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— Pourquoi ? demanda Solomon.

— Je vous le dirai quand vous aurez jeté un coup d’œil aux photos.

Solomon haussa les épaules.

— Comme vous voudrez.

— Pouvons-nous entrer ?

Nouveau haussement d’épaules.

— Bien sûr.

Il s’avança dans son living en traînant les pieds et se laissa tomber sur un vieux canapé au tissu râpé. Il faisait une chaleur étouffante, l’appartement n’était pas climatisé. Tischler souleva avec précaution un vase posé sur la table basse et le garda stupidement à la main, car il ne trouvait pas d’endroit où le mettre. Avi installa à sa place son petit magnétophone. Puis il déploya la planche de photos avec ses trois rangées de huit clichés chacune. Solomon ôta la paire de lunettes qu’il avait sur le nez et la remplaça par une autre qu’il tira de sa poche de poitrine.

— Ces photos sont celles de…, commença Avi.

— Ivan Marchenko ! l’interrompit aussitôt le vieil homme avec force.

— Lequel ? demanda Avi en se penchant en avant.

— La rangée du milieu. Le troisième.

Avi sentit son estomac se nouer. La troisième photo de la rangée du milieu était bien celle d’un homme chauve au visage rond, mais ce n’était pas Marchenko. Il s’agissait, en fait, du concierge de l’immeuble de l’OSI à Washington. Avi savait que, s’il posait des questions orientées du genre : « Vous êtes sûr ? Il n’y en a pas une autre qui ressemble davantage à Ivan ? », les avocats de la défense réduiraient sans peine son identification à néant. Consterné, il se contenta de dire :

— Merci.

Puis il se pencha en avant pour reprendre la planche.

Mais Solomon fut plus rapide que lui.

— Je le reconnaîtrais entre mille, dit-il en posant un doigt noueux sur la sixième photo de la rangée du milieu.

Avi sentit une brusque montée d’adrénaline.

— Mais vous avez dit la troisième…

— Oui, la troisième à partir de la droite. (Il regarda Avi.) Votre accent, il est américain, n’est-ce pas ? Vous ne lisez pas l’hébreu ?

Avi éclata d’un rire sonore.

— Pas autant que je le devrais, de toute évidence.

— Pierre, ici Avi Meyer.

— Alors, comment ça s’est passé ?

— J’ai deux identifications positives.

— Génial !

— Je prends directement l’avion pour Washington dans trois ou quatre jours. J’ai encore quelques détails à régler avec la police israélienne. Il faut que je les aide à rédiger leur demande d’extradition.

— Non. Venez d’abord ici, à San Francisco. J’ai quelque chose d’important à vous montrer.

40

Pierre s’efforça d’ignorer la manière dont Avi Meyer le regardait. Vingt-six mois s’étaient écoulés depuis leur dernier face-à-face et, bien qu’il lui eût parlé au téléphone de l’évolution de sa maladie, Avi n’avait encore jamais vu ce qu’était la chorée.

Pierre posa d’un geste lent et précautionneux les deux autoradiographies sur la petite plaque lumineuse incorporée à la paillasse. Puis il s’appliqua à les aligner malgré la sarabande incessante de ses mains. Il s’assit sur un tabouret et fit signe à Avi de venir regarder les radios.

— Qu’est-ce que vous voyez ? demanda-t-il.

Avi haussa les épaules. Il n’avait aucune idée de ce que Pierre voulait lui faire dire.

— Une série de traits noirs ?

— C’est exact. Comme les codes-barres qu’on voit sur les emballages, en plus flou. Mais ce que vous avez là, dit-il en tapotant l’une des planches d’un doigt tremblant, c’est l’empreinte génétique de deux personnes distinctes.

— Qui ?

— J’y arrive dans un instant. Vous pouvez constater que les barres sont différentes. D’accord ?

Avi hocha la tête.

— Il y a là une ligne noire épaisse, reprit Pierre en pointant son index agité de spasmes. Et vous ne voyez pas l’équivalent sur l’autre feuille. D’accord ?

Avi acquiesça de nouveau d’un signe de tête.

— Mais vous pouvez constater que certaines lignes sont rigoureusement identiques, n’est-ce pas ? En voici une qui correspond exactement à celle de l’autre personne.

— C’est vrai, fit Avi, qui commençait à s’impatienter.

— Regardez bien les deux empreintes, à présent, et dites-moi quel est à peu près leur taux de similitude.

— Je ne vois pas très bien à quoi…

— Faites-le, s’il vous plaît.

Avec un soupir résigné, Avi Meyer se concentra sur les deux documents.

— Je ne sais pas. Entre vingt et trente pour cent, peut-être.

— Mettons un quart.

— D’accord.

— Bon. Vous avez sans doute quelques notions de génétique, comme tout le monde. Quelle proportion d’ADN recevez-vous de vos parents ?

— La totalité !

Pierre sourit.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Quel pourcentage vient de votre mère et quel pourcentage de votre père ?

— Moitié-moitié, je suppose. Ce n’est pas ça ?

— Exactement. La moitié de l’ADN de chaque être humain lui vient de sa mère, et l’autre moitié de son père. Et maintenant, dites-moi une chose. Vous avez un frère ?

— Oui.

— Bon. Puisque vous avez la moitié de l’ADN de votre mère, votre frère est dans le même cas, n’est-ce pas ?

— Bien sûr.

— Mais s’agit-il de la même moitié ?

Avi se passa la main sur la joue.

— Que voulez-vous dire ?

— Est-ce que l’ADN que vous avez reçu de votre mère est le même que celui de votre frère ?

— Je n’en sais rien. Je suppose que la répartition se fait au hasard. Par conséquent, les gènes de Barry et les miens doivent coïncider dans une proportion de cinquante pour cent. Je me trompe ?

— C’est tout à fait cela, fit Pierre. En moyenne, les gènes de deux frères se recoupent à cinquante pour cent. Par conséquent, si je mettais côte à côte les empreintes de Barry et les vôtres, qu’est-ce que vous observeriez ?

— Euh… La moitié de mes barres seraient à la même place que la moitié des siennes.

— Bravo ! Mais voyez ce que nous avons ici, murmura Pierre en désignant la plaque lumineuse.

— Une proportion de vingt-cinq pour cent de similitude.

— Ce qui signifie que les deux personnes en question ne sont pas des frères, d’accord ?

Avi hocha la tête.

— Pourtant, ils sont apparentés, vous ne croyez pas ?

— Je suppose qu’ils le sont.

— Très bien. Parlons maintenant d’un petit détail qui m’a frappé lorsque j’ai pris connaissance du dossier Demjanjuk. Dans sa candidature au statut de réfugié, il a indiqué Marchenko comme nom de jeune fille de sa mère.

— Oui, mais c’est faux. Elle s’appelait Tabachuk. Il a déclaré plus tard qu’il ne s’en souvenait pas et qu’il a mis à la place le premier nom ukrainien qui lui est passé par la tête.

— C’est justement cela que j’ai toujours trouvé bizarre. Je ne risque pas d’oublier le nom de jeune fille de ma mère, Ménard, ni même celui de ma grand-mère, Bergeron. Comment aurait-il pu oublier une chose pareille ? Quand il a rempli ce papier, en 1940, il avait à peine un peu plus de vingt ans. Ce n’était pas un vieillard à la mémoire défaillante.

Avi haussa les épaules.