— Et cette personne existe ?
— Oui.
— Qui est-ce ?
— Je préfère ne rien dire jusqu’à ce que j’aie une certitude.
— Mais…
— Combien de temps gardez-vous les prélèvements de tissus faits à l’occasion d’une autopsie ?
— Ça dépend. Plusieurs années, de toute manière. Vous savez comme la justice traîne dans certaines affaires. Pourquoi ?
— Vous avez donc des tissus de plusieurs meurtres non élucidés de ces dernières années ?
— À condition que l’on ait ordonné une autopsie, oui. Mais il n’y en a pas toujours. Elles coûtent cher. Et à condition, également, que l’affaire n’ait pas été élucidée. Oui, nous devons avoir ces prélèvements quelque part.
— Est-ce que je pourrais y avoir accès ?
— Pourquoi ?
— Pour voir s’il y a d’autres cas d’euthanasie forcée.
— Pierre, je ne voudrais pas être dure avec vous, mais…
— Quoi ?
— La chorée de Huntington… Elle affecte aussi le mental, n’est-ce pas ? Vous êtes sûr que ce n’est pas un début de paranoïa ?
Il allait protester, mais se contenta de hausser les épaules.
— Peut-être. Je n’en sais rien. Mais vous pouvez m’aider à m’en assurer. Je n’ai besoin que de très petits fragments. Juste de quoi tirer un ensemble de chromosomes.
Elle réfléchit quelques secondes.
— Vous savez que vous demandez de sacrés trucs ?
— S’il vous plaît, dit Pierre.
— Je vais vous dire ce que je peux faire. Vous pouvez travailler sur les prélèvements que nous gardons ici, mais il n’est pas question que je demande aux autres labos de nous envoyer les leurs. Cela risquerait de mettre la puce à l’oreille à trop de gens.
— Merci, dit Pierre. Merci beaucoup. Savez-vous si Bryan Proctor fait partie du lot ?
— Qui ça ?
— Le concierge d’immeuble assassiné par Hanratty.
— Ah, oui.
Elle s’installa devant son ordinateur et pianota sur le clavier.
— Impossible, dit-elle au bout d’un moment. Un témoin a entendu le coup de feu. L’heure de la mort a été déterminée avec précision. Il n’y a pas eu besoin d’autopsie.
— Zut. Bon, je me contenterai de ce que vous pourrez me donner.
— D’accord. Mais c’est un sacré service que je vous rends là. Combien d’échantillons vous faut-il ?
— Le plus possible.
Il hésita. Il se demandait à quel point il pouvait se confier à Helen. Il ne voulait pas lui en dire trop, mais il avait besoin de son aide.
— La personne que j’ai en tête, reprit-il, fait l’objet d’une enquête du Département de la Justice, qui le soupçonne d’être un criminel de guerre nazi. Et…
— Sans déconner ?
— Oui. Cela expliquerait le rapport avec les néonazis. Et si ce type a tué des milliers de personnes il y a cinquante ans, il a très bien pu ajouter à son tableau la poignée de victimes que nous connaissons aujourd’hui.
Helen parut méditer un instant sur ces paroles, puis haussa les épaules.
— Je vais voir ce que je peux faire, dit-elle. Mais c’est bientôt Noël, et nous sommes surchargés de travail en cette période. Il va falloir vous armer d’un peu de patience.
Pierre n’insista pas.
— Merci, dit-il.
Elle hocha la tête.
— De rien.
Deux mois plus tard.
Pierre entra rapidement dans la maison par la porte du jardin. Il avait renoncé depuis une quinzaine de jours à se battre avec les marches du perron. Il était dix-sept heures trente-cinq, et il se dirigea tout droit vers le canapé, en prenant la télécommande au passage pour allumer la télé.
— Molly ! cria-t-il. Viens vite !
Elle arriva, le bébé dans les bras. Amanda, à huit mois, avait déjà une épaisse chevelure châtaine.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— J’ai appris, juste au moment de quitter le labo, que l’émission de Hard Copy sur Felix Sousa passait ce soir. J’ai voulu partir un peu plus tôt, mais il y a eu un accident dans Cedar Street.
Après une publicité pour Chrysler, la sphère d’impression de la machine à écrire de Hard Copy grossit sur l’écran en tournant avec son bruit agaçant. Puis la présentatrice, une jolie blonde qui s’appelait Terry Murphy, apparut.
— Bienvenue de nouveau parmi nous, dit-elle. Les Noirs sont-ils inférieurs aux Blancs ? Une nouvelle étude affirme que oui. Nous avons envoyé Wendy Di Maio s’informer. Wendy ?
Molly s’assit à côté de Pierre sur le canapé avec Amanda contre son épaule.
L’écran montra des images d’archives du campus de Berkeley, où des filles et des garçons aux cheveux longs déambulaient tandis qu’un hippie torse nu grattait sa guitare, assis contre un arbre.
— Merci, Terry, dit une voix off. En 1967, l’université de Californie a été le berceau du mouvement hippie, qui préconisait de faire l’amour et non la guerre. On les appelait les « enfants fleurs », ces jeunes qui vivaient en communauté et souhaitaient que l’humanité ne forme plus qu’une seule et grande famille.
L’image disparut en un fondu qui laissa place à des vues vidéo actuelles filmées sous le même angle.
— Aujourd’hui, les hippies ont disparu. Voyez le nouveau visage de l’UCB.
Marchant vers la caméra apparut un homme de race blanche, plutôt athlétique, la quarantaine, blouson d’aviateur en cuir noir, col levé, avec des lunettes miroir de pilote. Pierre eut une moue de dédain.
— Seigneur ! Il s’est déguisé en combattant de la guerre du Golfe !
La voix off de la journaliste continua :
— Voici le Pr Felix Sousa, un généticien qui travaille ici. Il n’y a ni paix ni amour attachés à ses recherches ou dans ses relations avec un bon nombre de ses collègues et de ses étudiants, qui le traitent de raciste.
La scène changea pour montrer Sousa dans un laboratoire de chimie de Latimer Hall, entouré de flacons et d’éprouvettes, travaillant devant une paillasse. Pierre ricana : personne n’avait jamais vu Sousa dans un labo.
— Il y a des années que j’effectue ces recherches, Mrs Di Maio, dit-il d’une voix cultivée à l’accent distingué. Il est difficile de les résumer en quelques phrases, mais…
L’image montra la journaliste : jolie, grande bouche sensuelle, crinière noire. Elle hocha la tête pour encourager Sousa à continuer. La caméra revint sur lui en gros plan.
— En termes très simples, reprit-il, mes travaux démontrent que les trois races qui constituent l’humanité sont nées à des époques différentes. Les Noirs, en tant que groupe racial distinct, ont fait leur apparition il y a environ deux cent mille ans. Les Blancs, eux, datent de cent dix mille ans. Et les Asiatiques de quarante et un mille ans. Rien de surprenant à ce que la race la plus ancienne soit aussi la plus primitive en termes de développement du cerveau.
Sousa écarta les mains, paumes vers le haut, comme s’il demandait aux téléspectateurs de faire preuve de bon sens.
— En moyenne, les Noirs ont le plus petit cerveau et le QI le plus bas de toutes les races. Ils ont aussi les taux de criminalité et de promiscuité les plus élevés. Les Asiatiques, quant à eux, sont les plus intelligents et les moins susceptibles d’activités criminelles. Ils ont une sexualité plus limitée. Les Blancs se situent à mi-chemin des deux autres groupes.
L’écran montra Sousa en train de faire un cours devant des étudiants. Il n’y avait que des Blancs dans l’amphi, et ils semblaient subjugués.
— Les théories de Felix Sousa ne s’arrêtent pas là, commenta la journaliste. Il affirme également que le vieux mythe qui circule dans les vestiaires des salles de sport est confirmé par les faits.