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Elle secoua la tête.

— Non.

Il plissa les lèvres de déception. Mais peut-être…

— Savez-vous de quoi ses parents sont morts ? demanda-t-il. Si l’un d’eux était mort d’une maladie cardiaque, par exemple, Bryan aurait pu hériter d’un mauvais gène.

Elle le regarda d’un drôle d’air.

— Ce n’est pas très intelligent de dire ça, jeune homme.

Il battit des paupières, désorienté.

— Je vous demande pardon ?

— Le père et la mère de Bryan sont tous les deux en vie. Ils habitent en Floride.

— Ah ? Je suis vraiment désolé.

— Désolé qu’ils soient vivants ?

— Non, non, désolé d’avoir commis un impair. Mais… encore une chose. Ils sont en bonne santé ? Ils n’ont pas la maladie d’Alzheimer ?

Mrs Proctor se mit à rire.

— Le père de Bryan fait ses dix-huit trous tous les jours, et sa mère a une forme du tonnerre. Ils n’ont aucun problème de santé.

— Quel âge ont-ils ?

— Voyons voir… Ted a quatre-vingt-trois ou quatre-vingt-quatre ans, et Paula doit avoir deux ans de moins.

Pierre hocha la tête.

— Merci beaucoup. Euh… juste une dernière question. Avez-vous entendu parler d’un homme nommé Burian Klimus ?

— C’est quoi, ce nom ?

— Ukrainien. Il est vieux, quatre-vingts ans passés. Chauve, bâti comme un catcheur.

— Je ne connais personne de ce genre.

— Peut-être sous un autre nom ? Ivan Marchenko, ça ne vous dit rien ?

Elle secoua la tête.

— Ou un nommé Grozny, Ivan Grozny ?

— Désolée.

Pierre se leva du canapé. Peut-être que Bryan Proctor était une fausse piste. Peut-être que Chuck Hanratty en avait simplement après son argent ou ses outils. Après tout, Bryan semblait avoir un profil génétique correct, et…

— Euh… Vous permettez que j’aille aux toilettes avant de partir ?

Elle lui montra un couloir éclairé par un globe en verre dépoli suspendu au plafond.

Il la remercia d’un signe de tête et s’avança lentement dans la petite pièce aux murs bleu pâle et aux sanitaires vert foncé. Il referma la porte, obligé de forcer un peu pour la faire entrer dans son cadre. Elle avait dû se déformer à cause de l’humidité de la douche. Il se sentait complètement idiot quand il ouvrit la porte-miroir de la petite armoire à pharmacie pour regarder ce qu’il y avait à l’intérieur. Mais il trouva ce qu’il cherchait. Un rasoir Gillette ! Il le glissa dans sa poche, prit soin de tirer la chasse et de faire couler un instant l’eau du lavabo. Puis il sortit.

— Merci beaucoup, dit-il, espérant que son embarras n’était pas trop visible.

— Pourquoi avez-vous posé toutes ces questions ? demanda-t-elle.

— Oh ! rien. Juste une intuition ridicule. Désolé de vous avoir dérangée.

Elle haussa les épaules.

— Ne vous inquiétez pas pour ça.

— Je ne vous ennuierai plus.

— Pas de problème. Je dors beaucoup mieux la nuit depuis que vous… depuis que ce Hanratty a passé l’arme à gauche. Revenez quand vous voudrez. En plus, j’aime bien Columbo.

Après avoir quitté l’immeuble, Pierre se dirigea vers le siège de la police de San Francisco.

Molly avait demandé deux ans de congé parental, soit le maximum admis par le règlement de l’université sans perte d’ancienneté. Elle se rendait toutefois sur le campus une demi-journée par semaine pour y recevoir les étudiants dont elle dirigeait la thèse et pour assister aux réunions de sa discipline. Pierre était à San Francisco, et c’était Mrs Bailey qui gardait Amanda.

Après le départ de son dernier étudiant, Molly profita du PC qui était dans son bureau pour faire quelques recherches en ligne à l’aide de Magazine Database Plus, la base de données aux joies de laquelle l’avait initiée Pierre.

Elle était sur le point de se déconnecter lorsqu’une pensée lui vint. Elle avait essayé de digérer ce que le Dr Gainsley leur avait expliqué, mais elle ne comprenait pas tout. Elle lança une recherche en écrivant : « élocution, anomalies ». Il y avait plus de trois cents articles sur la question. Elle annula sa demande et réfléchit. Qu’avait dit exactement le Dr Gainsley ? Quelque chose sur l’os hyoïde ? Elle n’était même pas sûre de savoir écrire ce mot correctement. Mais cela valait la peine d’essayer. Elle cocha l’option : « recherche dans le texte intégral » et tapa : HYOÏDE. L’écran se remplit immédiatement de citations de quatorze articles. Elle les parcourut et relut plusieurs fois trois d’entre elles.

« Plus jamais ça, dit l’homme des cavernes. » (Structures laryngées chez les ancêtres de l’homme.) In Speech Dynamics, janvier-février 1997, vol. 6, n° 2, p. 24 (3). Réf. A19429340. Texte : oui (1 551 mots). Résumé : oui.

« L’os du cou néandertalien à l’origine du blabla. » (La découverte d’un hyoïde fossile indiquerait une aptitude au langage.) Science News, 24 avril 1993, vol. 143, n° 17, p.262 (1). Réf. A13805017. Texte : oui (557 mots). Résumé : oui.

« Le débat sur la parole chez les néandertaliens : les langues s’agitent de nouveau. » (Nouvelle reconstitution du crâne néandertalien de La Chapelle.) Science, 3 avril 1992, vol. 256, n° 5053, p. 33 (2). Réf. : A12180871. Texte : oui (1 273 mots). Résumé : non.

Elle sélectionna tour à tour chaque article, qu’elle lut de bout en bout. Il y avait eu un long débat chez les anthropologues sur l’existence d’un langage néandertalien. Il était difficile de résoudre cette énigme dans la mesure où les parties charnues des fossiles n’existaient plus. Mais, dans les années soixante, le linguiste Philip Lieberman et l’anatomiste Edmund Crelin avaient réalisé une étude sur le plus célèbre des néandertaliens, le spécimen découvert en 1908 à La Chapelle-aux-Saints. Leur conclusion était que les hommes de Neandertal possédaient un larynx en position haute et que le passage de l’air se faisait selon une courbe légère et régulière depuis leur arrière-bouche, ce qui semblait signifier qu’ils n’avaient pas les cordes vocales de l’homme moderne.

Cette opinion fut remise en question en 1989, lorsqu’un squelette de néandertalien baptisé Moshé fut découvert dans les environs du mont Carmel, en Israël. Pour la première fois, un os hyoïde d’homme de Neandertal avait été retrouvé. Il était bien plus grand que celui d’un homme moderne, mais les proportions étaient les mêmes. Malheureusement, le crâne de Moshé n’était pas sur le site, et toute reconstitution de ses cordes vocales était impossible. De même, chose tout à fait cruciale, il n’était pas question de déterminer la position de l’hyoïde dans le larynx.

L’article de Science contenait une déclaration d’Alan Mann, de l’université de Pennsylvanie, qui estimait que « les indices contradictoires dont nous disposons actuellement ne permettent pas à un observateur objectif de départager les partisans et les ennemis du langage néandertalien ». Ian Tattersall, de l’American Museum of Natural History, était à peu près du même avis. Il disait que la plupart des anthropologues étaient en « position d’attente » jusqu’à ce qu’il y ait des indices plus nets.

Molly tremblait de tous ses membres lorsqu’elle eut fini sa lecture. L’idée horrible, incroyable, impensable qu’elle avait à l’esprit était que Burian Klimus avait trouvé un moyen diabolique d’apporter la preuve qui manquait.

— Bonjour, Helen.

Helen Kawabata leva les yeux.

— Pierre ! Mon Dieu ! On devrait vous affecter un emplacement réservé sur le parking !