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Pierre l’entendit taper sur un clavier.

— C’est un excellent choix, Pierre, reprit Laurie Lee. Cette compagnie s’est très bien comportée ces derniers temps. Mieux que la moyenne de ses concurrents. Je vous envoie confirmation de l’achat par courrier.

Pierre la remercia et raccrocha. Il se sentait l’âme d’un vrai boursicoteur.

Trois semaines plus tard, alors qu’il travaillait dans son labo, le téléphone sonna. Il alla décrocher.

— Allô ?

— Salut, Pierre, ici Helen Kawabata, du SFPD.

— Helen ! Je me demandais ce que vous deveniez.

— Désolée, mais il y a eu du boulot avec cette affaire de tueur en série. Quoi qu’il en soit, j’ai réuni les échantillons de tissus que vous m’avez demandés.

— Merci ! Il y en a combien ?

— Cent dix-sept.

— Génial !

— Ils ne viennent pas tous de San Francisco. Mon labo travaille aussi, sur demande, avec d’autres villes des environs. Et certains prélèvements sont assez anciens.

— Mais il s’agit uniquement d’assassinats non élucidés ?

— Tout à fait.

— C’est magnifique, Helen. Je ne sais comment vous remercier. Quand puis-je venir les chercher ?

— Oh ! Quand vous voudrez.

— Alors, j’arrive.

Il alla chercher les tissus, les apporta au LBNL, et les confia à Shari Cohen et à cinq étudiants de troisième cycle. Il y en avait toujours qui traînaient par là. Ils reproduiraient l’ADN des échantillons par ACP, puis les soumettraient à des tests pour rechercher la présence de trente-cinq maladies génétiques spécifiées par Pierre.

Ce soir-là, en quittant le bâtiment 74, il croisa Klimus dans un couloir. Il répondit au bref bonsoir du vieillard par un Guten Abend prononcé à mi-voix, mais Klimus ne sembla pas entendre.

30

En attendant que les étudiants lui remettent les résultats de leurs travaux sur les prélèvements fournis par Helen Kawabata, Pierre recensa toutes les cytosines du segment d’ADN de Molly contenant le code du neurotransmetteur associé à la télépathie. Puis il traita les nombres de long en large à la recherche de séquences significatives. Il voulait percer le code hypothétique représenté par la méthylation des cytosines, et il ne voyait pas quelle séquence, pour ce travail, pourrait être plus intéressante que celle du chromosome 13 de Molly.

Finalement, il obtint un résultat.

C’était totalement incroyable. Mais s’il pouvait le vérifier, le prouver empiriquement…

Cela changerait tout.

D’après le modèle qu’il venait d’obtenir, les états de méthylation des cytosines pouvaient fournir une somme de contrôle, c’est-à-dire un test mathématique indiquant si une séquence d’ADN avait été correctement copiée. Dans certaines parties du brin d’ADN, il y avait une tolérance aux erreurs (qui, de toute manière, avaient tendance à corrompre l’ADN et à le rendre inutilisable), mais il n’y en avait aucune dans d’autres parties, notamment dans celle qui contenait la mutation liée à la télépathie. Là, une sorte de mécanisme de correction enzymatique intervenait dès le début de la copie, et aucune erreur n’était permise. La somme de contrôle de la méthylation des cytosines jouait pratiquement le rôle de gardien. Le code synthétisant le neurotransmetteur spécial était bien là, mais sous forme désactivée, et presque toutes les tentatives pour le réactiver étaient neutralisées la première fois que l’ADN était copié.

Pierre laissa errer son regard vers la fenêtre du labo tout en réfléchissant au problème.

Si une mutation déphasante se produisait par hasard dans un segment protégé en raison de l’adjonction ou de la perte accidentelle d’une paire de bases chromosomique, la somme de contrôle de la méthylation veillait à ce que toutes les copies ultérieures, y compris celles utilisées dans le sperme et dans les ovules, soient rectifiées, de manière à empêcher les erreurs de codage de passer à la génération suivante. Les parents de Molly n’étaient pas télépathes. Sa sœur non plus. Et ses enfants ne le seraient pas davantage.

Pierre comprenait ce que cela signifiait, mais il était encore sous le choc. Les implications étaient ahurissantes. Il existait un mécanisme interne capable de corriger les mutations déphasantes et d’empêcher certains segments fonctionnels du code génétique de s’activer.

Pour une raison ou pour une autre, le système de régulation enzymatique n’avait pas fonctionné pendant le développement du fœtus qu’avait été Molly. Peut-être était-ce dû à une drogue – légale ou illégale – que sa mère avait prise durant sa grossesse, ou à une carence dans son alimentation. Il y avait tant de variables en jeu, et cela faisait si longtemps, qu’il était pratiquement impossible de reproduire les conditions biochimiques dans lesquelles Molly avait été conçue et était venue au monde. N’importe comment, ces circonstances avaient permis l’expression d’une caractéristique destinée – dans le langage anthropomorphique dont Pierre n’arrivait pas à s’affranchir – à demeurer secrète.

Un samedi après-midi du mois de juin, on sonna à la porte.

— Je me demande qui ça peut bien être, dit Pierre à la petite Amanda, assise sur ses genoux. Mais alors, qui ça peut être ? demanda-t-il en utilisant la voix aiguë emphatique qu’il prenait souvent pour parler à son bébé.

Molly, pendant ce temps, s’était levée et regardait par le judas. Elle ouvrit la porte pour laisser entrer Ingrid et Sven Lagerkvist avec leur petit garçon, Erik.

— Regarde qui est là ! dit Pierre avec la même voix. Regarde ! C’est Erik.

Amanda lui sourit.

Sven avait dans les bras un gros paquet cadeau. Il embrassa Molly sur la joue et lui donna le paquet. Puis il entra dans le living. Molly posa le paquet sur la table basse en bois de pin. Puis elle s’avança vers Pierre pour lui prendre Amanda. Il adorait la tenir dans ses bras quand il était assis, mais il n’essayait plus de la porter debout. Il l’avait presque lâchée sans le vouloir, quelques semaines plus tôt.

Molly alla installer Amanda sur le tapis près de la table basse, au milieu du séjour. Sven, tenant Erik par sa petite main potelée, le guida à travers la pièce jusqu’à l’endroit où se trouvait la petite fille.

— Manda, dit Erik de sa voix douce et inarticulée.

Comme la plupart des enfants présentant le syndrome de Down, il avait la langue qui pendait en partie quand il ne parlait pas.

Amanda lui sourit et produisit un son guttural venu du fond de la gorge.

Pierre se carra dans son fauteuil. Il n’aimait pas ce bourdonnement sourd. Chaque fois qu’il sortait de la gorge d’Amanda, son cœur manquait un battement. Cette fois-ci, peut-être…

Molly parla doucement à Amanda en lui montrant le paquet aux couleurs vives.

— Regarde ce que t’a apporté Erik ! Un beau cadeau pour ton anniversaire !

Elle se tourna vers Sven et Ingrid.

— Merci beaucoup, c’est gentil d’être venus.

— Erik et Amanda s’entendent si bien ! dit Ingrid.

Pierre détourna les yeux. Erik avait deux ans et Amanda un an. Normalement, ils n’auraient pas dû pouvoir jouer ensemble, mais le syndrome de Down se faisait déjà sentir sur le développement du petit garçon. Il avait, en fait, le même âge mental qu’Amanda.

— Du café ? demanda Pierre en se levant précautionneusement de son siège puis en se tenant au dossier jusqu’à ce qu’il soit sûr de son équilibre.

— Volontiers, dit Sven.