— Et tu es sûr de vouloir aller jusqu’au bout ?

— Oui, dit-il en hochant la tête.

— Alors, faisons-le.

Ils se mirent au travail. C’était une tâche fastidieuse, qui consistait à examiner avec soin les autoradiographies où les nucléotides étaient représentés par des lignes fines. Pierre avait à la main un marqueur à pointe de feutre pour indiquer chaque triplet CAG. Molly comptabilisait les répétitions sur une feuille de papier séparée.

En l’absence d’échantillons sanguins de sa mère et de Henry Spade, il n’était pas facile de dire lequel de ses chromosomes 4 venait du père. Il était donc obligé de les vérifier tous les deux. Sur le premier, la chaîne de triplets CAG prit fin après dix-sept répétitions.

Pierre laissa échapper un bref soupir de soulagement.

— Voilà pour un, dit-il. Maintenant, voyons l’autre.

Il commença la vérification du second chromosome. Ils dépassèrent la marque de onze, qui était le minimum normal. Quand ils arrivèrent à vingt-cinq, la main de Pierre tremblait.

— Ne t’inquiète pas, lui dit Molly en lui touchant le bras. Tu m’as dit que la normale pouvait aller jusqu’à trente-huit.

Il hocha la tête.

— Mais ce que je ne t’ai pas dit, c’est que soixante-dix pour cent des gens sains ont moins de vingt-cinq répétitions.

Molly se mordit la lèvre. Pierre continua le séquençage.

— Vingt-six ; vingt-sept ; vingt-huit.

Il avait un voile devant les yeux.

— Trente-cinq ; trente-six ; trente-sept ; trente-huit.

Merde. Merde de merde.

Trente-neuf.

Bordel de Dieu !

— Même si trente-huit est la limite normale, il faut en avoir quarante-deux pour… commença Molly d’une voix qui voulait être courageuse.

Quarante.

Quarante et un.

Quarante-deux.

— Mon pauvre chéri, fit Molly.

Une chance sur deux.

Un coup de pile ou face.

Pierre ne disait plus rien. Il avait le cœur qui battait très fort.

— Rentrons à la maison, lui dit Molly en lui caressant doucement le dos de la main.

— Non, pas encore.

— Nous n’avons plus rien à faire ici.

— Au contraire. Je veux finir la séquence. Je veux savoir combien de répétitions il y a.

— Qu’est-ce que ça changera ?

— C’est très important, dit-il d’une voix frémissante.

Elle avait l’air perplexe.

— Je ne t’ai pas tout dit. Merde de merde. Il y a autre chose.

— Mais quoi ?

— Il existe un facteur de corrélation inverse entre le nombre de répétitions et l’âge où se déclare la maladie.

Elle ne parut pas comprendre, ou ne le voulut pas.

— Comment ça ?

— Plus le nombre de répétitions est élevé, plus vite les symptômes risquent de se manifester. Certains sujets contractent la maladie dans leur enfance. D’autres ne sont atteints qu’à quatre-vingts ans passés. Il faut que j’aille jusqu’au bout de la séquence. Je veux savoir combien de répétitions il y a.

Elle le regarda sans rien dire.

Il se frotta les yeux, se moucha et continua le décompte. Il en était à quarante-cinq.

Cinquante.

Cinquante-cinq.

Soixante.

Ce n’était pas fini. Il se sentait sur le point de défaillir, mais continuait son marquage. CAG, CAG, CAG…