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Mon premier réflexe est une réaction de marrade. Un détournement de zinc, c’est cocasse, dans un sens. Ce gros n’avion soumis à des lois strictes, cette machine valant des centaines et des centaines de millions qu’un pégreleux prend soudain la fantaisie d’utiliser à sa guise, ça me paraît farce. Une farce coûteuse, certes, mais poilante pour qui aime l’humour jusque dans ses manifestations les plus extravagantes. Seulement, mon second réflexe est soumis à ma conscience professionnelle. Je me tiens le raisonnement ci-dessous : « T’es dans un zinc israélien dont la destination est Tel-Avoche. Si un dégourdi le déroute, c’est pour l’emmener dans un lieu tout à fait opposé, en l’occurrence un pays arabe. Une fois posé sur un aéroport musulman, ça va être la grande fiesta pour les Juifs du bord et notamment pour les deux agents que nous suivons. Notre mission risque fort de tourner court. Conclusion, faut que j’intervienne avant que mon histoire continue en cacascope-couleur. J’attends que le pointeur ait complètement pénétré en first pour agir. Il passe tout contre moi. Manière de le confiancer, je fais mine d’en écraser. Ça y est, il est passé. Souple comme un puma (vous voyez ce que je veux dire) je me ramasse, je bande mes muscles (j’ai la manière) et je bondis. Une manchette ! Sur la nuque ! Rrran ! À toute volée. Je m’écroule, car c’est mézigue qui vient de se la respirer. Quelqu’un, derrière a été plus prompt que moi et m’a fauché en plein ciel de gloire. Sottement, j’avais cru qu’il s’agissait d’un cas isolé. Eh ben non, mes trésors : ils sont plusieurs. Que dis-je, plusieurs ! Ils sont nombreux ! Je suis mou de la coiffe, mais j’ai pas coulé dans le sirop. Me rends compte de tout. Ça énergumène drôlement sur El Al ! Une tripotée de gars décidés ! Qu’est-ce que je raconte, une tripotée ! Ils sont plus que ça ! Peut-être que je les vois double, notez, avec le parpaing que j’ai bloqué sur la coloquinte ! L’un d’eux m’attache avec une sangle élastique. Comme il serre à outrance, je suis totalement paralysé. Pendant qu’il s’active, plusieurs de ses potes investissent le poste de pilotage. À cet instant, les deux agents israéliens interviennent. Rapière au poing ! Seulement, sachant le danger que représente un coup de feu à bord, ils n’osent défourailler.

— Attention ! crie le chef du commando arabe en les apercevant. Ils sont deux et nous sommes seuls !

Un de ses compagnons qui vient de débouler des touristes agit avec une promptitude que je qualifierais volontiers de foudroyante si je n’avais la hantise du pléonasme. Il fait un geste. L’un de nos deux « clients » ouvre la bouche pour un cri qui ne sort pas. Il a un poignard planté en pleine gorge. Allez donc chanter la tyrolienne avec de machin-là dans la glotte. C’est tout juste si on peut rire à gorge déployée ! Un flot de sang jaillit, souillant les banquettes. Le pauvre bougre tombe à genoux et gargouille. Je vois sa tête exsangue s’abattre dans la travée. Il a le regard révulsé. Un dernier râle caverneux. Stop ! Mortibus ! Et dire qu’il était peut-être père de quatre enfants.

Conscient de son impuissance, son camarade largue son feu. Mon ligoteur s’occupe alors de lui et le momifie sur son siège.

Tandis que se déroulent les événements ci-dessus, je perçois du grabuge en provenance du poste de pilotage. On dirait que l’équipage ne se laisse pas bricoler facilement. On entend des « blong », des « tchplaoff », des « faloumb », des « haaaaaarh » ; maintenant voici des cris, des plaintes et des râles. Une tuerie ! Une hécatombe ! On voit surgir le radio, les mains croisées sur ses entrailles fumantes qui lui échappent. Un des assaillants traîne le copilote mort hors de la cabine par ses bretelles (car il n’a pas de cheveux). Vous croyez la lutte terminée, vous autres niais ? Que non point ! Ça tohubohute toujours. Le bruit des gnons sur la chair d’homme, c’est pire encore que çui de l’œuf dur sur un comptoir de zinc, n’en déplaise à Prévert.

J’en soupçonne un de morfler la dérouillanche du siècle ! Quelle pluie, mes aïeux ! La tornade rouge ! On entend le glingling de ses dents pleuvant sur les appareils du bord. Encore des râles. Des onomatopées dramatiques ! De louches interjections ! Une funèbre exclamation ! Puis un silence enfin qui désendolore mes tympans. Un silence… tragique, voilà, faut bien puiser dans la panoplie des souverains poncifs. Tragique : absolument.

L’un des agresseurs réapparaît et enjambe le radio expirant. Il masse ses pauvres phalanges endolories par les anneaux d’acier du coup-de-poing américain dont il s’est servi.

— Terminé ! annonce-t-il fièrement au chef du commando.

— Le commandant a accepté de changer de cap ?

— Non : li mort !

— Ça l’apprendra, approuve le chef (qui n’est autre que le grand maigre frisé du début de l’action).

Il réfléchit un peu, puis murmure :

— Messaoud…

— Qu’est-ce ti veux ? demande l’homme au coup-de-poing amerlock.

— Tu me dis comme ça, le commandant li mort ?

— Li mort même chose qu’une merguez, Mohamed.

Mohamed hoche la tête (il branlerait le chef s’il n’était chef lui-même).

— Bon, fait-il, le commandant li mort. Le second pilote li mort aussi, ajoute-t-il en désignant le cadavre du chauve qu’on dut traîner par les bretelles. Et puis le radio gaiement li mort. Alors dis-moi, Messaoud, qui c’est qui conduit la vion ?

Messaoud étudie la question, puis répond d’un ton penaud :

— Pli personne, Mohamed !

— Alors si pli personne il conduit la vion, la vion elle tombe, bredouille le chef de ce coup de main téméraire.

Ses acolytes se mettent à vociférer, à s’entre-engueuler pour leur imprévoyance. Ils ont lessivé l’équipage sans mesurer les conséquences de leur massacre. Ils cherchent à se rejeter les responsabilités de cette sotte initiative l’un sur les autres.

En attendant, l’appareil placé en position de pilotage automatique continue sa route dans l’azur poudré d’or. Peut-être cette situation vous amuse-t-elle, mes vaches ? Si c’est le cas, tant mieux, mais de mon côté, je mouille ma limace, croyez-moi.

Perplexe — on le serait à moins —, le chef écarte les rideaux nous isolant de la classe touriste et demande à la cantonade :

— Y a-t-il un pilote de ligne dans la salle ?

Personne ne moufte. Je fais un effort pour me retourner, malgré mes sangles élastiques, je n’aperçois que des bouilles affligées, des yeux hagards, des fronts ruisselants de sueur.

— Bon, grommelle Mohamed. Alors y’a-t-il au moins un gonze capable di mener la vion à distination ? Tout l’équipage li mort pour avoir joué au con. Si personne prend li commande, je t’issure qu’on se casse tout le monde la gueule recta.

À peine a-t-il annoncé la chose que la panique éclate à bord. On franchit dare-dare le mur du son des lamentations, mes gueux ! Ah ! ce tollé ! Ces implorables ! Ces jérémies ! Ces folleries ! Y’en a qui détachent leur ceinture et qui courent à la porte du fond sur laquelle ils cognent à coups redoublés (voire quadruplés) en hurlant : « Ouvrez ou on enfonce ! » Y’a ceux qui pleurent en certifiant qu’ils ont le droit de vivre. Un gros banquier propose de faire une traite à quatre-vingt-dix jours avalisée par les Rothschild. Une dame perd la raison dans la bousculade, ne la retrouve pas et se met à chanter l’Internationale d’une voix de soprano. Un rabbin (un vrai) sort son rasoir de son attaché-case et commence à se raser. C’est le délire ! La grande chiasse collective ! D’ailleurs, ça sent ! La première chose qu’il fait, l’homme paniqué, c’est de se vider. Sa boyasserie joue relâche ! Aucun constipé ne peut résister à ça. Les pilules Miraton ? Knock-out ! La peur est souveraine ! Laxative pire que toutes les ricins. Une apothéose merdeuse, on assiste ! Le chiotte über alles ! La liquéfaction malodorante !