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— Moi aussi, déclara Ingrid.

Pierre hocha la tête. Ils avaient dépassé le stade, Dieu merci, où Ingrid proposait à Pierre de l’aider pour accomplir la moindre petite chose. Il était encore capable de faire du café, mais ce ne serait pas lui qui apporterait les tasses fumantes dans le living.

Il versa du café moulu dans le percolateur. Sur la table de la cuisine était posé le gâteau d’anniversaire acheté par Molly. C’était un gâteau avec des figurines en plastique représentant Fred et Wilma entourant la petite Pebbles. Molly lui avait dit qu’il y avait une version Barney avec Betty et Bamm Bamm pour les garçons. En lettres rouges sur le glaçage blanc, on pouvait lire : Bon et heureux premier anniversaire, Amanda. Pierre résista au désir de chiper un petit bout de glaçage. Il ajouta de l’eau au percolateur puis retourna dans le living.

Ils n’avaient pas ouvert le cadeau, ils avaient décidé de déguster d’abord le gâteau « Pierre à feu ». Erik et Amanda jouaient tranquillement avec les peluches préférées de la petite fille, un éléphant rose et un rhinocéros bleu.

Molly sourit à Pierre en le voyant entrer.

— Ils sont adorables, ensemble, dit-elle.

Pierre hocha la tête en s’efforçant de lui rendre son sourire. Erik était un petit garçon tranquille, il ne faisait pas les bêtises habituelles aux enfants de deux ans. Mais on savait pourquoi. Alors que, dans le cas d’Amanda, Pierre désespérait de savoir ce qui n’allait pas. À un an, elle n’avait encore jamais dit « papa » ni « maman ». Elle était pourtant éveillée, et elle comprenait tout ce qu’on lui disait, mais elle ne faisait aucun effort pour parler. C’était à la fois intriguant et inquiétant. Beaucoup d’enfants ne parlaient pas encore à un an, mais le père biologique d’Amanda était un génie reconnu et sa mère était docteur en psychologie. Elle aurait dû se développer plus rapidement que la moyenne et…

Ce n’était pas le moment de broyer du noir.

Ingrid, assise sur le canapé, montra les deux enfants en soupirant.

— Ils poussent si vite ! Avant que nous ayons le temps de nous retourner, ils auront fini de grandir.

— Nous vieillissons tous, dit Sven, qui venait de nettoyer ses lunettes avec le bas de sa saharienne. Pour ma part, ajouta-t-il en les replaçant sur son nez, j’ai commencé à me sentir vieux lorsque les pin-up de Playboy sont devenues plus jeunes que moi.

Pierre sourit.

— Pour moi, c’est quand ils ont rediffusé des épisodes de Partridge Family. La première fois que j’ai vu cette série, vers le milieu des années soixante-dix, je trouvais Susan Dey fabuleuse. Mais j’ai revu une émission, récemment, et ce n’est qu’une gamine maigrichonne. Aujourd’hui, c’est Shirley Jones qui me fascine. Celle qui jouait le rôle de la maman.

Rires.

— J’ai su que je vieillissais, déclara Molly, le jour où j’ai découvert mon premier cheveu blanc.

Sven fit un geste dédaigneux. Il avait une barbe abondante largement grisonnante.

— Les cheveux blancs, dit-il, ce n’est rien. Mais les poils pubiens, ça c’est autre chose.

On sonna à la porte. Cette fois-ci, ce fut Pierre qui alla ouvrir. C’était Burian Klimus. Et son éternel carnet de notes dépassant de sa poche de poitrine.

— Je ne suis pas en retard, j’espère, dit-il.

Pierre lui adressa un sourire sans chaleur. Il avait espéré que son patron plaisantait lorsqu’il avait manifesté le désir de venir pour l’anniversaire du bébé. Il ne cessait de trouver des prétextes pour débarquer chez eux et prendre des notes en observant Amanda. Pierre lui aurait bien dit d’aller au diable, mais son poste de chercheur au LBNL était toujours précaire. En soupirant, il s’effaça pour laisser entrer le vieillard.

Tout le monde était reparti. Le gâteau avait été englouti, mais le carton qui lui servait de base était toujours sur la table de la salle à manger, jonché de miettes et de restes de glaçage. Des verres vides étaient posés un peu partout sur les différents meubles et sur une enceinte. Ils rangeraient tout ça plus tard. Pour le moment, la seule chose que désirait Pierre, c’était se relaxer sur le canapé à côté de Molly. Amanda était sur les genoux de sa mère, sa petite main gauche entourant l’index de son père.

— Tu as été très sage, aujourd’hui, lui dit-il de la voix haut perchée qu’il utilisait pour parler à l’enfant. C’est très bien.

Elle leva vers lui ses grands yeux marron.

— Papa et maman sont très contents, reprit-il.

Elle sourit.

— Pa-pa, insista-t-il. Et ma-man.

Le sourire d’Amanda s’effaça.

— Elle le pense, lui dit Molly. J’entends les mots. « Pa-pa. » Elle articule mentalement.

Pierre sentit les larmes lui monter aux yeux. Amanda pensait et Molly entendait ; mais pour lui, il n’y avait que le silence.

Les jours passèrent.

Pierre sortait d’une longue et infructueuse matinée consacrée à essayer sur ordinateur différents modèles d’ADN de rebut en vue de déterminer une structure codante. Il se laissa aller en arrière dans son fauteuil, les doigts croisés derrière la tête, en s’étirant. Sa canette de Pepsi était vide. Il songea à aller en prendre une autre au distributeur.

La porte s’ouvrit. Shari Cohen entra.

— J’ai fini le dernier rapport, Pierre, dit-elle. Désolée d’avoir mis si longtemps.

Pierre lui fit signe de poser le document sur son bureau. Il la remercia puis plaça le dossier sur la pile des autres tests génétiques concernant les victimes d’assassinats non élucidés par la police. Il se mit alors à les compulser.

Rien d’inhabituel dans le premier dossier. Néant dans le deuxième. Zéro dans le troisième. Ah ! En voilà un. Le gène d’Alzheimer. Chou blanc dans le cinquième. Des nèfles dans le sixième. Ah ! le gène du cancer du sein. Et, tout de suite après, un malheureux qui avait à la fois le gène d’Alzheimer et celui de la neurofibromatose. Puis une série de trois sans rien. Ensuite, le gène d’une maladie cardiaque. Après ça, celui d’une prédisposition au cancer du rectum…

Il marquait tout cela, au fur et à mesure, sur un bloc de papier millimétré. Quand il en eut fini avec les cent dix-sept dossiers, il s’adossa de nouveau à son fauteuil, sidéré.

Vingt-deux des victimes étudiées avaient un trouble génétique majeur. Cela faisait – il chercha sa calculette sur son bureau encombré – juste un peu moins de dix-neuf pour cent. Sept pour cent seulement de la population étaient en moyenne affectés par les troubles génétiques faisant l’objet des tests.

Les échantillons fournis par Helen étaient étiquetés, mais Pierre ne reconnut aucun des cent dix-sept noms ni, a fortiori, les vingt-deux qui présentaient des troubles génétiques majeurs. Il avait espéré retrouver certains noms familiers sur le campus de Berkeley ou au LBNL, ou encore certains qu’aurait pu mentionner Klimus, mais rien.

Et il y avait toujours le problème de Bryan Proctor, le seul meurtre nettement lié à la tentative d’assassinat contre la personne de Pierre. Chuck Hanratty était mêlé aux deux, mais il n’avait pas de prélèvement des tissus de Proctor, et rien n’indiquait, dans les déclarations de sa femme, que Proctor souffrait d’une maladie génétique. Il faudrait peut-être qu’il trouve le temps de retourner la voir, mais…

Merde ! Il était déjà quatorze heures ! Il fallait qu’il aille chercher Molly. Et son estomac commençait à gargouiller. Les assassinats pouvaient attendre. Cet après-midi, ils allaient essayer de savoir ce qui n’allait pas chez Amanda.

— Bonjour, monsieur et madame Tardivel, leur dit le Dr Gainsley. Merci d’être venus.