Выбрать главу

Il lui sourit d’un air gêné.

— Désolé, mais…

— Mais vous avez une nouvelle faveur à me demander.

— Un de ces jours, je passerai juste pour dire bonjour.

— Bonne idée. Quand ?

Il sortit le Gillette de sa poche.

— J’ai ramassé ça chez Mrs Proctor. C’est le rasoir de son mari. Je me suis dit que vous pourriez peut-être y trouver de quoi faire un prélèvement d’ADN. Je n’ai pas l’habitude de faire des trucs comme ça.

Elle alla chercher un sachet stérile dans une armoire et l’ouvrit devant lui.

— Déposez-le ici.

— Merci de tout cœur, Helen. Vous êtes un chou.

Elle se mit à rire.

— Un chou ? Vous devriez vous recycler chez Berlitz, Pierre. Plus personne ne parle comme ça, aujourd’hui.

Molly, furieuse de ce qu’elle soupçonnait Klimus d’avoir fait, marchait vers la sortie du campus, à hauteur de North Gate Hall, quand elle entendit la dispute. Elle regarda autour d’elle pour voir d’où venaient les éclats de voix. À une vingtaine de mètres de là, se tenait un couple d’étudiants d’une vingtaine d’années. Le garçon avait de longs cheveux bruns noués en queue-de-cheval, le visage rond et plein, les joues congestionnées par la colère. Sa compagne, menue, cheveux blond platine, portait un jean délavé et un sweat jaune à l’effigie de Homer Simpson. En jean noir et blouson en velours côtelé dont la glissière n’était pas fermée jusqu’en haut et laissait voir son T-shirt blanc, le garçon hurlait dans une langue inconnue. Et il soulignait ses paroles en agitant un doigt sous le nez de la fille.

Molly ralentit. Il y avait des problèmes de harcèlement sur le campus, et elle voulait savoir si son intervention était nécessaire.

Mais la jeune fille semblait de taille à se défendre. Elle répliqua dans la même langue. Son expression corporelle était différente de celle du garçon, mais tout aussi hostile. Elle tenait ses deux mains devant elle, les doigts écartés, comme si elle voulait les refermer autour de la gorge de l’autre.

Molly voulait juste s’assurer qu’il n’y aurait pas de violence et que la fille participait librement à la dispute. Quelques passants s’étaient arrêtés eux aussi, mais la plupart continuaient leur chemin après avoir ralenti pour voir ce qui se passait. La fille retira une bague de l’un de ses doigts. Ce n’était pas une bague de fiançailles, elle ne la portait pas au bon doigt. Mais ce devait être quand même un cadeau du garçon. Elle lui jeta l’objet et tourna les talons. La bague rebondit sur le torse du jeune homme et vola dans l’herbe.

Molly allait s’éloigner lorsque le garçon, à genoux pour retrouver la bague, s’écria : « Blyat ! » à l’adresse de la jeune femme.

Molly se figea. Elle revit une scène à San Francisco, des années auparavant, lorsqu’elle avait surpris ce vieux dégueulasse en train de torturer un chat agonisant. C’était le même mot qu’il avait crié à Molly.

Elle suivit la jeune femme, qui marchait d’un pas décidé vers la porte du bâtiment le plus proche, la tête haute, ignorant le regard des curieux. Le garçon était toujours à quatre pattes dans l’herbe pour essayer de retrouver sa bague. Molly rattrapa la fille au moment où elle posait la main sur la poignée verticale tubulaire, polie par des milliers de mains d’étudiants chaque jour.

— Ça va ? lui demanda-t-elle.

Elle la regarda, l’expression toujours furieuse, mais ne dit rien.

— Je m’appelle Molly Bond. J’enseigne la psycho. Je voulais savoir si vous vous sentez bien.

La fille la regarda un moment sans rien dire, puis désigna l’endroit où était le garçon en murmurant avec un fort accent :

— Je ne me suis jamais mieux sentie de ma vie.

— C’est votre copain ? demanda Molly.

Pendant qu’elle disait ces mots, le garçon se releva en brandissant la bague, jetant sur les deux femmes un regard furibond.

— C’était, répondit l’étudiante. Mais je l’ai surpris avec une autre.

— Vous faites partie de la section internationale ?

— Oui. Je suis lituanienne. J’étudie l’informatique.

Molly hocha la tête. C’était là, naturellement, que leur conversation aurait dû prendre fin. Mais il y avait quelque chose qu’elle mourait d’envie de savoir d’abord. D’un ton qu’elle voulait détaché, elle demanda :

— Il vous a crié : « Blyat ! » Est-ce que c’est du…

Elle s’interrompit, de peur de passer pour une ignorante. Est-ce que le lituanien existait ?

— Non, lui dit la fille, devinant ce qu’elle voulait dire. Ce n’est pas du lituanien, c’est du russe.

— Et ça signifie quoi ?

La fille la regarda dans les yeux.

— Ce n’est pas très joli, comme mot.

— Pardonnez-moi, mais… (Pourquoi ne pas lui dire la vérité, après tout ?) Quelqu’un m’a dit ça un jour, et je me suis toujours demandé ce que ça signifiait.

— Je ne sais pas comment le dire en anglais. Ça fait allusion aux parties sexuelles de la femme, vous saisissez ?

Elle regarda amèrement la silhouette qui s’éloignait sur le campus.

— Il ne risque pas de revoir les miennes, en tout cas, ajouta-t-elle.

— Le sagouin ! fit Molly.

— Da, approuva l’étudiante.

Elle fit un bref signe de tête à Molly et pénétra dans le bâtiment.

Pierre accompagna Molly tandis qu’elle portait Amanda à l’étage et la déposait dans son berceau au pied du lit grand modèle. Ils se penchèrent tour à tour pour l’embrasser sur le front. Molly était particulièrement taciturne ce soir.

Elle avait visiblement quelque chose en tête.

Amanda regarda son père avec de grands yeux brillants. Il sourit. Il savait qu’il n’allait pas s’en tirer à si bon compte. Il prit sur la commode un livre pour enfants intitulé : Je vais au zoo. Amanda secoua la tête. Pierre haussa un sourcil, mais remit le livre en place. Il le lui avait lu cinq soirs de suite. Il se demandait ce qui déclenchait un choix chez un petit enfant. Mais comme il connaissait celui-là par cœur, il fut heureux d’en essayer un autre. Il prit un petit livre carré aux pages rigides en carton. C’était : Mademoiselle non non non. Mais Amanda secoua de nouveau la tête. Pierre fit une troisième tentative. Cette fois-ci, c’était un livre de Sesame Street avec pour titre : Le grand jour de Grover. Un sourire éclaira le visage d’Amanda. Pierre s’assit au pied du lit et commença à lire. Pendant ce temps, Molly était retournée en bas. La lecture dura dix bonnes minutes avant que l’enfant ne s’endorme. Pierre se pencha de nouveau sur elle pour l’embrasser, vérifia que l’appareil de surveillance était toujours branché et sortit sans bruit.

Molly était assise sur le canapé du living, une jambe repliée sous elle. Elle tenait à la main un numéro du New Yorker, mais ne semblait pas vraiment le lire. Elle avait mis tout bas un CD de Shania Twain.

— Elle dort ? demanda-t-elle en posant le magazine.

— Je crois.

— Bon, dit-elle d’un ton grave. J’attendais que tu descendes. Il faut qu’on parle.

Il alla s’asseoir à côté d’elle. Elle le regarda un bref instant, puis détourna les yeux.

— J’ai fait quelque chose de mal ? demanda-t-il.

— Non, non. Ce n’est pas toi.

— C’est quoi, alors ?

Elle poussa un profond soupir.

— J’étais inquiète pour Amanda. J’ai fait quelques recherches à la bibliothèque.